Mali : Une crise globale
14 juillet 2012 12:50 0 messages
Le Coup d’État du 22 mars 2012 et l’occupation du nord Mali par les forces islamiques et les touarègues du MNLA, plongent le Mali dans la crise la plus grave qu’il ait connu. Mais cette situation reflète les conséquences des politiques impérialistes imposées dans les pays africains depuis leur accession à l’indépendance.
Le Mali ne fait pas exception à la règle de l’instabilité des pays de la zone de l’Afrique de l’ouest. Pour ne parler que des pays qui sont impliqués à des titres divers dans le conflit malien, on peut noter que le voisin immédiat du Mali, le Burkina Faso, qui joue un rôle de médiation dans la crise, a connu une série de mutineries ayant touché la garde présidentielle, au point que Blaise Compaoré, le président du pays, à dû prendre la fuite. A cela s’ajoutent des manifestations importantes contre la vie chère et les mobilisations lycéennes et étudiantes contre l’impunité policière vis-à-vis du meurtre d’un jeune lycéen. La Côte d’Ivoire est toujours en crise. A l’Ouest du pays les accrochages armés deviennent de plus en plus fréquents et meurtriers, le dernier en date à causé la mort de sept soldats nigériens de la MINUCI (la force armée de l’ONU). Le pouvoir d’Alassane Ouattara a du mal à asseoir sa légitimité et celui-ci reste, aux yeux de beaucoup, l’homme qui a été installé par l’armée française. De plus, les crimes perpétrés par les milices qui l’ont soutenu restent impunis, pire, ceux-là même qui sont soupçonnés de graves violations des droits humains, restent aux postes de responsabilité. Seuls les partisans de Laurent Gbagbo doivent répondre de leurs forfaits. Enfin le Nigeria, poids lourd de la région, a connu une grave crise sociale ; en effet, sous l’injonction du FMI, le gouvernement de Jonathan Goodluck a tenté de supprimer les subventions au prix du carburant avec des conséquences pour les populations sur le prix des transports ce qui provoquera une grève générale d’une grande ampleur obligeant le pouvoir à reculer partiellement. De plus le gouvernement nigérian est confronté à une augmentation des attaques de la secte islamique, Boko Haram, qui creuse la division historique du pays entre le sud et le nord.
Une crise sociale et politique
Le Mali fait figure de pays démocratique. Il existe plusieurs partis d’opposition, d’innombrables organisations de la société civile s’activent, la liberté de la presse est garantie. Mais beaucoup de militants progressistes font remarquer que nous sommes seulement dans le paraître, et que ce formalisme de démocratie ne peut occulter la corruption et la déliquescence de la classe dirigeante qui a mis en coupe sombre le Mali : « Lors des dernières élections au Mali, l’ancien Président de la cour constitutionnelle a eu à dire qu’il n’y avait jamais eu autant de fraudes et d’irrégularités ! Pourtant les résultats électoraux obtinrent le label démocratique. Cependant les Maliennes et les Maliens n’ont jamais eu autant de mépris pour leurs dirigeants et leur classe politique. Aujourd’hui les langues commencent à se délier révélant toute la puanteur d’un système basé sur le mensonge et le pillage des ressources publiques par une minorité de brigands en uniforme et en col blanc. » (1) En effet, l’application, avec zèle et célérité, des plans d’ajustement structurels préconisés par le FMI et la Banque Mondiale, ont abouti à une déstructuration de l’État. C’est à partir des années 1990 que les populations vont connaître des régressions sociales d’ampleur, notamment au niveau de la santé, de l’école, des infrastructures sanitaires. Les vingt plus grandes entreprises d’État comme la Banque Internationale pour le Mali (BIM), la Société de Téléphonie du Mali (SOTELMA), la Compagnie Malienne de Développement du Textile (CMDT), Énergie du Mali (EDM), etc., vont être bradées et vendues, en partie ou en totalité, pour des bouchées de pain aux multinationales, notamment françaises, comme DAGRIS, Vivendi, Bouygues, Canac-Getma…
Maillon faible de la région, le Mali vient d’entrer dans la plus profonde crise qu’ait connu le pays depuis son indépendance.
