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Soulèvement populaire en Égypte : Acte II de la Révolution arabe

D 3 février 2011     H 15:57     A Ahmed Chawki, Mostafa Omar     C 0 messages


Il y avait au moins 25 000 manifestants rassemblés sur l’énorme place Tahrir au Caire ce 25 janvier lors de la plus grande manifestation politique vue dans la capitale égyptienne depuis plus de 30 ans. Des dizaines de milliers de personnes se sont retrouvées pour des manifestations dans des villes provinciales également. Au moins deux personnes ont été tuées lors de heurts avec les forces de sécurité de l’État égyptien.

Mais au lieu d’être intimidés par la répression de la police, les manifestants ont été capables de renverser le jeu avec la police égyptienne bien connue pour être violente et de battre plusieurs policiers. Et à la suite de la manifestation, une série d’organisations démocratiques laïques ont appelé à une grève générale le 26 janvier.

Ce mouvement a mis sous les projecteurs cet État policier soutenu par les États-Unis dirigé par Hosni Mubarak, ce dictateur de 83 ans méprisé pour être le président d’une société où une petite minorité a amassé des richesses énormes tandis que plus de 23% de la population de 79 millions vit en dessous du seuil officiel de pauvreté. La résurgence des grèves et des manifestations de travailleurs égyptiens alimente maintenant le mouvement pro-démocratique.

Entretien avec Ahmed Chawki, rédacteur d’International Socialist Review, revenu récemment du Caire et l’activiste égypto-états-unien Mostafa Omar par Lee Sustar.

Quel impact l’insurrection en Tunisie a-t-elle eu en Égypte ?

Ahmed : En Égypte, tout le monde parle de la Tunisie. L’insurrection en Tunisie a mis en avant en Égypte les questions de manque de démocratie ainsi que les problèmes économiques.

Il y a une accumulation de griefs à tous les niveaux de la société à propos des exigences de la vie quotidienne. Les prix alimentaires montent et vont continuer à monter. Ensuite il y a le haut taux de chômage, le nombre élevé de sans-abris et le manque d’opportunités pour la jeunesse. Ce sont les mêmes problèmes qui sont au centre de la lutte en Tunisie et les gens ont été inspiré par les actions là-bas.

Mostafa : Des manifestants tunisiens ont donné des conseils tactiques aux manifestants égyptiens par Faceboook.

Par exemple, la plupart des manifestations organisées par les mouvements démocratiques ces dernières années rassemblaient autour de 3 ou 400 personnes. Habituellement la police les cassait ou bien arrêtait de nombreux manifestants.

Cette fois, les choses ont été différentes. Il y a eu une espèce de direction unifiée qui a fait du travail préparatoire pour les manifestations. En suivant les conseils des Tunisiens, les organisateurs au Caire ont décidé de ne pas se réunir en un seul lieu mais de se rendre en différents lieux et de converger vers plusieurs bâtiments gouvernementaux où ils se sont alors réunis. Cela a eu le résultat de faire échouer la police.

Dans le passé la police a parfois toléré des manifestations mais seulement pour en prendre le contrôle par la violence ou les arrestations. Cette fois la police n’y est pas parvenu. Des manifestants ont convergé vers le bâtiment du parlement et ont essayé d’en prendre l’assaut. D’autres se sont rejoints au siège de la télévision et de la radio où ils ont essayé d’entrer. La plus grande manifestation au Caire a été à la place Tahrir dans le centre-ville.

Le deuxième problème pour la police c’est qu’elle ne s’attendait pas à ce nombre de manifestants. Elle pensait qu’il y aurait quelques milliers de manifestants au Caire alors qu’il y en a eu au moins 10 000 place Tahrir et plus encore à d’autres endroits.

Qu’en est-il des manifestations en dehors du Caire ?

Ahmed : À Alexandrie, la police a été très agressive et a utilisé des balles en caoutchouc pour essayer de casser la foule. Mais les gens sont restés. Cela malgré que, comme d’habitude, la police arrêtait les activistes et harcelait leur famille.

Mostafa : La police a attaqué les manifestations en plusieurs endroits avec des balles en caoutchouc et des canons à eau. Elle a laissé les manifestations commencer et puis les a attaquées. Mais ça n’a pas marché. En réalité, les manifestants ont attaqué les forces de sécurité. Il y a plusieurs compte rendus de manifestants qui ont complètement battu les forces de sécurité et une vidéo fascinante de manifestants chassant la police.

L’ampleur des manifestations en dehors du Caire est le plus grand problème du gouvernement. À Suez, les gens ont refusé de se disperser et ont combattu la police dans une sorte de guérilla. À Alexandrie il y a eu une manifestation massive avec des dizaines de milliers de personnes suivie de meetings dans des places centrales. Il y a eu des scènes fascinantes — les gens apportaient des énormes affiches avec la photo de Mubarak et les brûlaient dans la rue. Ailleurs, dans quelques villes du Delta du Nil — une zone très industrielle — les manifestations étaient aussi très militantes. C’était presque une insurrection nationale.

