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RDC : Les civils isolés du Katanga

D 21 mai 2013     H 05:48     A IRIN     C 0 messages


KATANGA - Dans la province du Katanga, en République démocratique du Congo (RDC), des dizaines de milliers de déplacés n’ont reçu que peu ou pas d’aide humanitaire depuis qu’ils ont fui il y a plusieurs mois le conflit qui secoue la région.

Sur le territoire de Malemba Nkulu, le nombre de personnes déplacées serait passé de 12 000 à 24 000 entre décembre 2012 et janvier 2013 et aucune distribution alimentaire n’a été organisée. « Le taux de malnutrition aiguë globale dépasse 19 pour cent et les personnes souffrant de malnutrition grave ont besoin de traitement », a signalé le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA).

« Dix-neuf pour cent de malnutrition aiguë globale, cela équivaut à près du double du seuil d’urgence », a dit à IRIN Quoc Nguyen, responsable des opérations pour le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) à Katanga. Le taux de malnutrition aiguë dépasse dix pour cent dans sept territoires de la province du Katanga, a-t-il ajouté.

L’UNICEF vient en aide aux enfants et aux femmes enceintes ou allaitantes souffrant de malnutrition aiguë dans plusieurs territoires, dont ceux de Pweto et Manono, où le taux dépasse également 19 pour cent, mais les traitements ne sont pas encore disponibles à Malemba Nkulu. « Il n’y a pas de programme à Malemba Nkulu en raison du manque de financement, des difficultés d’accès, de l’insécurité et de l’absence de partenaires pour le mettre en ouvre », a expliqué M. Nguyen.

La malnutrition contribue en grande partie au taux de mortalité des moins de cinq ans dans la province, qui s’élève à 188 pour mille, selon la dernière enquête de l’UNICEF. Dans son bulletin du 16 avril pour la RDC, l’OCHA expliquait qu’à Malemba Nkulu « aucune intervention humanitaire [n’avait été] mise en ouvre, principalement à cause des difficultés d’accès et du manque de financement ».

Dans le territoire voisin de Manono, les personnes déplacées - dont le nombre a récemment été estimé à 31 000 - n’ont pas reçu de distribution alimentaire depuis septembre, a dit le Programme alimentaire mondial (PAM) à IRIN cette semaine. Un convoi de camions transportant des denrées alimentaires vient cependant d’y être envoyé. Au cours du mois écoulé, le PAM a distribué de la nourriture dans ou près de la plupart des autres principales agglomérations du Katanga, où se sont rassemblés de nombreux déplacés.

Sur les 17 000 personnes déplacées cette année dans les territoires de Kalemie, Moba et Manono, la plupart n’ont cependant reçu aucune aide, tout comme les 747 familles vivant le long de la route qui mène de Mitwaba à Kisele, a signalé l’OCHA le 23 avril.

Déplacements ininterrompus

Selon les estimations de la Commission des mouvements de population (CMP) - un organe officiel qui collecte des données fournies par les travailleurs humanitaires - le nombre total de déplacés dans le Katanga serait passé de 64 082 en décembre 2011 à 353 931 actuellement.

« Les besoins sont [...] énormes, que ce soit parmi les déplacés ou au sein des populations d’accueil », a dit l’OCHA dans un rapport publié le 10 avril. « De nombreux PDIP [personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays] sont devenus plus vulnérables en raison des déplacements répétés, souvent sur de grandes distances. »

Des vagues de déplacement ont été déclenchées par une recrudescence des violences orchestrées par les milices Maï-Maï depuis fin 2011. Selon Amadou Samake, responsable des opérations du PAM dans le Katanga, le « triangle de la mort », région se trouvant entre Mitwaba, Manono et Pweto, était presque vidé de sa population - composée de 75 000 foyers - en avril 2012. Fin 2012, le nombre de déplacés dépassait déjà les 300 000.

Le flux de personnes fuyant les zones de conflits s’est poursuivi et les violences commises par les Maï-Maï se sont étendues vers les territoires de Malemba Nkulu, Lubudi et Kambove, dans l’ouest et le sud.

Le 17 février, un groupe de la milice Maï-Maï nouvellement créée, connue sous le nom de Kata Katanga (« coupez le Katanga », en swahili), a tué trois hauts fonctionnaires et chassé la population de Kinsevere, à seulement 40 km de Lubumbashi, la capitale de la province.

Le 23 mars, quelque 400 membres des Kata Katanga légèrement armés ont quitté la brousse et sont entrés dans Lubumbashi, sans rencontrer d’opposition, avant d’être contraints à se rendre après un échange de tirs avec la Garde républicaine.

Dans ce contexte d’insécurité persistante, moins de dix pour cent des déplacés sont rentrés dans leurs villages, estime M. Samake.

Le PAM a apporté son aide à 250 000 personnes dans le Katanga l’année dernière, a-t-il dit, mais n’avait pas les moyens de garantir trois mois de rations aux déplacés, ce qui était pourtant son objectif pour le Nord-Kivu. Actuellement, a-t-il ajouté, l’agence dispose de 5 915 tonnes de nourriture en réserve ou en cours d’acheminement et nécessiterait 10 383 tonnes supplémentaires pour nourrir 320 000 déplacés dans le Katanga au deuxième trimestre de 2013.

