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Procès Habré : une justice tant attendue pour recouvrer notre dignité

Souleymane Guengueng

D 4 septembre 2015     H 13:53     A     C 0 messages


Je me souviens de ce jour, le 1er décembre 1990, où mon cousin, également détenu, m’a annoncé que Hissein Habré avait fui le Tchad et que nous étions libres. J’ai cru qu’il délirait, je le traitais de fou ! Je croyais ce dictateur imbattable ! Quelques instants plus tard, comme des centaines d’autres victimes, nous étions enfin libres. Vite, les survivants, nous nous sommes rassemblés en association pour demander justice.
Le 20 juillet 2015, à Dakar, le temps pour moi s’est arrêté. À jamais je garderai dans ma mémoire l’émotion intense qui a gagné mon âme, lorsque, à quelques pas de moi, se tenait celui qui a dirigé le Tchad d’une poigne sanglante. Avec les courageuses veuves et victimes du régime de Hissein Habré présentes à mes côtés, nous étions alors liés par un sentiment indescriptible. Enfin, nous commencions à ressentir la justice que nous avions tant attendue.

Après tant d’années, le dictateur est sur le banc des accusés, devant les Chambres africaines extraordinaires créées par le Sénégal et l’Union africaine. Ces mots, j’ai souhaité les écrire depuis l’instant même où, par la grâce de Dieu, j’ai retrouvé la liberté après deux ans et demi passés dans ces cimetières de désolation qu’étaient les geôles du régime de Hissein Habré. Je ne sais pas pourquoi j’ai eu la vie sauve alors que tant d’innocents sont morts sans réponse. Durant ces années, au cœur de cet enfer, j’ai juré à Dieu que si je sortais vivant, je dédierais ma vie à la lutte pour la justice.

HABRE A SORTI LA CARTE IRRESPECTUEUSE DE LA VICTIMISATION

Amener Hissein Habré devant la justice a relevé de notre responsabilité, pour les générations futures. Aujourd’hui, le tout-puissant Hissein Habré, comme tout homme, doit répondre de ses actes.

Je me souviens de ce jour, le 1er décembre 1990, où mon cousin, également détenu, m’a annoncé que Hissein Habré avait fui le Tchad et que nous étions libres. J’ai cru qu’il délirait, je le traitais de fou ! Je croyais ce dictateur imbattable ! Quelques instants plus tard, comme des centaines d’autres victimes, nous étions enfin libres. Vite, les survivants, nous nous sommes rassemblés en association pour demander justice. Malgré les pressions et les difficultés rencontrées sur notre route, et avec l’aide des organisations comme Human Rights Watch et de notre avocate Jacqueline Moudeïna, nous n’avons jamais abandonné notre lutte de 25 ans que l’archevêque Desmond Tutu avait qualifié d’« interminable feuilleton politico-judiciaire ».

Alors que la justice le rattrape enfin, Hissène Habré arbore l’attitude d’un lâche qui n’a pour seule défense la carte irrespectueuse de la victimisation. Par excès de fierté, le « renard des sables » joue au malade imaginaire alors qu’il n’est que victime de lui-même et des actes dont il porte la lourde responsabilité.

Durant les deux premiers jours du procès, Hissène Habré s’est drapé dans un boubou blanc, enturbanné de la tête aux pieds, ne laissant apparaître que ses yeux qu’il laissait fermer. Dans sa défense de lâcheté, et pour créer le désordre, il a empêché ses avocats de venir le défendre, les laissant communiquer et crier au complot dans les couloirs du palais de justice de Dakar. Soucieuse de respecter la procédure sénégalaise et le droit international, la Cour, refusant un procès qui violerait le principe du contradictoire en l’absence de conseil, a commis d’office trois avocats, chargés de défendre Habré dans l’intérêt de la justice. La Cour leur a donné 45 jours pour préparer le dossier.

20 ANS D’ATTENTE POUR CE PROCES, DONC 45 JOURS DE PLUS…

Ce combat, nous les survivants, n’avons jamais souhaité le mener pour la vengeance. Il est pour nous indispensable que ce procès soit exemplaire et impartial pour honorer parfaitement son ambition de précédent pour la justice africaine et donner courage aux peuples dont les droits sont bafoués. Il doit être équitable, non seulement pour Hissène Habré, mais aussi pour nous-mêmes. Il se doit d’avoir une grande portée pédagogique.

Nous avons attendu plus de 20 ans pour voir Hissène Habré devant une Cour. Attendre 45 jours pour s’assurer qu’il bénéficie d’un procès équitable n’entravera en rien notre détermination, ni la marche de la justice. Même s’il continuera ce jeu du déni de son passé, nous les victimes, serons toujours présentes le 7 septembre prochain, date de la reprise du procès, pour poser nos regards sur celui qui, un jour, a souhaité nous faire disparaître. « Avez-vous peur de nous, Monsieur Hissène Habré ? » avais-je demandé dans la lettre ouverte que je lui avais adressé il y a quelques semaines. Je crois que son silence vaut acceptation de sa peur de la vérité.

Croire au jugement d’un dictateur, c’est déjà participer au combat contre l’impunité. Les victimes de l’injustice ne doivent plus avoir peur de poursuivre leurs dirigeants malhonnêtes et violents.

Combien de Tchadiens sont aujourd’hui orphelins d’un père, d’une mère, de frères et de sœurs dont la vie a été arrachée par le régime de Hissène Habré ? Le temps ne cicatrisera jamais les plaies laissées par l’injustice, la brutalité et l’arbitraire, mais au moins la justice permettra de recouvrer notre dignité.

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** Souleymane Guengueng est le fondateur de l’Association des victimes des crimes du Régime de Hissène Habré

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