Une indépendance reprise par la France
L’indépendance fut acquise en 1960 sous la direction de Modibo Keïta, qui reste une référence pour les maliens. Panafricaniste convaincu, proche des idées socialistes, il ne sera jamais accepté par le pouvoir gaulliste de l’ancienne puissance coloniale. Il sera renversé par un coup d’État militaire, dirigé par Moussa Traoré en 1968. Emprisonné, il sera empoisonné au camp militaire Djikoroni Para.
C’est seulement en 1991, sous l’effet des mobilisations de la population encouragée par la chute du mur de Berlin et le discours de la Baule de François Mitterrand, qu’un nouveau coup d’État éclate et renverse la dictature de Traoré. Le jeune colonel qui fait chuter la dictature n’est autre qu’Amadou Toumani Touré (ATT) qui laisse le pouvoir aux civils. Il reviendra aux affaires lors des élections de 2002 et restera au pouvoir jusqu’au putsch qui le destituera.
Ainsi le Mali, contrairement à la plupart des pays africains, a une vision différente des coups d’État militaires, qui peuvent aussi bien jouer un rôle réactionnaire, comme celui de Traoré, qu’accompagner et aider les mobilisations populaires comme en 1991. C’est un élément à intégrer notamment dans l’analyse du coup d’État du 22 mars 2012 que font les organisations de la gauche radicale.
D’une mutinerie au coup d’État
La débâcle de l’armée malienne vécue comme une humiliation, les manifestations des femmes et des compagnes des soldats, en protestation contre le manque de munition, l’impréparation dans les combats, les carences dans la logistique ont alimenté le malaise de plus en plus perceptible.
Le massacre d’Aguel’hoc, où 82 soldats prisonniers ont été égorgés par les rebelles, a été un traumatisme pour l’ensemble de la société malienne. Cet acte de barbarie a été le détonateur des mobilisations contre le gouvernement et la haute hiérarchie militaire incapables d’organiser la défense du pays. Pire, certains affirment que des numéros de téléphone de généraux maliens étaient en mémoire sur les portables de prisonniers rebelles, ce qui confirmerait la complicité entre les deux camps.
Les soldats du camp militaire de Soundiata Keita à Kati, situé à une quinzaine de kilomètres de Bamako, se sont mutinés. La venue du ministre de la défense, le général Sadio Gassama, avait pour but de désamorcer ce qui était considéré comme une simple manifestation de mauvaise humeur ; loin de calmer les choses, la mutinerie s’est amplifiée et les soldats se sont dirigés vers le palais présidentiel sur la colline de Koulouba. ATT, ainsi que ses proches, a sous estimé le danger à tel point que la fuite du Président s’est faite, in extremis, dans une situation rocambolesque. ATT a dû fuir en dévalant le versant de la colline, ses gardes du corps ont arrêté une voiture sur la route et se sont dirigés à vive allure vers le camp des parachutistes de Djicoroni (2).
En dépit de quelques résistances de la garde présidentielle, le pouvoir est tombé comme un fruit trop mûr (pour éviter d’employer un terme plus désobligeant).
Cette situation montre de manière incontestable la perte de légitimité du gouvernement et le décalage entre la classe politique au pouvoir et la population.
Nombreux sont ceux qui n’ont pas compris l’intérêt d’un coup d’État, cinq semaines avant les élections présidentielles, pour déposer ATT alors que ce dernier n’y concourrait pas. C’est justement parce que les élections, et leurs résultats, n’auraient précisément rien changé. Le pouvoir malien, avec d’autres hommes, aurait continué leur politique de corruption, d’incurie et de misère pour la population.
