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Révolutions arabes : l’UE change pour ne rien changer !

D 10 juillet 2012     H 05:57     A Amaury Lebreton, Mohamed Dabo     C 0 messages


Le 10 mai dernier, le Parlement européen a voté une résolution sur la stratégie de l’Union européenne en matière de commerce et d’investissements avec le sud de la Méditerranée suite aux événements du Printemps arabe, sous un titre qui en dit long : « Commerce pour le changement » |1|. Le Parlement européen entend prendre la mesure des transformations qui ont eu lieu dans la région mais fait fi des revendications des populations en poursuivant la même politique de libéralisation de l’économie. Ou quand l’UE change... pour ne rien changer.

Cette résolution se veut être un pré carré des « nouvelles » orientations relatives aux relations entre l’Europe et les pays sud-méditerranéens (PSM). En termes de « nouveautés », on retiendra principalement le point 6 qui reconnaît explicitement le caractère odieux des dettes héritées des anciens régimes. Ainsi, les eurodéputés « jugent odieuse la dette publique extérieure des pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient sachant qu’elle a été accumulée par les régimes dictatoriaux, par le biais principalement de l’enrichissement personnel des élites politiques et économiques et de l’achat des armes, utilisées souvent contre leurs propres populations ; demande dès lors un réexamen de la dette, notamment celle liée aux dépenses d’armement. »

Il s’agit là d’une nouvelle victoire politique pour le réseau CADTM (dont fait partie l’organisation tunisienne RAID qui est également membre du réseau ATTAC) et d’autres organisations qui luttent pour l’abolition de la dette odieuse de ces pays comme le Collectif ACET (Auditons les Créances européennes envers la Tunisie) et la Campagne populaire pour l’annulation de la dette de l’Égypte. Rappelons, en effet, que deux résolutions sur la dette tunisienne ont déjà été adoptées en 2011 reprenant les mots d’ordre de la campagne tunisienne : moratoire et audit indépendant de la dette. La première résolution a été prise par l’Assemblée Parlementaire Paritaire ACP-UE en mai 2011 et la second adoptée en juillet 2011 par le Sénat belge. A côté de ces résolutions, il faut également mentionner l’appel en faveur d’un moratoire et d’un audit de la dette tunisienne lancé en 2011 par le CADTM et les euro-députées Marie Christine Vergiat et Gabi Zimmer. Cet appel a déjà été signé par plus de 120 parlementaires en Europe.
La nouvelle résolution du Parlement européen de 2012 vient donc renforcer les campagnes en cours pour l’abolition de la dette odieuse.

Malheureusement, cette dernière résolution souffre trois limites majeures. La première tient au caractère juridiquement non contraignant des résolutions adoptées par les Parlements. Autrement dit, cette résolution à l’instar des textes précités adoptés en 2011 n’a pas force de loi.

La deuxième limite est que le Parlement européen n’appelle pas à l’annulation pure et simple de la dette odieuse. Il se contente de demander au point 6 « un réexamen de la dette, notamment celle liée aux dépenses d’armement ». Or, la doctrine de la dette odieuse élaborée en 1927 par le juriste russe Alexander Sack est claire sur ce point : « Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et intérêts de l’État mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée par conséquent elle tombe avec la chute de ce pouvoir |2| ».

La troisième limite se situe au niveau idéologique puisque la résolution reste enfermée dans un cadre néo-libéral et impérialiste. La résolution prône en effet la libéralisation des échanges commerciaux et des investissements (avec notamment la conclusion d’accords de libre-échange), le renforcement de la collaboration avec la Banque européenne d’investissement (BEI), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et la Banque mondiale, de façon à maintenir le contrôle sur la région. On retrouve donc une volonté intacte du Parlement européen de perpétuer l’attachement dominateur entre les deux rives de la méditerranée, l’Europe se posant en partenaire économique privilégié.

En somme, cette résolution, sous couvert d’avancée, représente une forme d’autoamnistie pour les créanciers européens qui ont financé les dictatures. A ce titre, on notera que ce ne sont pas les parlements français ou britanniques qui l’ont adopté.

Enfin, la dette des pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient qualifiée à juste titre d’ « odieuse » dans cette résolution ne doit pas faire oublier que cette qualification juridique peut s’appliquer à de nombreux pays sur tous les continents : en Afrique, Amérique latine, Asie et même en Europe. En dépit de son caractère strictement libéral, feu vert pour la poursuite de la politique impérialiste de l’UE contre les peuples du Sud de la Méditerranée, cette résolution constitue un nouveau levier dont les populations et mouvements sociaux peuvent se saisir pour exiger l’audit de la dette et la répudiation des dettes odieuses et illégitimes.

Mohamed Dabo, Amaury Lebreton

Notes

|1| Voir le texte de la Résolution sur www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do ?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A7-2012-0104+0+DOC+XML+V0//FR

|2| Alexander Sack, Les effets des transformations des Etats sur leurs dettes publiques et autres obligations financières, Recueil Sirey, 1927

Source : http://www.cadtm.org