Si les déplacés ne regagnent pas bientôt leur village, a dit M. Samake, la crise alimentaire dans la province sera aggravée par une nouvelle année sans récoltes.

Selon M. Nguyen, de l’UNICEF, une grande partie du Katanga était déjà en situation de crise alimentaire avant la résurgence des Maï-Maï en 2011. « Il manque des services essentiels dans tous les secteurs - santé, eau, nutrition et agriculture - et le conflit et les déplacements aggravent encore davantage une situation déjà difficile », a-t-il dit.

Détérioration des conditions de sécurité

L’OCHA a signalé une détérioration des conditions de sécurité en avril dans les territoires de Pweto, Manono et Mitwaba, où une douzaine de villages ont été attaqués par des groupes Maï-Maï.

Les Forces armées de la RDC (FARDC) ont récemment repris le contrôle de Shamwana, au centre du « triangle de la mort ». Thierry Vircoulon, analyste à International Crisis Group (ICG), affirme cependant que l’armée semble ne pas réussir à réprimer la rébellion Maï-Maï. Début 2013, l’armée ne disposait que de 1 000 hommes dans le Katanga, mais leur nombre s’élève maintenant à 2 500, ont dit à IRIN des sources au sein des Nations Unies.

L’instabilité règne dans le centre du Katanga depuis que le commandant Maï-Maï Gédéon Mtanga s’est échappé de prison en septembre 2011. Le commandant et plus de 1 000 sympathisants ont été libérés en plein jour de la prison centrale de Lubumbashi par huit hommes armés. Certains pensent que cette évasion a été arrangée par des responsables politiques locaux. Gédéon Mtanga a dirigé un groupe Maï-Maï connu pour sa brutalité et les attaques qu’il a commises sur des civils entre 2002 et 2007. Selon la lettre d’information d’Africa Confidential du 1er mars, « il a pour ambition de renverser l’ordre établi » et « ses hommes ont tué au moins 15 chefs traditionnels rien que dans le Nord Mitwaba ».

Selon l’OCHA, les Kata Katanga sont la deuxième principale source d’instabilité dans la province et les FARDC ont également tenté de combattre ce groupuscule.

Tout comme le violent groupe Maï-Maï Morgan, dans la province Orientale de la RDC, les Kata Katanga et les Maï-Maï Gédéon semblent tirer la plus grande partie de leurs revenus du braconnage, plutôt que des minerais ou de l’agriculture. Ils n’ont donc vraisemblablement pas besoin de beaucoup de soutien de la part de la population locale.

Aucun chiffre récent ne permet de déterminer le nombre de Maï-Maï dans le Katanga, mais ICG estime qu’ils étaient entre 5 000 et 8 000 en 2005.

À la suite de la répression sanglante d’un rassemblement des Kata Katanga à Lubumbashi le 23 mars, de hauts responsables du régime ont été accusés, dans un rapport réalisé par des militants de la société civile locale, d’avoir fourni des armes et des fonds au groupe.

M. Vircoulon, d’ICG, a dit à IRIN qu’il soupçonnait plusieurs « barons » locaux d’être à l’origine du mouvement des Kata Katanga.

Le général John Numbi, ancien chef de police de la RDC né à Malemba Nkulu et qui a bâti sa carrière comme organisateur politique au sein de l’ethnie Balubakat, dont est issu le président Joseph Kabila, serait à l’origine de l’insécurité dans la région. Selon ICG, M. Numbi aurait fourni des armes à Gédéon Mtanga entre 2002 et 2004. Il aurait ensuite organisé la chasse à l’homme qui a conduit à la capture du chef Maï-Maï.

En 2010, M. Numbi a été suspendu de ses fonctions de chef de police à la suite d’allégations l’accusant du meurtre du militant pour les droits de l’homme Floribert Chebeya.

Il convient de noter que Gédéon Mtanga et ses sympathisants avaient été capturés en 2007, après la victoire de M. Kabila aux élections, grâce au soutien d’une large coalition dans le Katanga et ailleurs dans le pays. Cette coalition est maintenant en train de se désagréger, ce qui permet aux groupes armés de reprendre leurs activités dans de nombreuses zones de l’est de la RDC.

Besoins de protection

« Compte tenu de la durée du conflit actuel, les acteurs humanitaires ne s’attendent pas à une quelconque amélioration en terme de nombre de déplacés ou de besoins humanitaires dans les prochains mois », a conclu l’OCHA dans un rapport sur le Katanga publié en avril.

Le rapport attire l’attention sur des allégations de violences qui auraient été perpétrées par l’armée et les Maï-Maï, dont la détention pendant deux jours et le viol répété de 50 femmes et 20 petites filles par des soldats en février 2012.

« À moins d’une présence accrue » de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), estime l’OCHA, « les violences de ce type vont se poursuivre et pourraient même augmenter, tout comme les déplacements de populations ».

Actuellement, 450 Casques bleus sont présents dans le Katanga, dont la superficie équivaut à celle de la France.

Le rapport appel de ses voux une solution politique du conflit et une reprise du programme gouvernemental de désarmement, démobilisation et réintégration des Maï-Maï. Il demande aussi que les acteurs humanitaires établissent un contact avec les groupes Maï-Maï afin de faciliter l’accès de l’aide et de sensibiliser les combattants au droit humanitaire international.

Source : http://www.irinnews.org