Une dualité de pouvoir
Emmenés par Amadou Sanogo, les militaires qui ont pris le pouvoir créent un Comité National pour le Redressement de la Démocratie et la Restauration de l’État (CNRDRE). Ce coup d’État est, avant tout, l’œuvre d’hommes du rang et de sous-officiers motivés par les reproches, faits au pouvoir politique et à la hiérarchie militaire, de corruption et d’incapacité à défendre le pays.
Le coup d’État a profondément divisé la classe politique, mais aussi la société malienne. Dès le début la gauche radicale, dirigée par le parti SADI (Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance), le soutient sans réserve. Les militants organisent le Mouvement Populaire du 22 mars (MP22) qui se veut une sorte de pendant politique des putschistes. Il regroupe le réseau des radios communautaires KAYIRA, des structures paysannes, comme le syndicat des paysans du Mali (SYPAM TTD) « Terre-Travail-Dignité », l’Association des expulsés maliens (AME) et d’autres organisations de la gauche, de moindre importance. Le MP22 établit une liaison directe entre la révolution de 1991 et le coup d’État :
« Compte tenu de la faillite des partis politiques consensuels, ce coup d’État est l’unique moyen dont dispose le peuple malien pour reconquérir sa dignité et son honneur perdu, rétablir son unité nationale, son intégrité territoriale, sa cohésion et sa prospérité sociale et rénover sa démocratie sur la base de ses intérêts.
« Notre peuple à travers la partie saine et patriotique de son armée a décidé de faire un sursaut historique pour la défense des valeurs liées à la révolution du 26 mars de 1991. A la faveur de cet événement historique, un ensemble de partis et mouvements politiques, d’associations et d’organisations de la société civile, et de personnalités indépendantes ont décidé la mise en place d’un mouvement dénommé Mouvement Populaire du 22 mars 2012 (MP22).
Ce mouvement a pour objectifs :
— Soutenir la dynamique de rupture et de changement déclenchée par le CNRDRE ;
— Veiller à l’approfondissement du processus démocratique ;
— Appuyer le CNRDRE dans toutes ses actions d’assainissement de l’administration nationale ;
— Appuyer le CNRDRE dans la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite ;
— Soutenir le CNRDRE dans la résolution du problème au nord du Mali » (3).
De l’autre côté un Front Uni pour la Sauvegarde de la Démocratie (FDR) se crée contre le putsch, il est composé des partis de la droite malienne qui soutiennent ATT, mais aussi du PARENA qui est une organisation d’obédience sociale-démocrate, qui faisait partie un temps du même groupe à l’Assemblée Nationale que le SADI, ainsi qu’une des deux principales organisations syndicales des travailleurs, l’Union Nationale des Travailleurs du Mali. L’autre, la CSTM étant favorable aux militaires.
Le coup d’État est certes condamné, mais plutôt de manière formelle tant à l’intérieur, qu’à l’extérieur du pays. Ainsi la démission d’ATT du pouvoir, à la demande de la CEDEAO pour trouver une solution politique acceptable constitutionnellement, n’a posé de problème à personne. En effet, les pays occidentaux n’ont jamais trop apprécié le refus opposé par ATT à la présence de forces armées extérieures au Mali et la France a une raison de plus de lui en vouloir compte tenu de son refus de signer l’accord bilatéral sur la « gestion des flux migratoires », facilitant les expulsions de Maliens en situation irrégulière sur l’Hexagone. Tous lui reprochent sa volonté d’instaurer un modus vivendi avec les troupes armées présentes dans le Sahel et le nord Mali.
La crise politique est, pour l’instant, bien trop forte pour que les partisans d’ATT puissent organiser une reprise complète du pouvoir. Cette tâche sera dévolue à la CEDEAO (la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest) qui va tenter de disputer le pouvoir au CNRDRE, l’organisation des putschistes. Si formellement le CNRDRE se rallie au plan de retour à l’ordre constitutionnel, il tente par ailleurs d’affermir son pouvoir, notamment en arrêtant de nombreuses personnalités du régime, qui seront libérées quelques jours plus tard. Une contre-offensive de la garde présidentielle d’ATT, les bérets rouge, pour renverser les putschistes se terminera par un véritable fiasco.
