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GABON : UNE TRANSITION SANS RUPTURE (S) ?

D 15 novembre 2023     H 06:00     A Mengue M’Eyaà     C 0 messages


C’est en chantant « chassez le PDG ! » que les populations du Gabon ont manifesté la chute du clan Bongo au pouvoir depuis 55 ans. Ce chant a fait le tour du monde. Les Gabonais-e-s voulaient une rupture avec l’ancien régime. Ce sentiment était plus palpable à l’étranger où le régime a été battu de manière écrasante dans les urnes, notamment en France. La souveraineté du Gabon avait été sous-traitée à deux mairies d’arrondissement à Paris. De tels actes jamais connus auparavant ne peuvent que conduire à une rupture et non à un simple aménagement. On ne peut porter atteinte aux droits des citoyen-nes gabonais de voter en terre gabonaise. La souveraineté du Gabon n’est pas négociable.
Par un coup d’État de « salut public », pour reprendre une appellation révolutionnaire française, dans la nuit du 28 au 29 août 2023, un groupe de militaires de haut rang a pris le pouvoir au Gabon en arrêtant Ali Bongo et son clan.

Il a mis fin à un règne ininterrompue de 55 ans de pouvoir d’une dynastie installée par Jacques Foccart au sommet de l’Etat gabonais après la répression du coup d’Etat de 1964 de militaires nationalistes. L’ensemble des acteurs eurent à payer très cher par de l’emprisonnement, Jean-Hilaire Aubame, Jean-Marc Ekoh, Tsira Ndong Philippe, Marcel Eloi Chambrier, Pierre Louis Agondjo Okawé et bien d’autres.

Conformément à sa conception de la décolonisation, le régime gaulliste estimait utile de « contrôler » le destin du Gabon après son Indépendance formelle acquise le 17 août 1960. Ce fut le cas pendant tout le temps où Omar Bongo fut au pouvoir.

Une série d’évènements marquants et décisifs furent la crise de 1990, année pendant laquelle, suite au discours de la Baule du Président Mitterrand, un grand mouvement de libération secoua l’Afrique francophone. La crise fut multisectorielle au Gabon. Elle traversa tous les milieux, les entreprises, les administrations, les écoles et l’université. La répression fut intense et violente, mais la contestation du régime était forte, et fut incarnée par des leaders décidés.

Le régime faillit chuter mais fut sauvé par une médiation et une conférence nationale qui imposèrent le multipartisme à Omar Bongo.

Depuis lors, toutes les élections ont été perdues par le pouvoir conduisant à chaque annonce des résultats à des répressions et à des assassinats sauvages de Gabonais et Gabonaises mobilisé-e-s. Ce dernier scrutin de 2023 n’allait pas échapper à la règle de la non alternance imposée.

C’est pourquoi le peuple est descendu dans la rue criant son bonheur à la suite du changement de régime. Ainsi, l’impensable n’a pas eu lieu. Une transition pacifique, et inattendue, a pris la suite d’un régime honni.

Bien entendu, même si le candidat vainqueur contre Ali Bongo était Albert Ondo Ossa, il n’en restait pas moins selon les termes des militaires que l’élection avait été « tronquée », argument partagé par la plupart des acteurs si l’on reprend la chronologie : élection à un seul tour, regroupement de trois scrutins, bulletins uniques, observateurs et journalistes internationaux interdits.

Cet état de fait a néanmoins pour effet de sous-représenter l’opposition, pourtant majoritaire dans le pays.

Le pouvoir de la Charte

Dès sa prise de fonction, le nouveau pouvoir a rédigé et proposé une Charte de la Transition qui remplace en partie la constitution de 1991. Il s’agit de préparer l’instauration de la démocratie au Gabon, rien de moins qu’une telle ambition.
L’extrait du préambule mélange des considérations auto-justificatrices, des constats et des intentions partagées.

Il est créé un Comité pour la Transition et la Restauration des institutions (CTRI), une sorte de collectif de direction des militaires ayant organisé le changement de régime. A cet égard, l’ensemble des composantes des forces armées est uni dans cette finalité si l’on en juge par la liste de signataires de la Charte de la Transition dans laquelle figurent l’ensemble des représentants des forces armées et de sécurité.

L’incarnation de ce nouveau pouvoir est signifiée rapidement. Il s’agit du Général de Brigade, Brice Clotaire Oligui Nguéma, militaire de carrière, instruit dans une école militaire du Maroc, ayant longtemps été un proche collaborateur d’Omar, puis d’Ali Bongo.
Ce qui caractérise le plus la charte est le fait que les membres participants à la Transition sont exclus de fait des résultats de celle-ci, à savoir de concourir à la prochaine élection présidentielle. Des polémiques ont débuté sur le fait que l’actuel président de la Transition semblait s’exclure de cette règle imposée aux membres de son Gouvernement et des instances provisoires (Sénat, Assemblée nationale).

