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Tchad : l’impasse après la mascarade électorale du 10 avril

D 31 octobre 2016     H 16:44     A Makaila Nguebla     C 0 messages


A l’instar de ses homologues africains, Denis Sassou N’Guesso du Congo, Ismaël Oumar Guelleh de Djibouti qui ont organisé des simulacres d’élections, Idriss Deby au Tchad n’a pas dérogé à la règle. Il a organisé le 10 avril 2016 une élection présidentielle traduite par une véritable mascarade dans un contexte de tension politique et sociale, marquée par de nombreuses arrestations de membres de la société civile et des mouvements citoyens hostiles à sa candidature à un cinquième mandat. Il s’est fait élire avec un score de 61,56 % qui lui a été attribué par une commission électorale nationale indépendante (Céni) et un Conseil constitutionnel qui lui sont totalement acquis.

Le 10 avril, plus de six millions d’électeurs-(rices) ont voté dans un contexte politique particulier. Pour la première fois, la biométrie a été introduite dans les traditions électorales du pays afin de garantir une élection libre, juste, transparente et équitable.

Si l’avènement de la biométrie au Nigéria, au Ghana et dans d’autres pays africains, a abouti à des élections libres et transparentes, sanctionnées par des présidents démocratiquement élus, il n’en va pas de même au Tchad où a eu lieu une élection fortement contestée et marquée par des violences.

Le processus électoral a été biaisé en amont par le régime d’Idriss Deby à travers la Céni, institution gouvernementale totalement acquise au pouvoir. Elle a procédé au nez et à la barbe de tous à l’enrôlement massif, dans les camps, de réfugiés soudanais, centrafricains et nigérians auxquels elle a délivré des cartes d’électeurs pour le compte du Mouvement patriotique du salut (MPS), le parti au pouvoir.

L’opposition avait dénoncé cette tricherie évidente sans obtenir gain de cause. Le processus électoral a été interrompu de manière unilatérale par le gouvernement pour organiser une élection qui ne répond pas aux normes démocratiques.

Plusieurs militaires arrêtés et torturés

Redoutant un inévitable hold-up électoral par le régime, les organisations de la société civile et des mouvements citoyens ont créé des plateformes appelées : « Trop c’est trop », « Ça suffit » et « Iyina, on est fatigué » pour contester la candidature d’Idriss Deby à ce cinquième mandat à travers des manifestations et autres moyens pacifiques. Cette prise de conscience citoyenne s’est heurtée à la résistance du régime qui a procédé à des arrestations arbitraires des leaders de ces organisations, mettant ainsi, un terme à toute mobilisation populaire dans le pays.

Le 10 avril, l’élection présidentielle s’est déroulée dans un calme et surtout une mobilisation réelle des Tchadiens qui ont voulu changer le cours de l’histoire du pays par les urnes afin d’aboutir à une d’alternance politique pacifique. Mais, fidèle à sa légendaire tradition d’intimidation et de répression, le régime a déployé des militaires sur l’ensemble du territoire afin de dissuader les électeurs favorables aux partis d’opposition de voter en faveur de ces derniers.

Pour n’avoir pas voté Idriss Deby le 9 avril, plusieurs militaires ont été arrêtés, torturés et envoyés au Nord pour subir des sévices. Certains d’entre, eux ont mystérieusement disparu.

L’isoloir étant transparent, les autorités ont pu surveiller et identifier les militaires n’ayant pas voté pour le candidat Idriss Deby. Leurs familles ont alerté l’opposition et la société civile qui ont relayé l’information pour l’opinion publique. Le 26 août dernier, le parquet de N’Djamena a classé sans suite le dossier lié à la disparition de ces militaires. Les organisations internationales comme Amnesty International et la Fédération International de Défense des Droits (FIDH) envisagent de saisir les juridictions internationales pour faire la lumière dans cette affaire.

Idriss Deby investi le 8 août dans un climat tendu

Il est indéniable que l’élection présidentielle s’est déroulée dans de conditions irrégulières. En dépit des manœuvres du régime, les candidats de l’opposition ont réussi à battre un Idriss Deby devenu impopulaire du fait de sa mauvaise gestion et des violations des droits humains dont sont victime les Tchadiens. Ce qui a poussé les électeurs à voter pour les candidats de l’opposition qui aspirent au changement et à l’alternance.
Mais au moment où tout le pays s’attendait à un second tour, à la surprise générale, la Ceni et le Conseil constitutionnel, sur ordre du pouvoir, ont modifié tous les procès-verbaux en annonçant de faux résultats pour faire réélire Idriss Deby avec un score de 61,56 %.

Après une mascarade électorale, Idriss Deby a été investi, le 8 août dans un climat tendu. L’opposition regroupée au sein du Front de l’opposition nouvelle pour l’alternance et le changement (Fonac) avait annoncé des actions citoyennes pour protester contre ce hold-up électoral. Elle a appelé à des meetings et à une ville morte. Ses marches ont été interdites et réprimées. Un jeune étudiant a été abattu par les forces de l’ordre.

Seule l’implication de la communauté internationale pourrait contraindre Deby

Vu des institutions internationales, Organisation des Nations Unies, Union Européenne, Union africaine et des Etats-Unis, Idriss Deby reste un allié de poids dans la lutte contre le terrorisme au Sahel où le Tchad occupe une place stratégique. Ce postulat est contesté par les Tchadiens dans leur écrasante majorité. L’approche internationale contraste totalement avec les principes universels qui régissent ces organisations et les partenaires du développement.

Depuis 26 ans, Idriss Deby dirige le Tchad d’une main de fer grâce à une armée répressive composée essentiellement des membres de sa famille. Ils occupent les postes militaires stratégiques. Si dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le maintien de la paix l’intervention de l’armée est saluée sous d’autres cieux, elle est en revanche dépréciée au niveau national car elle réprime et tue les Tchadiens dans une totale impunité.
Devant ce blocage politique, le secrétaire général adjoint des Nations unies, Jeffrey Feltman, reçu début juillet, par Idriss Deby, l’avait appelé à la tenue d’un dialogue politique inclusif avant les élections législatives. Mais le pouvoir n’est pas enclin à organiser ce dialogue, élargi aux organisations de la société civile, aux forces démocratiques et aux mouvements d’opposition politico-militaire qui menacent de reprendre la lutte armée. L’opposition, la société civile et la diaspora, très actives, estiment par ailleurs qu’aucun dialogue ne peut être entamé avec le pouvoir et Idriss Deby sans avoir réglé le contentieux post-électoral.

Au regard de cette situation extrêmement préoccupante, le Tchad se trouve dans une impasse au niveau politique, social et économique. Seule une implication massive de la communauté internationale pourrait contraindre Idriss Deby à céder. Toutefois, il revient aux Tchadiens, premiers concernés, de se mobiliser contre les pratiques anti-démocratiques de ce régime à travers des actions citoyennes d’envergures qui feront triompher la démocratie et l’Etat de droit pour des aspirations populaires.

Makaila Nguebla