Le plan de transition prévoit la nomination d’un président par intérim, qui sera le président de l’Assemblée Nationale et qui nommera, en accord avec l’ensemble des protagonistes, un premier ministre. C’est ainsi que Dioncounda Traoré désignera Cheikh Modibo Diarra, un ancien astrophysicien de la NASA, celui-ci s’apercevra rapidement qu’il est plus aisé de piloter un vaisseau sur Mars que de gérer la crise au Mali.
Rapidement le président de transition est mis hors jeu, suite à une agression de manifestants qui parviendront jusqu’à son bureau pour le molester. Dioncounda Traoré est toujours en France, sans que l’on sache réellement l’état de santé dans lequel il se trouve. Quant au premier ministre il reste invisible.
Le Mali se trouve donc actuellement dans une situation où aucun des deux partis ne peut l’emporter. Le MP22 a élargi sa base en lançant une nouvelle organisation, la COPAM (Coordination des Organisations Patriotiques du Mali) ainsi qu’une conférence nationale de transition, mais cette dernière initiative n’emporte pas l’adhésion espérée d’une grande majorité des Maliens. De l’autre côté, la CEDEAO n’a pas de réels points d’appui pour dissoudre effectivement le CNRDRE et imposer sa volonté. Aussi la situation reste, pour l’instant, bloquée bien que les fronts anti et pro putschistes aient commencé à se rencontrer pour tenter de trouver des solutions à une situation, au Nord, qui ne fait qu’empirer.
Le Nord Mali a une histoire singulière
D’une superficie de 3 000 000 kms², le nord du Mali fait partie de la bande Sahélo Saharienne qui a toujours été une terre de résistance, difficile à contrôler. A l’indépendance des pays africains, la colonisation française a légué des frontières artificielles, imposées aux populations. Une situation qui s’est généralisée sur tout le continent où l’OUA, (ancêtre de l’Union Africaine), a décrété l’intangibilité des frontières héritées de la période coloniale pour éviter une généralisation des conflits.
Lors de la décolonisation, dans une adresse portée par Mohamed Mahmoud Ould Cheikh, dirigeant de Tombouctou le 30 mai 1958, les représentants Maures et Touarègues demandent en vain au gouvernement français ne pas intégrer leur territoire dans les pays subsahariens (4).
Le territoire du nord Mali n’est pas peuplé que de Touarègues, bien au contraire ces derniers y sont minoritaires et sont estimés à 600 000 personnes à côté d’autres populations comme les Maures, les Songhaï, les Peulhs... Le point commun de tous est la difficulté de vivre dans une région enclavée où l’État malien, peu présent, n’a jamais investi de manière pérenne dans les infrastructures, ni aidé les activités agricoles et pastorales des populations.
De nombreuses révoltes ont eu lieu, celle de 1963 violemment réprimée par le pouvoir, puis celles des années 1990, qui déboucheront sur les accords de Tamanrasset, en 1991, et prôneront la démilitarisation de la région. Celle de 2006 est importante. En effet les accords d’Alger, qui mirent fin au conflit, entérinèrent le retrait de l’armée malienne de la région, au profit « d’unités spéciales de sécurité, rattachées au commandement de la zone militaire et composées essentiellement d’éléments issus des régions nomades » ainsi que la « création d’un fond de développement et de réinsertion socio-économique des populations civiles » (5). Le résultat est que les populations ont peu bénéficié des 700 milliards de FCFA, pourtant votés le 5 novembre 2009 par l’Assemblée Nationale. De plus le nord Mali s’est vite transformé en zone grise où les différents groupes militaires ont élaboré et imposé leur propre loi.