Sur d’autres points, si la Charte évoque dans son préambule un ensemble de droits humains fondamentaux, aucun paragraphe n’est dédié à la séparation des pouvoirs et à l’autorité judiciaire, cette autorité qui a été bafouée, instrumentalisée pendant les 55 années de la dynastie Bongo.

Les institutions de la Transition comprennent une Assemblée nationale et un Sénat de 50 membres nommés chacune qui auront une fonction constituante. Ils seront remplacés après les élections libres et transparentes voulues par les acteurs de la Transition dans un délai de deux années. Un conseil national, et la Cour constitutionnelle complètent ces institutions provisoires. Les nominations intervenues le 7 octobre 2023 ont démontré un nombre plus élevé de parlementaires, indiquant une première dérive dans les résolutions initiales.

La question de la parité femmes-hommes n’est pas un sujet retenu par la Charte et l’on se surprend à découvrir que quelques phrases faisant appel à une hypothétique bonne volonté (article 55 de la Charte). Le patriarcat ethnico-religieux n’est pas encore bousculé au Gabon par la Transition. Il faut espérer qu’il le soit dans les prochains mois, et rappeler que le Gabon est constitué davantage de femmes que d’hommes. La représentativité des femmes dans les institutions est déjà sacrifiée
 10 % de femmes dans l’exécutif du Parlement de transition
 0% de femmes parmi les hauts représentants du Chef de la Transition.

Les premiers moments de la Transition

Au-delà des instants de liesse populaire qui ont suivi la « libération » du Gabon, selon le mot du Général Oligui Nguéna, un certain nombre d’actes ont été posés qui, sans être une véritable rupture, ont frappé les esprits. Le premier responsable de la dictature Ali Bongo a brièvement été placé en résidence surveillée, ainsi que Mme Sylvia Bongo, principale décisionnaire sur le pays depuis l’AVC en 2018. Un certain nombre de crimes financiers sont révélés pour elle, Nourredine Bongo et leurs équipes respectives (la « young team » selon l’expression publique).

Si les Gabonais-e-s avaient connaissance de cette situation, la divulgation des crimes institutionnels et financiers est en soi une nouveauté due à la Transition. Cependant, sur 55 années de gestion par le clan Bongo, la population est en attente d’une justice sur tous les crimes commis depuis 1967, qui ne sauraient se limiter aux seules deux dernières années.
La transition doit s’écarter des modes de gestion précédents, du culte de la personnalité naissant, rétablir le pluralisme d’expression et la prise de décision collective, la consultation des populations. Elle doit marquer une véritable rupture qui doit s’inscrire dans les structures, et non dans le volontarisme du Président de la Transition.

Les médias qui étaient au service du régime précédent ne doivent plus pouvoir continuer à chanter les louanges du pouvoir. Un changement d’époque ne peut avoir lieu sans un changement de mœurs, l’avènement d’une société libre, démocratique, et dans laquelle les échanges et les enjeux doivent être ouverts à toutes et à tous. La diversité des opinions est en principe affirmée par la Charte (chapitre IV) et il est donc urgent que les arrestations de journalistes, ou d’opposants, cessent, comme c’était l’habitude sous l’ancien régime dès lors que la moindre critique était émise.

En élargissant la focale, le rôle de la presse a été essentiel dans la divulgation des agissements du pouvoir depuis les années 1990 et les suites de la Conférence nationale. Malgré les intimidations, les destructions (Radio Soleil), chaque Gabonais-e a en tête les titres de journaux qui ont pu survivre un temps et informer de la réalité du pouvoir despotique. La presse doit donc être aidée équitablement par un fonds public sans chantage du pouvoir, sur la base de critère objectifs, économiques, et non d’opinion. C’est cela aussi la rupture et cet appui à l’exercice de la démocratie est à formaliser. Être journaliste est un métier. Les journalistes n’ont pas besoin de leçons de morale de la part du pouvoir politique. Une démocratie digne de ce nom, qui succède à une tyrannie, doit impérativement respecter le droit de la presse et sa déontologie liée au métier.
Les enjeux de gouvernance sont encore flous

On ne reviendra pas sur la question de l’annulation de l’élection présidentielle, acte fondateur qui fait suite au coup d’État. Elle a, quoi qu’on en dise, pénalisé la dynamique de la coalition de l’opposition « Alternance 2023 ».