Au Caire, un certain nombre de figures importantes de l’opposition ont joué un rôle. La principale est l’ex-candidat à la présidentielle Ayman Nour qui s’est assis avec les occupants de la place Tahrir.

Y-a-t-il des précédents de manifestations de cette échelle ? Qui les dirigeaient ?

Mostafa : Ça n’était plus arrivé depuis 1977 quand la place Tahrir avait été occupée pour protester contre les hausses des prix demandées par le FMI.

La direction de l’opposition unifiée s’est créée lors des élections parlementaires de décembre. Étant donné que l’élection était complètement truquée pour donner au régime de Mubarak une majorité écrasante, quelques 80 ou 90 anciens membres du parlement ont créé un « parlement de l’ombre » et y ont amené plusieurs partis d’opposition. Ce sont eux qui ont plus ou moins coordonné l’appel à manifestation.

Une partie des jeunes ont tenus des ateliers pour discuter comment préparer l’action en terme de tactique. Les Frères musulmans — le plus grand groupe d’opposition en Égypte — n’a pas officiellement soutenu les manifestations mais a autorisé ses membres à participer sur base personnelle.

Les manifestations ont été organisées en une dizaine de jours. Les organisateurs ont choisi la date du 25 janvier — le Jour de la Police, ce jour où en 1951 la police a battu les occupants britanniques. Les organisateurs voulaient diffamer la police le jour où elle célébrait son soi-disant jour de fête patriotique. L’intention était en partie de mettre en exergue la brutalité de la police. Les manifestations étaient aussi proche du jour anniversaire de l’insurrection de 1977 contre le néolibéralisme du FMI.

Cependant, les organisateurs savaient que ces manifestations seraient différentes. Une indication était le nombre de suicides ces derniers jours suivant l’exemple du martyr Mohamed Bouazizi — ce Tunisien diplômé sans-emploi qui s’est immolé par le feu après que la police lui ait interdit de vendre des fruits.

Quelle est la politique de l’opposition ?

Ahmed : Les Frères musulmans ont vaguement acquiescé aux mobilisations mais ne les soutiennent pas en réalité. Il y a cependant un large soutient aux manifestations au travers des classes sociales.

Même des parties de la classe moyenne qui pourraient être en faveur de la répression des manifestations voient d’un mauvais oeil que Gamal Mubarak, le fils du président, deviennent son successeur. Une grande part de la classe politique ne laissera par le fonctionnement de l’État être une affaire de famille.

Les manifestations ont posé la question de savoir si Mubarak va se représenter à la présidence à nouveau. Et le boycott des élections parlementaires ont rendu le parlement encore plus factice que d’habitude. L’utilisation de lois d’exception pour se maintenir est plus évident que jamais.

Mostafa : L’opposition libérale s’était battue pour lever les lois d’exception, pour organiser des élections démocratiques et pour arrêter la vente de gaz à Israël. Elle n’avait, au mieux, réussi à mobiliser que 1000 ou 2000 manifestants. Les médias ont donc dit que les manifestations du 25 janvier étaient sans précédent.

En fait, si on tient compte du nombre de travailleurs qui ont été impliqués dans des grèves ou des manifestations de travailleurs ces dernières années, on arrive à à peu près un million. Le mouvement des travailleurs s’est construit depuis quelques années, a pris de la vitesse et a obtenus des concessions de la part du gouvernement. Le gouvernement n’a pas toujours obtempéré mais les travailleurs ont gagné leurs grèves, au moins sur papier, et se sont sentis plus confiants.

Tout ça s’est construit avant la Tunisie. Ce que la Tunisie a fait — et on ne peut pas le sous-estimer — c’est changer l’équation. Les gens disent « la Tunisie est un petit pays. Si ils peuvent se retrouver à plusieurs dizaines de milliers dans les rues, s’immoler par le feu pour faire passer un message et changer le régime, nous allons le faire aussi ».

Vous pouvez le voir en lisant des lettres écrites à des journaux d’opposition. Il y a quelques semaines — après les élections parlementaires truquées — il y avait un sentiment d’espoir. Maintenant, disent-ils, il y a une raison d’espérer — nous devons avoir une révolution.

Tout ça est remarquable parce qu’il y a eu une animosité populaire contre la Tunisie depuis l’ère de Sadat dans les années 70. Quand les deux pays se rencontrent au football, il y a souvent effusion de sang — des gens ont été tués. Maintenant il y a des drapeaux tunisiens partout en Égypte.

Les exigences politiques des manifestations vont-elles se joindre aux demandes économiques des travailleurs ?