Le Sahara est souvent présenté comme une frontière difficilement franchissable. En fait le Sahara, depuis fort longtemps, est une zone d’intense activité de commerce, de négoce avec ses routes transsahariennes empruntées depuis des siècles, mais aussi ses pistes connues seulement de quelques initiés : « Parmi un grand nombre de possibilités, seuls sont utilisés les tracés jugés, à un moment donné et en fonction du contexte local ou régional, les plus pratiques et les plus sûrs. Ce qui signifie qu’il en existe beaucoup d’autres disponibles pour des usages exigeant la plus grande discrétion. De plus, chaque groupe ne connaît, ne contrôle et n’exploite qu’un segment du trajet, ce qui entretient la fragmentation territoriale et complique encore l’éventuel relevé des parcours. Les déplacements et les trafics s’en trouvent très difficilement contrôlables » (6). Cette situation permet des activités de trafic autour des cigarettes, du carburant, de la drogue, mais aussi des êtres humains venant des pays subsahariens et cherchant à rejoindre l’Europe, via les pays du Maghreb.
C’est dans les années 2005-2006 qu’une accélération, dans l’activité de contrebande, s’est produite. En effet le choix, des narco-trafiquants d’Amérique Latine d’utiliser la bande sahélienne pour acheminer de la drogue en grande quantité, a changé la donne. Ce trafic ira croissant. En témoigne le cas d’un Boeing 727 qui s’écrasera, en novembre 2009, à une quinzaine de kilomètres de Gao après avoir déchargé sa cargaison estimée à 10 tonnes de drogue. Il est révélateur de l’ampleur de ce commerce illicite et de l’importance de la corruption ainsi que des sommes en jeu. C’est ainsi que le nord Mali devient une des sources de corruption des élites maliennes et l’argent permet d’entretenir des milices, soit purement maffieuses, soit religieuses et/ou politiques.
La présence islamiste
La frontière est loin d’être hermétique entre les groupes armés islamiques et ceux purement maffieux. Historiquement, trois groupes islamiques sont présents au nord Mali.
Le premier, le plus connu, est AQMI (Al-Qaeda au Maghreb Islamique) issu en 2007 du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC), organisation algérienne. Il est pour un Djihad global avec des kadibats (Brigades) dont les objectifs sont précis, le plus important étant la création d’une place forte essentielle dans la stratégie d’AQMI. Elle est située dans la zone de Timétrine dans la région de l’Adrar qui permet le repérage d’unités armées mobiles réduites et/ou d’otage(s), ainsi que toute action militaire. D’autant que le contrôle des points hauts offre d’excellents postes d’observation d’où détecter toute colonne gouvernementale en mouvement. Bref, il paraît très difficile de réussir une opération surprise, terrestre et/ou héliportée (7)
AQMI est financé par de généreux donateurs du Moyen-Orient et par les rançons d’otages payées par les gouvernements occidentaux pour la libération de leurs compatriotes.
Le deuxième groupe est une dissidence d’AQMI sur une base nationaliste, c’est le MUJAO (Mouvement pour l’Unification du Djihad en Afrique de l’Ouest), dirigé par le Mauritanien Hamada Ould Khaïrou. Son financement vient essentiellement du trafic, notamment, de drogues et de cigarettes.
Enfin le troisième groupe est Ansar Eddine, c’est un groupe de Touarègues très proches d’AQMI, dont le dirigeant Iyad ag Ghali est un ancien combattant touareg des conflits de 1990 à Ménaka qui se prolongeront, par intermittence, jusqu’en 2006 avec les accords d’Alger. Il a eu de nombreuses fonctions officielles, y compris comme conseiller d’ATT, mais aussi comme ambassadeur en Arabie Saoudite, ce qui lui a permis de nouer de nombreux liens avec les fondamentalistes islamistes. Cette dernière force a eu des relations avec les forces touarègues notamment le MNLA.
