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Algérie : Un journaliste emprisonné pour avoir enquêté sur la corruption

D 23 décembre 2016     H 05:54     A Reporters sans frontières     C 0 messages


En cause, une vidéo d’un entretien mené par Hassan Bouras dans laquelle des allégations étaient portées contre la police et la magistrature

Le 28 novembre 2016, un tribunal algérien a condamné un journaliste indépendant qui est par ailleurs un défenseur des droits humains à un an de prison pour un entretien vidéo dans lequel des allégations de corruption sont portées contre la police et la justice, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Incarcéré le jour même, Hassan Bouras a fait appel de sa condamnation.

Noureddine Ahmine, l’avocat de Bouras, a indiqué que la cour de première instance d’al-Bayadh, une ville située à 500 kilomètres au sud d’Alger, avait condamné Bouras pour « outrage à magistrat ou fonctionnaire » et « offense et diffamation d’une institution publique » et « exercice illégal d’une profession réglementée par la loi », en vertu des articles 144, 146 et 243 du Code pénal. Les lois pénales sur la diffamation en vigueur dans le pays sont contraires aux normes internationales relatives à la liberté d’expression, et l’Algérie devrait les abroger de son code pénal, a déclaré Human Rights Watch.

« Les autorités algériennes devraient immédiatement annuler la condamnation de Bouras, le remettre en liberté et abroger les lois pénales en vertu desquelles il a été condamné », a déclaré Sarah Leah Whitson, Directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. « Les accusations de corruption peuvent faire l’objet de poursuites civiles lorsque cela est justifié, mais ne peuvent être sanctionnées de peines de prison ».

En outre, si l’accusation d’« exercice illégal d’une profession réglementée par la loi » s’appliquait à la pratique du journalisme par Bouras, cela constituerait une violation des normes de la liberté d’expression.

L’acte d’accusation, en date du 23 novembre dernier et signé par un juge d’instruction de la cour d’al-Bayadh, indique que l’accusation de Bouras fait suite à une vidéo dans laquelle il interroge trois personnes au sujet de cas de corruption policière et judiciaire et de détournement de fonds. Ses interlocuteurs y nomment des agents de police et des juges qui auraient été impliqués. La chaîne de télévision indépendante Al-Magharibya a diffusé la vidéo le 7 octobre.

Bouras est membre du conseil d’administration de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme d’al-Bayadh. Il a régulièrement contribué à Al-Magharibya, une chaîne de télévision privée. Le journaliste, qui a critiqué à plusieurs reprises le gouvernement algérien et accusé les responsables locaux de corruption, collabore également à al-Khabar, un quotidien national indépendant.

Le libellé de l’acte d’accusation suggère des motivations politiques. Il affirme que la vidéo a été « réalisée par Hassan Bouras, bien connu de notre tribunal pour son hostilité envers le régime et qui a été poursuivi à plusieurs reprises pour atteinte à la sécurité publique et collaboration avec des chaînes de télévision hostiles comme Al-Magharibya. Il reprend maintenant ses activités de confrontation et de déstabilisation des institutions étatiques ».

L’acte d’accusation indique également que Bouras a reconnu avoir filmé la vidéo, mais qu’il a nié l’envoyer à Al-Magharibya.

Le fondement de la condamnation de Bouras pour avoir exercé illégalement une profession réglementée par la loi n’est pas connu. Les trois personnes interrogées par Bouras ont été poursuivies pour les mêmes chefs d’accusation et condamnées à un an de prison.

Le 2 octobre 2015, les autorités avaient déjà arrêté Bouras, condamné à deux ans de prison pour des accusations au nombre desquelles figurait la diffamation. Il a été libéré le 18 janvier 2016.

De nombreuses dispositions du code pénal algérien prévoient des peines d’emprisonnement pour l’expression pacifique. L’article 50 de la Constitution algérienne, révisé le 7 mars 2016, garantit le droit à la liberté d’expression. Il indique que « le délit de presse ne peut être sanctionné par une peine privative de liberté ». Cependant, l’impact de cette nouvelle disposition constitutionnelle n’est pas clair puisque le code pénal prévoit de nombreuses infractions pour des propos non violents assortis de peines de prison, y compris celles pour lesquelles le tribunal a condamné Bouras.

Le Comité des droits de l’homme de l’ONU, qui interprète le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel l’Algérie est partie, a déclaré qu’il est essentiel de ne pas soumettre à la censure ou à la contrainte les commentaires relatifs aux questions publiques. Il a également déclaré que toutes les personnalités publiques sont légitimement soumises à la critique de l’opinion publique et que la critique des institutions publiques ne devrait pas être interdite. En outre, la diffamation devrait en principe être traitée comme une affaire civile et non pénale et ne jamais être sanctionnée d’une peine de prison.

Dans ses commentaires généraux de l’Article 19 du Pacte, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies définit le journalisme comme « une fonction exercée par des personnes de tous horizons, notamment des reporters et analystes professionnels à plein temps ainsi que des blogueurs et autres particuliers qui publient eux-mêmes le produit de leur travail, sous forme imprimée, sur l’Internet ou d’autre manière, et les systèmes généraux d’enregistrement ou d’octroi de licence pour les journalistes par l’État sont incompatibles avec le paragraphe 3 » [de l’article 19 du Pacte, qui prévoit les restrictions applicables à la liberté d’expression]. Les régimes d’accréditation limitée peuvent être licites uniquement dans le cas où ils sont nécessaires pour donner aux journalistes un accès privilégié à certains lieux ou à certaines manifestations et événements. »

Dans une résolution sur l’Algérie adoptée le 28 avril 2015, le Parlement européen note le harcèlement croissant exercé par le gouvernement à l’égard des défenseurs des droits de l’homme et exprime sa préoccupation à propos de « l’abus du pouvoir judiciaire comme outil de répression de la dissidence dans le pays ». Elle exhorte les autorités algériennes à respecter rigoureusement l’indépendance du pouvoir judiciaire et à garantir effectivement le droit à un procès équitable, conformément à la Constitution algérienne et aux normes juridiques internationales.