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SOUDAN DU SUD : Briser le cycle de la violence à Jonglei

D 8 février 2012     H 05:02     A IRIN     C 0 messages


JUBA - Des civils des deux camps qui ont été blessés dans le conflit entre les communautés Lou Nuer et Murle, dans l’État de Jonglei, au Soudan du Sud, sont allongés côte à côte dans la chaleur suffocante d’une salle d’hôpital à Juba, la capitale du nouveau pays.

Selon la dernière évaluation des Nations Unies, au moins 120 000 personnes ont été affectées par les violences et celles-ci pourraient facilement s’intensifier.

« La violence à Jonglei n’a pas cessé. notre plan d’intervention d’urgence pour Jonglei pourrait permettre de venir en aide à environ 180 000 personnes », et la moitié d’entre elles ont déjà besoin d’une aide alimentaire, a dit Lise Grande, coordinatrice des opérations humanitaires des Nations Unies au Soudan du Sud, le 20 janvier.

Des responsables locaux ont laissé entendre que des ’milliers’ de personnes avaient été tuées au cours des dernières semaines. Ces informations n’ont cependant pas pu être confirmées par des sources indépendantes et les Nations Unies ont dit qu’il était impossible de fournir un bilan du nombre de victimes en si peu de temps pour un territoire aussi vaste.

À l’hôpital, Amon Lull Chop évente sa fillette de quatre ans, Nyaduk, qui a été incapable de suivre sa famille lorsque celle-ci a fui une attaque menée contre la localité de Duk Padiet, dans le comté de Duk, la semaine dernière. Selon le gouvernement, cette attaque aurait fait plus de 80 victimes. Au cours des deux dernières semaines, environ 70 autres seraient décédées lors d’attaques similaires menées par des membres de la communauté Murle.

« Elle a dormi toute seule jusqu’à ce que je suis revenu le lendemain matin et que je l’ai retrouvée. Ses intestins sortaient de son ventre là où ils avaient tiré et frappé avec un couteau », a-t-elle raconté en montrant un bandage allant du nombril jusqu’à la poitrine de Nyaduk.

Ces attaques sont survenues après qu’environ 8 000 jeunes Lou Nuer, auxquels se seraient joints des membres du groupe ethnique majoritaire dans le pays, les Dinka, ont marché sur Pibor à la fin 2011, détruisant les villages environnants et tuant et enlevant des femmes et des enfants.

La Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) a suivi l’avancée du groupe vers la ville de Pibor. Or, même avec l’aide de 800 soldats du gouvernement, les 400 casques bleus déployés à Pibor n’étaient pas suffisamment nombreux pour répondre à l’attaque et la MINUSS a dû se contenter de conseiller aux civils de fuir dans la brousse ou de se réfugier derrière les barrières protectrices érigées dans la ville.

Des milliers de personnes comme Lilkeng Gada ont suivi ses conseils et ont fui, mais elles ont été pourchassées jusque dans leur cachette.

« Nous voulions nous cacher des Lou Nuer, mais ils ont réussi à nous retrouver », a-t-elle dit. « Nous étions assis là, tranquilles, et ils ont surgi de nulle part et nous ont tiré dessus. Je suis tombée par terre et ils m’ont laissée là, et un de mes enfants a fui, mais mon mari et deux autres de mes enfants ont été abattus.

« Je suis toute seule maintenant. Je ne sais pas quoi faire, comment élever mes enfants. Nous avions des vaches, mais elles ont été volées... J’ignore comment nous allons survivre ».

Cibler les plus vulnérables

Dans un autre lit de l’hôpital de Juba, Peter Nanou, qui porte un plâtre sur sa jambe blessée par balle, raconte qu’il n’a pas pu sauver sa grand-mère lorsque son village, situé près de Pibor, a été attaqué.

« C’était moi qui m’en occupais. Quand les Lou Nuer ont attaqué le village, je me suis enfui avec ma mère. Ma grand-mère est restée derrière et elle a été abattue », a-t-il dit.

Les organisations d’aide humanitaire et les autorités ont exprimé leur consternation devant le nombre de femmes, d’enfants et de personnes âgées qui ont été tués ou blessés dans les attaques.

L’organisation humanitaire médicale Médecins Sans Frontières (MSF) a dit que la moitié des patients qu’elle avait évacués par avion à la suite d’une attaque menée le 11 janvier contre le village de Wek, dans le comté d’Uror, avaient moins de cinq ans.

La plupart d’entre eux souffraient de blessures par balle et avaient été battus. Selon le gouvernement, 57 personnes ont été tuées et 53 blessées à Wek.

Des bénévoles de la Croix-Rouge du Soudan du Sud offrent une assistance à environ 150 mineurs non accompagnés à Pibor et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a retrouvé les parents de 109 enfants qui y avaient été enregistrés.

« J’ai eu conscience d’au moins 50 enlèvements d’enfants par des membres de ma communauté », a dit un travailleur humanitaire Lou Nuer qui a fui la ville d’Akobo au début du mois de janvier.

