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Mayotte : de quoi l’épidémie de choléra est le nom ?

D 10 mai 2024     H 06:00     A Frank Prouhet     C 0 messages


Mayotte, 101e département français, enregistrait 37 cas de choléra au 1er mai. Entre crise majeure de l’accès à l’eau potable, extrême précarité, système de santé effondré, et une police qui multiplie la chasse aux sans-papiers comoriens autour des points d’eau et des rares structures sanitaires, tout concourt à l’émergence d’une épidémie massive de choléra.

Le choléra est une maladie des eaux souillées par des selles infectées, qui causent diarrhée et déshydratation parfois mortelle. Des mesures d’hygiène simple peuvent éviter sa propagation, et un traitement rapide ses complications. Voilà pour la théorie. Car dans la pratique c’est toujours sur fond de grande précarité économique et sanitaire, de difficultés d’accès à l’eau potable, de systèmes de solidarité effondrés par la guerre ou la misère que le choléra se développe, comme à Haïti ou au Yémen. Sans oublier le rôle du réchauffement climatique, entre inondations qui contaminent les points d’eau et sécheresses qui concentrent les populations les plus fragiles. Un vaccin existe, mais faute d’investissements, il est partout dans le monde en pénurie alors que le nombre de cas et le nombre de pays touchés explosent dans le monde.

Crise coloniale, sociale et migratoire

À Mayotte, le développement du choléra est au croisement de la crise sociale et coloniale de l’eau et de la crise migratoire. L’épidémie est arrivée à Mayotte via des immigréEs des Comores, où le choléra a déjà fait plus de 60 morts. Ces sans-papiers, parquéEs dans des bidonvilles sans sanitaires et sans eau potable, sont traquéEs par la police de Darmanin qui multiplie les contrôles autour des points d’eau et des structures de santé, privant les migrantEs illégaux d’accès à une eau non souillée et aux soins rapides, ce qui favorise la diffusion. Face au refus de la puissance coloniale française d’investir dans le système de santé, une partie de la population mahoraise interdit physiquement aux ComorienNEs l’accès aux centres de santé. Croyant défendre leur santé en excluant celle des autres, ils ne font que faciliter l’explosion du choléra. MahoraisEs ou ComorienNEs illégaux sont dans le même bateau face au choléra. Darmanin doit retirer sa police. L’État français doit garantir l’égalité des droits aux MahoraisEs et aux sans-papiers, notamment en matière de santé et d’accès à l’eau potable.

Santé et droits sociaux oubliés

À Mayotte, la crise de l’eau vient de loin. 30 % des logements sont sans eau courante, 60 % sont dépourvus du confort sanitaire de base ! Mayotte n’intéresse l’État français que parce qu’il lui permet de contrôler un large espace maritime dans l’océan Indien. Mais le colonialisme n’a que faire de la santé et des droits sociaux des populations. Depuis septembre 2023, les 300 000 habitantEs de l’île sont privéEs d’eau du robinet deux jours sur trois, sur fond de modification du climat, avec 40 % de précipitations en moins par rapport à une année normale. Sur l’île, l’eau potable vient à 80 % de l’eau de pluie stockée dans deux retenues collinaires. Ces deux bassins sont quasiment vides. Pourtant depuis 2009, la construction d’une troisième retenue d’eau, qui aurait doublé les capacités de stockage, est en discussion. Une enquête de Blast montre qu’elle est au point mort depuis 15 ans ! Le terrain appartient à une grande famille mahoraise, les Bamana, que l’État français veut d’autant moins exproprier que cette famille a été le fer de lance du rattachement de Mayotte à la France ! Intérêts coloniaux et des grands propriétaires se rejoignent.

Informer, isoler et traiter

Vaincre le choléra à Mayotte ne se fera pas contre les sans-­papiers et les plus pauvres, mais bien avec eux. Darmanin doit retirer sa police de l’opération « Place nette ». Elle doit être remplacée, comme à Haïti qui a vaincu l’épidémie de choléra, par des équipes mobiles d’urgence de travailleurEs de santé communautaire pour mobiliser les populations les plus fragiles, souvent sans-papiers, pour informer, dépister, isoler et traiter rapidement les cas de choléra. Comme le soulignent l’Unicef, la Cimade, la Fondation Abbé-Pierre et Médecins du Monde, « les mesures sécuritaires sont incompatibles avec la lutte contre le choléra ». Elles exigent « liberté de circulation, droit au logement, accès à l’éducation, la santé et un environnement sain ». Tout l’opposé de la politique néo­coloniale et policière de la France.

Frank Prouhet