L’émergence d’une nouvelle force touarègue
La chute brutale du colonel Kadhafi a été un des éléments de déstabilisation de la région car celui-ci excellait dans son rôle de pompier pyromane, attisant les crises dans la région sahélienne pour, ensuite à coup de pétrodollars, acheter la paix et installer un modus vivendi entretenant ainsi son pouvoir de nuisance pour les gouvernements des pays voisins. Sa chute a eu plusieurs conséquences qui ont influé directement sur la crise malienne. Une absence de possibilité de médiation dans le conflit avec les Touarègues comme auparavant, un afflux de combattants aguerris libyens au Mali et une circulation dans la région sahélienne d’armes provenant du pillage des dépôts de Libye, dont certaines extrêmement sophistiquées. C’est cette venue sur le territoire malien des Touarègues, anciens combattants de la légion islamique, qui a permis une recomposition des forces politico-militaires touarègues, à partir du Mouvement National de l’Azawad (MNA) et du Mouvement Touareg du Nord-Mali (MTNM) pour donner naissance au MNLA qui se définit ainsi : « Le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) est un mouvement populaire qui vise la réalisation des objectifs du peuple de l’Azawad, à savoir la libération totale, l’unité nationale, la sécurité et le développement sur toute l’étendue du territoire de l’Azawad. » (8)
La conquête du Nord
A la chute de Kadhafi, les Touarègues du nord Mali reviennent avec les armes, les pick-up équipés de mitrailleuses pour rejoindre leurs régions. Ils doivent traverser le Niger et ainsi parcourir des milliers de kilomètres. Beaucoup s’étonnent qu’ils aient pu faire ce voyage sans la moindre embûche de la part des autorités des États. Plusieurs spécialistes ont émis l’idée que la France aurait tenté de convaincre le MNLA, de jouer les forces supplétives contre les islamistes de la région pour pallier aux carences de l’armée malienne, ceci en échange d’une neutralité bienveillante. Rien n’est pour l’instant prouvé mais le positionnement diplomatique de la France du début corrobore cette hypothèse (9).
Le 17 janvier débute la première attaque du MNLA contre la ville de Ménaka. Il est faux de présenter une armée malienne qui n’a pas résisté à ces attaques. Pendant plus de deux mois les batailles ont fait rage autour des principales villes de la région : Kidal, Gao et Tombouctou. Fin janvier les attaques du MNLA sont conjointes avec celles des organisations islamistes, Ansar Eddine, mais aussi AQMI. Dans un premier temps, le MNLA réfute ces informations, mais devant l’évidence il les confirme tout en continuant à se proclamer contre toute alliance avec les islamistes et demande la reconnaissance de l’indépendance de l’Azawad en échange de leur combat contre eux.
Situation ouverte au Nord
Progressivement le MNLA va perdre le leadership dans le nord Mali au profit des organisations islamistes. Il va connaître toute une série de scissions dont, du fait de l’isolement de la région, il est difficile d’apprécier la portée. Ainsi vont se créer le FNLA, regroupant essentiellement des Maures et des Arabes qui se prononcent contre l’indépendance de l’Azawad. D’autres groupes se forment comme le Mouvement des patriotes pour la résistance et la libération de Tombouctou (MPRLT), animé par des Songhaï, le Front de libération du Nord-Mali (FLNM)… La plupart du temps ces organisations se fondent sur une base tribale. Certains membres du MNLA vont rejoindre les organisations islamistes. Pour conjurer cette hémorragie le MNLA propose la fusion avec l’organisation de Ansar Eddine, une partie des militants MNLA de l’intérieur y sont favorables car l’organisation n’a plus beaucoup de fonds et connaît de réelles difficultés d’approvisionnement en vivre et en munition. La plupart des militants de l’extérieur sont contre. La fusion, un temps annoncée, est annulée. Ce qui achoppe c’est la question de l’instauration stricte de la Charia sur l’ensemble de l’Azawad.
Au Mali, nord compris, les populations sont très largement musulmanes, mais si la croyance est profonde, la pratique religieuse est tolérante. Ainsi la Charia entre en complète contradiction avec les modes de vie où la musique, la danse, les rencontres dans les endroits mixtes sont la règle, d’autant plus que les femmes jouent un rôle important dans la cité. C’est ainsi que des manifestions de femmes et de jeunes se sont déroulées pour exprimer leur exaspération face à l’interdiction, faite par les milices islamiques, de jouer au foot, d’écouter de la musique ou la radio, de regarder la télévision ou simplement la mixité dans les lieux publiques.