Mostafa : Je ne suis pas sûr de qui a appelé à la grève générale nationale. Mais ce qui s’est passé le 25 janvier dans la ville textile de Mahalla est révélateur. Une manifestation qui avait commencé le matin avec 200 personnes a atteint en fin de journée 45 000 personnes. Je pense que beaucoup de travailleurs veulent continuer à manifester.

L’autre chose remarquable est que la fédération syndicale nationale égyptienne — dirigée par des personnes engagées par le gouvernement — a partiellement lâché le gouvernement pendant les 2 semaines suivant l’insurrection tunisienne. Ils veulent un contrôle des prix, une augmentation des salaires et un système de distribution subsidié pour la nourriture. Les gens n’arrivent pas à trouver des produits de base comme le thé ou l’huile. Que les dirigeants du syndicat demande ça est sans précédent parce que ces gens ont soutenu le néolibéralisme. Ça, c’est l’impact de la Tunisie.

Pendant ce temps, les conditions auxquelles doivent faire face les travailleurs sont de plus en plus dures. Le taux de chômage officiel est de 12% mais est en réalité de 24 à 25%. Les prix alimentaires sont hors de contrôle. Un kilo de tomate — un produit de base — coûte 2$ ; il était de 35 cents il y a peu. C’est prohibitif pour un pays où les fonctionnaires gagnent à peu près 26$ par mois. La question de la faim est réelle. Et maintenant, le FMI fait pression sur le gouvernement pour supprimer les subsides sur l’essence.

C’est une raison importante pour laquelle — et en occident on ne s’en rend souvent pas compte — il y a eu une augmentation dans les luttes de travailleurs ces trois dernières années. Chaque jour il y a une grève — et le jour de l’action, il y a eu 12 grèves majeures. Le gouvernement les a calmées directement en promettant tout ce qui était demandé.

Les médias états-uniens se concentrent sur la supposée menace du « radicalisme islamique » en Égypte comme dans le reste du Moyen-Orient. Est-ce un facteur de cette lutte ?

Mostafa : Deux fois déjà, les Frères musulmans se sont abstenus de faire un quelconque appel à la grève générale ou à la manifestation nationale. Déjà en 2006 et de nouveaux cette fois ils n’ont pas soutenus le jour de colère.

Ils sont toujours la plus grande force politique du pays mais ils refusent de rentrer en confrontation avec le gouvernement. C’est vraiment le mouvement des travailleurs et la jeunesse radicale qui sont les forces qui mènent le mouvement, pas les Frères musulmans. Les Frères musulmans sont toujours le parti d’opposition principal avec le plus d’influence mais ils ne sont pas du tout derrière ce mouvement.

Beaucoup de jeunes et de travailleurs qui sont entrés dans le mouvement ces deux dernières semaines sont ouverts aux idées démocratiques et socialistes. Beaucoup de partisans des Frères musulmans également sont ouvert à une analyse différente — une analyse qui voit autre chose qu’uniquement un conflit entre l’Islam et l’occident. Par exemple, dans une manifestation, un homme qui était clairement religieux avait une pancarte disant que ça n’avait pas d’importance d’être musulman ou chrétien pour rejoindre la lutte.

C’est un grand changement depuis le 1er janvier, quand des attaques violentes contre des églises chrétiennes ont pu faire croire que le pays était à l’aube d’une guerre civile entre musulmans et chrétiens. On a vu plus d’attaques contre des églises chrétiennes l’année passée qu’à n’importe quel moment de l’histoire moderne de l’Égypte. Mais aujourd’hui, beaucoup de chrétiens ont rejoint la lutte commune avec les musulmans contre la police et l’État corrompu bien que la hiérarchie religieuse leur ait demandé de rester à l’écarte des manifestations.

Tout cela veut dire qu’il y a une ouverture pour la gauche — spécialement pour les socialistes — pour s’agrandir. Il y a du sang neuf dans le mouvement et les Frères musulmans ne se battent pas. C’est la gauche qui mène la bataille avec des nouveaux radicaux.

Que peuvent faire les soutiens au niveau international pour aider le mouvement égyptien ?

Mostafa : Mohamed El Baradei, l’ancien inspecteur des armes atomiques et un meneur du mouvement de la démocratie a récemment appelé la Secrétaire d’État Hillary Clinton à défendre les droits de l’Homme en Égypte et au Moyen-Orient.

Mais c’est complètement erroné. Les États-Unis ont été un soutien clé du régime en Tunisie et de loin le plus grand soutien à l’État égyptien. Le gouvernement états-unien est partiellement responsable des atrocités commises par le régime de Mubarak et il ne veut pas réellement d’une réforme démocratique.

Les activistes aux États-Unis ont donc un rôle important à jouer en exigeant que les États-Unis mettent fin à leur soutien au gouvernement égyptien et ses efforts pour maintenir un régime corrompu et autoritaire.

Publié le 26 janvier 2011 sur socialistworker.org — traduction française de Martin Laurent pour www.lcr-lagauche.be

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