En effet, en dehors du processus électoral, le choix du CTRI a été à la fois de rassurer l’opinion nationale et internationale sur son intention de ne pas s’installer au pouvoir, mais, en même temps, de maintenir aux responsabilités une partie des élites du passé
Cette situation a progressivement été mise sur le compte de la durée de la Transition et de l’urgence.

Les applaudissements des populations après le coup d’État ont été accompagnés du slogan : « chassez le PDG ! ».

La coexistence pacifique entre un pays majoritairement proche de l’opposition et la minorité violente qui a dirigé le pays pendant plus de 50 ans pose de nombreuses difficultés. De plus, les personnes censées représenter l’opposition dans le Gouvernement ressemblent davantage à des entrepreneurs individuels, à l’exception notable de Paulette Missambo, qui est présidente du Sénat. Les personnes dites de la « société civile » choisies sont elles-mêmes assez actives dans les médias internationaux et faiblement présentes au plan local. En plus de ses multiples maux, le régime Bongo souffrait d’un déficit de légitimité. Il serait dommage que le CTRI continue à s’entourer d’un casting aux mêmes caractéristiques. La composition des membres des chambres, nommés par le pouvoir de Transition est un mauvais signe donné avec une majorité donnée aux membres du parti d’Ali Bongo.
De même, on peut s’interroger sur une partie de la « société civile » qui empiète sur la vie politique et semble vouloir tenter de prendre la place y compris des partis politiques d’opposition traditionnelles. Elle va même prendre la parole au nom des Gabonais-e-s de l’étranger sans aucune sorte de mandat.

Si l’on considère que la chute du régime est un évènement fondateur, celle-ci ne peut avoir lieu sans qu’une mise à plat du système du pouvoir soit visible dans l’opinion publique gabonaise. Il serait plus difficile de marquer les responsabilités à la fin de la Transition d’ici deux années ou moins.

Or, telle qu’elle apparaît, dans une sorte d’œcuménisme déculpabilisant, la volonté politique du Président de la Transition crée une illusion de la rupture. Celle-ci est nécessaire afin de mettre fin réellement à la criminalité du régime précédent, un état de fait caractérisé par la corruption dans le moindre interstice de l’État « rhizome » (Jean-François Bayart – 2002), un système élaboré de prébendes.

La place de l’autorité judiciaire dans la Transition a été rendue secondaire (pas un paragraphe dans la Charte). La question de la sanction judiciaire vis-à-vis des exécutants de l’ancien Régime devrait être posée de manière plus franche et directe.

Au lieu de cela, sous des pressions internationales, Ali Bongo est libre de ses mouvements en oubliant sans doute que son règne n’a pas débuté en 2018, au moment de son AVC, mais en 2009, dans la répression violente contre les réactions à sa pseudo élection. Par conséquent, coupable d’exactions, et de crimes de sang, en plus de crimes financiers, il est impensable que M. Bongo puisse être hors d’atteintes judiciaires au Gabon afin de faire plaisir à M.Touadéra, président pro-russe de République Centrafricaine.

Le paradoxe est même qu’il est poursuivi par des tribunaux français ou américains « pour les biens mal acquis » en raison de la perte de son immunité présidentielle et qu’il serait « libre » au Gabon.

Le non-agir du chef de la Transition concernant une partie de l’ex famille régnante pourrait éveiller un soupçon de connivence, ce que chacun évite soigneusement d’envisager, à ce jour, compte tenu de l’acte initial posé par le pouvoir militaire.

La Transition dans les enjeux mondiaux

Quelle que soit sa durée, les enjeux mondiaux concernent le Gabon. Le pays ne peut en être absent sous prétexte qu’il réforme sa gouvernance démocratique.
Lorsque le Président Oligui Nguéma a reçu son ministre du pétrole, un propos a été retenu : « notre objectif : renforcer notre secteur pétrolier et le faire prospérer ».
Dans cet entretien, il n’est pas fait allusion à l’éventuelle préparation du Gabon à la sortie du pétrole, ni même envisager la transition écologique et à la conversion aux énergies propres.

Depuis plus de 50 ans, la dynamique de croissance du Gabon a été de privilégier, sans autres choix, les hydrocarbures dans une course frénétique aux profits au détriment des populations. Cette dépendance de l’économie nationale au pétrole la rend très fragile, sensible aux cours mondiaux, dont le Gabon n’a pas la maîtrise.

Les enjeux écologiques sont majeurs dans le monde obligeant les plus grandes économies mondiales à trouver des solutions. Le Gabon, pays africain, bénéficie comme on le sait, d’un atout considérable, sa canopée et sa forêt primaire, qui couvrent encore l’essentiel du territoire, malgré les trafics illégaux du régime précédent. La transition écologique positionne le Gabon en tant qu’acteur central. La Transition doit être le moyen de relancer cette discussion au plan international car il détermine son avenir proche. Il s’agit aussi d’une économie d’avenir.

