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Kenya : Les investisseurs étrangers protégés des obligations envers les communautés locales

D 29 juin 2010     H 13:08     A Isolda Agazzi     C 0 messages


NAIROBI, 21 avr (IPS) - Des parties du delta de Tana, sur le littoral nord du Kenya, sont en train d’être louées à des étrangers pour produire des cultures alimentaires et des biocarburants destinés à l’exportation.

Les organisations de la société civile s’inquiètent à propos de tels accords puisqu’ils se font sans la consultation du public tout en protégeant les investisseurs contre les exigences qui pourraient profiter aux communautés locales, telles que le transfert de technologie.

Le gouvernement du Qatar a demandé 40.000 hectares dans le delta fertile de Tana pour produire des cultures alimentaires destinées à l’exportation, contre la construction d’un port dans la ville de Lamu sur le littoral nord du Kenya, selon Paul Matiku, directeur de Kenya Nature, une organisation non gouvernementale (ONG) locale qui surveille ce qu’elle considère comme une saisie des terres.

"Le problème est qu’il n’existe aucun système de gestion central pour le delta et aucune reconnaissance des droits des populations sur la zone. Comment se fait la planification ? Nous n’en savons rien", a-t-il déclaré.

Matiku participait à une table ronde organisée par ’Media 21 Global Journalism Network’ à Nairobi avant la première conférence des ministres africains responsables de la Météorologie. L’atelier a pris fin le 16 Avril. ’Media 21’ est une initiative basée à Genève, lancée pour améliorer la couverture médiatique des questions complexes qui prévalent aujourd’hui dans le monde.

La récente acquisition à grande échelle de terres au Kenya et en Afrique en général se fait de façon louche puisque les gouvernements négocient à huis clos. Certaines ONG tentent de trouver et de diffuser des informations sur ces accords mais on n’en connaît qu’une petite partie.

Matiku a expliqué que plusieurs entreprises sont actives dans le delta de Tana : Mat International a demandé 30.000 ha pour la première culture de la canne à sucre ; 90.000 ha supplémentaires font partie de l’accord. Une société appelée Tiomin envisage d’exploiter les dunes de sable. D’autres sociétés privées veulent cultiver du maïs afin de tirer profit des crises alimentaires futures comme celle de 2008/09.

"Dans ces accords, les coûts environnementaux sont généralement négligés : la perte d’eau, la diversité des espèces et des écosystèmes qui sont essentiels pour la sécurité alimentaire", a fait remarquer Jonathan Davies de l’Union internationale pour la préservation de la nature (UICN) à Nairobi. L’UICN est une ONG internationale qui fait la promotion du développement durable.

"Qui est responsable de ces pertes environnementales ? Il est probable que les gouvernements nationaux et les communautés locales, au lieu des investisseurs, supporteront les coûts", a ajouté Davies.

Matiku a insisté que les gouvernements africains supposent à tort qu’il existe beaucoup de terres inexploitées en Afrique et qu’on peut gagner de l’argent en exportant des cultures. "Mais des gains à court terme amèneront l’Afrique à perdre son capital naturel", a-t-il prévenu.

Pour John Mutunga, directeur général de la Fédération nationale des producteurs agricoles du Kenya, ces transactions foncières ne profitent pas aux populations où beaucoup de gens dépendent de l’agriculture de subsistance. La destruction de la biodiversité, à cause de la monoculture, présente également de graves conséquences pour l’environnement.

Par ailleurs, l’eau est rare en Afrique et la plupart des projets exigent l’irrigation.

Mais il a lancé une note d’espoir en ajoutant : "il peut y avoir certains attributs positifs puisque nous pouvons recevoir des transferts de technologie".

Mais Davies était moins optimiste : "En théorie, les investissements étrangers peuvent apporter une nouvelle technologie, des infrastructures et un meilleur accès aux intrants. Mais, en pratique, je n’en ai pas vu".

Serait-il possible d’obliger les entreprises étrangères à vendre une certaine quantité de leur production sur le marché local ? "Ce serait possible si nous avions une politique favorable à l’investissement", a répondu Mutunga. "Mais nous n’en avons pas".

Mais l’idée selon laquelle les entreprises étrangères pourraient vendre des produits agricoles sur le marché local rencontrera de nombreuses difficultés, a confié à IPS, Mark Halle, directeur de l’Institut international pour le développement durable (IIDD) à Genève. L’IIDD est une ONG qui a beaucoup travaillé sur la question des investissements étrangers. Halle est aussi sceptique que Davies.

"Tout d’abord, l’OMC (Organisation mondiale du commerce) interdit les restrictions quantitatives sur les exportations. L’obligation de vendre au marché local une partie des vivres que les investisseurs produisent imposerait sans doute des limites quantitatives sur les produits d’exportation", a-t-il expliqué.

"Cela dit, les obligations imposées aux Etats conformément aux traités internationaux sur les investissements et les contrats d’investissement entre l’investisseur et le gouvernement sont beaucoup plus appropriées que les règles de l’OMC", a ajouté Halle.

"Elles ont le potentiel de restreindre sérieusement la capacité des Etats à adopter des règles qui assureraient que les investissements agricoles soient faits de manière durable".

Il a expliqué qu’un certain nombre de traités sur les investissements contiennent une interdiction des "exigences de performance". Cela interdit aux parties concernées par le traité d’imposer ou d’appliquer, entre autres, des exigences qui se rapportent au transfert de technologie ou à la quantité des produits d’exportation et des ventes.

Mais même les traités sur les investissements qui ne comportent pas une interdiction sur les exigences de performance pourraient entrer en conflit avec les efforts du gouvernement d’adopter des mesures appropriées dans le domaine des investissements agricoles – notamment lorsque ces mesures sont perçues comme étant en conflit avec les "attentes légitimes" des investisseurs.

"Contrairement aux règles de l’OMC, les traités internationaux sur les investissements permettent aux investisseurs de mettre en cause directement les actions et les mesures des Etats hôtes", a poursuivi Halle. "L’expérience montre que les investisseurs ne répugnent pas à mettre en cause tout un ensemble de mesures de politique publique conformément à leurs traités internationaux sur les investissements".

Pour Halle, il n’y a aucune raison de croire que cela serait différent dans un domaine impliquant des questions complexes de terres, de la sécurité alimentaire et de droits à l’eau.

"Il est donc essentiel que tout gouvernement envisageant de conclure un important accord agricole procède à une évaluation rigoureuse des implications juridiques aux niveaux national et international et élabore le contrat avec l’investisseur avec le plus grand soin et avec la participation de toutes les communautés touchées". (FIN/2010)

Source IPS Inter Press Service Afrique