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L’autonomie de la Kabylie et le mirage européen

D 19 mai 2010     H 20:49     A     C 0 messages


La proclamation d’un « gouvernement provisoire de la Kabylie » par Ferhat Mhenni et le MAK est un fait politique non négligeable dans le débat et le combat politique de l’Algérie d’aujourd’hui, au-delà de l’écho que suscite cet événement chez la population concernée qu’il faut d’ailleurs regarder de prés après coup. Cet événement constitue une expression, parmi d’autres, de l’impasse politique que connaît la « révolte » kabyle. Révolte qui, comme nous le savons, a pris la forme qu’on lui connaît des événements d‘avril 80 de tizi ouzou. Elle a pris une certaine maturité politique en 2001. Mais elle prend ses origines dans les contradictions qu’a connu le mouvement national dés les années 1950. Cet itinéraire est mis en exergue par les polémiques et les controverses que provoquent d’une manière récurrente les lectures faites sur l’histoire de ce dernier, notamment à l’endroit des personnages et de « héros » kabyles et des événements qui ont eu lieu en Kabylie : le congrès de la Soummam, le rôle de Abbane Ramdane , l’assassinat de Krim Belkacem et aujourd’hui la dépouille du colonel Amirouche ; Tous kabyles et acteurs de premier ordre du mouvement national et considérés comme « représentant » ( !!!) de la Kabylie.

Le rôle de Ferhat Mhenni

C’est cependant à travers l’évolution artistique, intellectuelle et politique du personnage Ferhat Mhenni qu’il est nécessaire de saisir les portées de cet événement dans la mesure où l’initiative reste pour le moment isolée et ne correspond peut-on dire à aucune dynamique populaire.

Nous connaissons la dimension subversive de la chanson en Kabylie et le rôle qu’elle a joué dans la construction du discours politique dés les années 1960. Tout les thèmes sont abordés : l’émigration, l’exode rural, l’urbanisation et l’industrialisation, l’émancipation des femmes, l’amour impossible dans une société patriarcale …etc. Même la laïcité fut abordée en filigrane. La chanteuse Nouara, sur une composition de Cherif Kheddam, a chanté en 1976, dans un album intitulé « l’année internationale de la femme » « anfigi ad &re& » (laissez- moi faire des études). Elle dénonce la société patriarcale qui freinait l’élan émancipateur des femmes impulsé par l’indépendance nationale. On peut entendre, mine de rien, dans une des chansons d’Idir le « verset » suivant : « Taârabt menci dagla ne&, tinslemt i win ityeb&an » (l’arabe n’est pas la notre. L’islam est un choix personnel). Slogan que reprendra plus tard Mâatoub Lounes d’une manière tonitruante lors de son passage sur la chaine française TF1 dans le courant des années 90 : « je ne suis pas arabe et je ne suis pas obligé d’être musulman » a-t-il proclamé. Au fil des années, c’est la problématique identitaire qui va cristalliser tous les discours, notamment après avril 80.

C’est en marxiste d’obédience maoïste que le chanteur engagé d’ « imazighen imula » Ferhat Mhenni dénonce, dans la fin des années 1970, « la grande production capitaliste » nationale et internationale qui appauvrit et enlaidit les montagnes Kabyles, dans sa célèbre chanson « Imesdurar ». L’exode rural, l’oppression des femmes, l’absence des libertés élémentaires seront dans toutes ses chansons son thème de prédilection. Tamazight vit pour lui le même statut d’exclusion que d’autres questions démocratiques qu’il faut rétablir par un combat démocratique à l’intérieur du long combat des classes sociales. C’est dans les années 1980, à l’occasion de la sortie de son troisième album qu’il change de fusil d’épaule. La lutte des classes est abandonnée au profit de la « lutte des ethnies ». Les berbères sont pour lui victimes d’une oppression séculaire des arabes. Les populations algériennes définit ethniquement comme berbères sont opprimées par l’ « envahisseur » arabe. La vérité, comprendre par là, la solution, viendra des berbères car ils sont « plus purs, plus juste et plus saints » clamera-t-il dans l’une de ses chansons. C’est plus tard dans les années 90 dans le sillage de la grève du cartable qu’engagent les élèves de Kabylie que le chanteur proclame la singularité a-historique de la Kabylie. Ce n’est plus le berbère opprimé qui est défendu. C’est la différenciation politique, culturelle et sociale Kabyle qui est désormais revendiquée. La communauté Kabyle serait, selon le nouveau discours du chanteur et de l’homme politique Ferhat, démocratique depuis la nuit des temps. Tajmaat est assimilé à l’agora grecque. La séparation du religieux et du politique serait aussi une valeur séculaire dans la communauté villageoise Kabyle. De même que les femmes seraient libres et émancipées de l’oppression des hommes. Ce qui empêcherait l’émancipation sociale et économique de la région c’est son rattachement à cette Algérie « arabe » incapable d’assimiler les valeurs démocratiques et modernes. Ce détachement du « pays Kabyle » de l’Algérie actuelle nécessite cependant un rattachement au monde évolué, à l’Europe par une ouverture économique sur les investissements étrangers.