Les sociétés démocratiques sont également traversées par des interrogations autour de l’égalité femmes et hommes. Cette dimension a été à nouveau soulignée par la déflagration « Metoo » et ses conséquences sur la remise en cause d’une vision du patriarcat.
Or beaucoup d’États sont régis sur le modèle théocratiques. Il y a bien entendu les dictatures comme l’Iran ou l’Afghanistan. Les États-Unis, État libéral, sont traversés, eux-aussi, par des clivages violents sur ces questions, et son modèle démocratique est remis en cause. Au Gabon, il est nécessaire de renforcer la laïcité de l’État, rappelée dans la Charte adoptée par les autorités de la Transition. La laïcité est protectrice des croyances diverses des citoyens. Elle a aussi comme effet de protéger les femmes des attaques permanentes directes et indirectes menées par les religions sur leur corps et sur leur être. La pratique des gouvernants et d’une partie de l’élite politico-religieuse a été dans un passé récent de mélanger les invocations religieuses individuelles et la gestion de l’État, créant des ambiguïtés permanentes.

Le progrès social ne peut s’embarrasser d’injonctions religieuses, qui doivent être réservées, sur le principe de l’acceptation individuelle, au domaine du privé. En somme, la croyance doit s’exprimer dans les lieux de culte dans le cadre des manifestations propres aux religions, et non au sommet de l’État et de ceux le représentent.

Les pressions sont fortes au Gabon car les entreprises religieuses, essentiellement évangélistes, sont nombreuses et occupent une large part d’un marché très concurrentiel. Avec la Transition, sur un sujet sensible, l’État doit être un garant sans prêter le flanc à la moindre concession aux cultes quels qu’ils soient. La séparation des églises et de l’État est un facteur essentiel de l’émancipation des femmes au sein de la République.

La Transition a commencé au Gabon, et elle porte en elle-même les germes de ses propres interrogations. La question de sa durée, qui doit être la plus courte possible, au maximum une année, n’est pas la seule problématique. Des secteurs entiers sont laissés en roue libre pour le moment permettant aux élites choisies par l’ancien régime de gagner un temps précieux à échapper à toutes procédures judiciaires. Par exemple, que deviennent les ambassadeurs à l‘étranger nommés par M. Bongo ?

La situation du Président de la Transition doit faire l’objet d’un éclaircissement, car elle détermine toute la suite du processus de reconstruction démocratique. C’est un sujet qui participe à la pollution de toute projection dans l’avenir.

Les sujets de partage des richesses collectives, de solidarité et de protection sociales, d’éducation et de subsistance ne doivent pas être délaissés. Il en est de même de la Culture et de nos patrimoines et matrimoines nationaux, dont tous les Gabonais-e-s doivent être fiers. Ces sujets ne peuvent être portés par un pouvoir transitoire d’où l’évidente obligation de revenir rapidement aux élections présidentielles, sans faire appel à une Conférence nationale. Celle-ci n’a pas d’utilité compte tenu du contexte non violent et non conflictuel dès lors que chacun reconnaît qu’il faut abréger la période transitoire.
La condition des femmes est une dimension à réévaluer à la hausse en termes de représentation nationale. Il existe une expertise féminine qui gagne à être connue.
Il ne faudrait pas qu’à la violence politique et à l’arbitraire succède une forme d’œcuménisme politique absurde !

Il faut également s’étonner de l’absence de prise en compte des Gabonais et Gabonaises de l’extérieur, qui ont inventé des formes de mobilisation nouvelles en Europe et dans le monde, et ont traduit, pour ceux et celles réduit-e-s au silence au Gabon une opposition claire et déterminée au régime. Elle s’est en particulier manifestée par des résultats électoraux écrasants en faveur du changement au Gabon. Ces citoyens sont absent-e-s de la Transition, et il faudra bien y remédier.

Les militaires gabonais ont souhaité la reprise en main du Gabon. Il faut qu’à tous les niveaux, la reprise en mains soit effective dans un esprit de réconciliation mais aussi dans un esprit de justice et de fermeté, de droits nouveaux pour les populations et de sanctions pour les tricheurs du pouvoir passé, présent et futur. La Transition doit être la plus courte possible. C’est là tout l’enjeu de sa réussite !

Mengue M’Éyaà Bonnet,
Journaliste,
Présidente du Mouvement Civique des Femmes,
Féministe,
Ancienne conseillère spéciale du candidat Pr. Albert Ondo Ossa (2023)

Fait à Paris, le 22 octobre 2023

Source : http://mouvementciviquedugabon2009.unblog.fr/