Depuis les attaques du MNLA, en début d’année, plus de 380 000 personnes ont fui la région, soit vers les pays limitrophes, soit vers le sud du pays. La situation sanitaire pour les réfugiés est catastrophique d’autant que les pays d’accueil souffrent, eux aussi, d’une crise alimentaire. Dans la région du Nord, cette crise alimentaire est amplifiée par la situation politique, mais aussi par les problèmes de ravitaillement en énergie, en eau et en médicaments.
Les principales villes sont tenues par les islamistes avec un afflux des militants de Boko Haram du Nigeria, mais aussi des islamistes de Somalie et du Pakistan.
Les dangers de l’intervention de la CEDEAO
Une intervention militaire pour quoi faire ? Pour quels objectifs ? Les choses ne sont pas claires. Les uns sont pour une intervention qui sécurise le retour à l’ordre constitutionnel, c’est-à-dire qui fasse contrepoids à l’emprise des militaires du CNRDRE, avec la tentative d’étouffer tous les soutiens et toutes les mobilisations de la gauche radicale en faveur des putschistes. Il y a donc bien un risque que l’intervention de la CEDEAO ne revienne, dans les faits, à remettre en selle l’élite corrompue du Mali symbolisée par ATT, une sorte « d’ATTcratie » sans ATT. D’autres défendent l’idée que l’intervention devrait seulement se centrer sur le nord Mali pour libérer le pays, mais cette position présente beaucoup de faiblesse, en premier lieu une intervention qui arriverait à déloger les différents groupes armés serait confrontée à une absence ou une faiblesse de l’État qui ne permettrait pas de garder sous son contrôle cette zone. Ce qui impliquerait le stationnement permanent de troupes étrangères et ceci dans l’attente que l’État malien puisse jouer pleinement ses fonctions, ce qui risque de prendre du temps et de l’argent. Il est d’ailleurs significatif que le Conseil de sécurité de l’ONU n’ait pas donné son aval à la demande formulée par l’Union Africaine et la CEDEAO pour une intervention militaire.
D’autres problèmes se posent. L’Algérie, de par son poids économique et militaire, est dans cette région un acteur incontournable. En 2009 son budget militaire s’élève à 5,3 milliards de dollars, en comparaison au 180 millions de dollars pour le Mali (10). Le gouvernement algérien n’est pas favorable à une intervention militaire de la CEDEAO, surtout si elle est appuyée par la France, car, et c’est un secret de polichinelle, ceux qui agissent dans cette crise au nom de la CEDEAO sont deux piliers de ce que l’on appelle la Françafrique pour désigner une relation néocolonialiste particulièrement forte, entretenue par des réseaux politiques économiques et militaires français. En effet Ouattara est un obligé de la France, c’est grâce à son intervention militaire qu’il a pu accéder au pouvoir à l’issue d’élections contestées. Quant à Blaise Compaoré, il joue les médiateurs en Afrique de l’Ouest pour le compte et l’intérêt de Paris, depuis son accession au pouvoir après l’assistanat de Thomas Sankara.
L’Algérie ne s’y trompe pas et elle entend rester maître du jeu. C’est d’ailleurs ce qui explique le silence du CEMOC (Comité d’état-major opérationnel conjoint), structure de coordination militaire des pays du Sahel pour lutter contre le terrorisme qui, en toute logique, aurait dû être la pointe avancée dans ce combat.