C’est ici que se trouve l’explication de la curiosité, voire même d’un certain intérêt que lui trouve une frange de la population visée, notamment les jeunes et les étudiants.

Le mirage de l’Europe :

Dans les différentes lectures que faisait Cathetrine Samary sur le drame yougoslave des années 90, elle écrivait que « l’Europe des riches est attirante pour tous les peuples. Chacun s’en réclame (…). Mais les chances de s’insérer dans le monde capitaliste ou d’en recevoir les capitaux ne sont pas égales. Dés lors, l’éclatement en Etats/nations sera ici (chez les plus riche) dominé par la volonté d’insertion (…) ». C‘est avec cette clé de lecture qu’elle explique le clivage entre république tchèque et république slovaque par exemple. La même logique est élargie à l’évolution de l’ancienne URSS. « Dans un contexte de crise économique et d’inégalité de développement, écrit-elle, la montée des nouvelles républiques pousse les plus riches à se défaire du « fardeau » des autres volontiers caractérisés comme « incapable », non « civilisé », bref « indigne » de l’Europe.

Il ne s’agit évidemment pas de faire d’amalgames ou des raccourcis simplistes et dangereux. L’Algérie n’est pas la Yougoslavie ni dans sa formation historique, ni dans sa situation géopolitique. La Kabylie non plus ne peut prétendre au statut d’une région riche comme le sont certaines républiques de l’ancienne Yougoslavie. L’analogie qu’on peut faire réside dans les dégâts que peut provoquer le mirage de l’occident capitaliste chez la population et notamment chez les jeunes, ne serait-ce pour la facilité à obtenir le visa.

L’attrait de cet occident développé n’est toutefois pas un phénomène limité à la Kabylie. Il est national avec des expressions inégales. L’engouement pour l’apprentissage de la langue française dés la crèche, pour ceux qui ont les moyens, les regards envieux et les commentaires favorables pour l’usage officieux mais réel du français dans l’enseignement des sciences humaines dans les universités de Bejaia et de Tizi ouzou alors que l’usage de l’arabe est officiel et obligatoire partout ailleurs dans les universités algériennes, la pratique généralisés des cours particuliers… autant de signes sur le plan culturel qui traduisent le malaise ambiant dans cette Algérie postindépendance. Après les lendemains qui chantaient ce sont les lendemains qui déchantent.

Mais cette Europe attractive pour les jeunes algériens n’est malheureusement pas celle de la révolution copernicienne, ni celle du siècle des lumières et encore moins celle du mouvement ouvrier comme ce fut le cas pour la génération du mouvement national. On oublie souvent de souligner le « jacobinisme » d’Abbane Ramadan par exemple, le marxisme-léninisme des jeunes du lycée de BenAknoun de 1949, à l’origine de la dissidence au sein du PPA-MTLD, pour ne souligner que leur dimension berbériste essentialiste et aujourd’hui leur « kabylité ». Cette attitude idéologique traduit une abdication et une capitulation devant l’impérialisme. C’est ici qu’il faut faire attention.

Recentrer le combat sur le terrain politique :

Tout cela renvoie aux aspects « postindépendance » de la société algérienne. On peut les résumer à la force acquise par la population algérienne et notamment les élites intellectuelles Kabyles (puisque c’est d’elles qu’il est question dans ce débat) au lendemain de l’indépendance en dépit du fait qu’elle a été expropriée du pouvoir et démunie d’organisation indépendante et conséquente. Cela ne lui donne pas, et notamment aux nouvelles générations, une cohérence politique dans une perspective d’une société alternative. Mais cela lui donne encore des moyens de résistance devant une capitulation définitive comme en témoigne la ténacité devant l’islamisme des années 1990.

Le changement politique reste le déterminant en dernière instance. Il implique le changement dans le rapport aux luttes qui se déroulent devant nous. Il faut sortir du discours identitaire qui prône l’évolution de la tradition, dépasser l’attitude revendicative sociale et économique et s’inscrire dans une posture de conquête et de réorganisation démocratique de l’édifice politique mis en place depuis l’indépendance, et cela même limité au niveau local. Possibilité qu’a montré la révolte de 2001.

Nadir le 12/05/2010