Moteurs du conflit

On attribue souvent les affrontements à la grande quantité d’armes légères en circulation et aux nombreux vols de bétail menés en représailles depuis plusieurs dizaines d’années (quelque 80 000 bêtes ont été volées au cours des dernières semaines). Or, d’autres facteurs sont également en cause.

« Les vols de bétail menés en représailles à Jonglei ne suffisent pas à expliquer les violences. De manière plus générale, les questions de responsabilité, de réconciliation, d’inclusion politique et de développement doivent également être abordées, de même que le problème de l’absence d’une véritable autorité étatique », a écrit Jennifer Christian, analyste des politiques du Soudan pour Enough Project, dans un communiqué publié le 9 janvier.

« L’isolement politique et sécuritaire des deux communautés a contribué à l’émergence d’autorités parallèles et fait de la violence l’un des rares mécanismes disponibles pour répondre aux doléances des communautés », a indiqué le communiqué.

Selon le Conseil des Églises du Soudan (Sudan Council of Churches,SCC), les changements sociaux ont également contribué à exacerber les tensions.

« Il y a eu une rupture entre les jeunes et les leaders traditionnels et politiques. La tradition selon laquelle les jeunes doivent respecter et écouter leurs aînés a disparu. Si les jeunes ne s’impliquent pas et ne s’approprient pas le processus de paix, toute tentative de paix risque d’être vouée à l’échec », ont écrit les responsables du SCC dans un communiqué publié le 18 janvier.

« Des enfants sont ’initiés’ dès leur plus jeune âge à la haine et au meurtre, et le conflit se transmet ainsi à la prochaine génération », a indiqué le communiqué.

Mettre fin au cycle de la violence

Le 19 janvier, la chef de la MINUSS Hilde Johnson a dit que les 1 100 soldats des Nations Unies déployés à Jonglei - la moitié de tous ceux qui sont déployés au Soudan du Sud - devraient faire des ’miracles’ pour mettre un terme à une série de petites attaques menées contre des villages isolés si les forces gouvernementales ne les aidaient pas à mettre en place une zone tampon.

« Il est particulièrement difficile de protéger les civils de ce [nouveau] genre de contre-attaque à cause de l’imprévisibilité des attaquants, de leur rapidité et du fait qu’ils se déplacent en petits groupes », a-t-elle dit.

Mme Johnson s’est également dite alarmée par la multiplication des messages menaçant de « faire disparaître l’ensemble d’un groupe ethnique de la surface de la Terre », car ils pourraient provoquer de nouveau des « violences ethniques systématiques ».

À la mi-décembre, le SCC a abandonné des efforts de médiation qui n’avaient pas permis d’aboutir à une solution et une conférence de paix qui devait se tenir à cette époque a été reportée à une date indéterminée.

« L’Église a échoué parce qu’elle n’avait pas le soutien du gouvernement », a dit Joseph Giro Ading, qui visitait un ami Murle dont l’abdomen a été déchiqueté lorsqu’on lui a tiré dessus près de sa ville natale de Pibor.

« Si nous continuons à nous venger, nous ne réussirons jamais à trouver une solution. Il faut absolument aller [à Juba] et régler le problème avec lequel notre région est aux prises, sinon ce sera la fin pour Jonglei », a-t-il ajouté.

Le 19 janvier, le gouvernement a annoncé qu’il irait jusqu’à utiliser la force pour procéder au désarmement des parties au conflit dans l’État de Jonglei. Par le passé, les initiatives similaires ont eu un succès limité ou temporaire et ont été critiquées par les groupes de défense des droits de l’homme pour leur zèle excessif.

Plus tôt en janvier, un groupe qui se fait appeler l’Armée blanche Nuer a averti que toute nouvelle tentative de désarmement « entraînerait une catastrophe ».

Pour Enough Project, une stratégie plus globale est nécessaire.

« S’il souhaite mettre fin aux violences intercommunautaires à long terme, le gouvernement doit absolument fournir des services essentiels, mettre en place des services de sécurité et établir une règle de droit dans les régions habitées par les communautés Lou Nuer et Murle », a indiqué l’organisation dans un communiqué.

Les responsables du SCC sont du même avis : « Il est évident que le sous-développement est un puissant moteur de conflit dans la région, et les tensions existantes sont exacerbées par la perception que certaines communautés sont négligées. Le développement des régions les plus isolées de l’État de Jonglei doit devenir une priorité pour le gouvernement (routes), les entreprises (réseaux de téléphonie mobile) et la communauté humanitaire ».

M. Ading, qui habite Jonglei, partage leur point de vue : « Dans toutes les régions où ont lieu des attaques, il n’y a ni écoles, ni hôpitaux, il n’y a rien. il n’y a que des villages où sont gardés des troupeaux de bétail », a-t-il dit à IRIN.

« Le gouvernement devrait construire des routes et des écoles pour les gens qui ne connaissent même pas leur alphabet. En éduquant les analphabètes, on risque aussi de leur apprendre à distinguer le bien et le mal », a-t-il ajouté.

Source : http://www.irinnews.org