L’impérialisme français, tellement décrié sur le continent africain pour ses interventions militaires en Libye et en Côte d’ivoire, tente de se montrer plus discret, ce qui correspond à la ligne du nouveau président français, le socialiste François Hollande : mener une politique semblable à celle de ces prédécesseurs, mais sans signe ostentatoire. Ainsi, lors de la visite du président de la république du Bénin, Boni Yayi (encore un élu dans des conditions douteuses), Hollande à joué le rôle de donneur d’ordre, lui indiquant qu’en tant que Président de l’Union Africaine il devait saisir le Conseil de sécurité de l’ONU pour une intervention militaire et la France appuierait cette requête et aiderait au niveau de la logistique l’envoi de troupes. Aussitôt dit, aussitôt fait, l’UA déposait une requête.
Seulement deux pays de la CEDEAO ont une réelle capacité militaire : la Côte d’Ivoire et le Nigéria. L’armée de Côte d’Ivoire ressemble plus à une addition de milices, dont certaines se sont rendues coupables de crimes de guerre, notamment contre les civils. Quant à l’armée nigériane, il est peut être nécessaire de rappeler que l’extrême violence de son intervention en 2009, contre Boko Haram, fit au moins 700 morts dont certains exécutés après avoir été fait prisonniers, ce qui a contribué grandement à la radicalisation et à la politique meurtrière de cette secte islamiste (11).
Une autre politique
La crise malienne nous montre les effets collatéraux de la politique impérialiste qui enserre les pays africains à travers les paiements de la dette, la déstructuration de l’État, la destruction du tissu économique par les privatisations des grandes entreprises nationales et les Accords de partenariat économique (APE) qui, sous prétexte de libre concurrence, étouffent les petites entités économiques artisanales ou agricoles.
Le nord du Mali souffre de cette politique, mais aussi de l’absence d’investissement minimal au niveau social, sanitaire et de santé pour les populations. Aider les populations dans leur activité agricole et pastorale, développer un tourisme responsable et d’échanges, permettraient un développement de la région et supprimeraient la base sociale que tentent de se construire les différentes organisations islamistes en direction d’une jeunesse désœuvrée.
La conquête et la libération du Nord des forces islamistes est avant tout politique, articulée sur le respect des différentes identités des populations du Nord, le développement humain et économique. La partie militaire doit être d’abord subordonnée à une volonté politique partagée par l’ensemble des populations du Mali. Les politiques des gouvernements impérialistes, et de leurs alliés dans la région, sont à l’opposé de cette exigence-là et ne peuvent qu’aggraver la situation. ■
Notes
1. Voir Issa N’DiayeI in http://www.afriquesenlutte.org/afrique-de-l-ouest/mali/article/mali-une-democratie-contre-le
2. http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2673p010-013.xml0/
3. Déclaration du mouvement populaire du 22 mars 2012 in http://www.afriquesenlutte.org/afrique-de-l-ouest/mali/article/mali-declaration-du-mouvement
4. Les rébellions touarègues du Niger : Combattants, mobilisations et culture politique, thèse de Doctorat par Frédéric Deycard, p. 153.
5. Accords d’Alger pour la restructuration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal.
6. Al Qaida au Sahara et au Sahel. Contribution à la compréhension d’une menace complexe par Patrice Gourdin in http://www.diploweb.com/spip.php?article901
7. ibidem
8. Communiqué de Presse n°17 du 4 juin 2012
9. La lettre du Continent n°628 du 2 février 2012.
10. Enchevêtrement Géopolitique autour de la lutte contre le terrorisme par Antonin Tisseron in Hérodote N°142 3° trimestre 2011 p. 103.
11. http://www.slateafrique.com/12301/nigeria-terrorisme-boko-haram-ennemi-public-numero-un
Source : http://orta.dynalias.org
Dans la même rubrique
8 octobre – De Serval à Barkhane : le bilan confisqué de dix ans d’interventions militaires au Sahel
27 août – Mali : quatre ans après le coup d’État, répression systématique et climat de terreur règnent
7 juin – Le Mali s’enfonce dans l’autoritarisme
29 mai – Mali : L’impératif de paix
15 mai – Mali : Des groupes islamistes armés et des milices ethniques commettent des atrocités