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Egypte : « Ne laissez pas l’armée vous duper ! »

D 4 août 2013     H 05:30     A Fatma Ramadan     C 0 messages


« La permission » [demandée au peuple égyptien] par le général Al-Sissi, est un poison mortel

Mes camarades, les travailleuses et travailleurs d’Egypte luttent pour leurs droits ainsi que pour une Egypte meilleure [1]. Les travailleuses et travailleuses égyptiennes rêvent de liberté et de justice sociale, ils rêvent de travail à une époque où les voleurs que l’on nomme « hommes d’affaires » ferment des usines afin d’empocher des milliards [de livres égyptiennes – L.E.]. Les travailleuses et travailleurs d’Egypte rêvent de salaires équitables sous la férule de gouvernements qui ne sont intéressés qu’à promouvoir les investissements sur le dos des travailleurs et de leurs droits, et même de leurs vies. Les travailleuses et travailleurs d’Egypte rêvent d’une vie meilleure pour leurs enfants. Ils rêvent de soins lorsqu’ils sont malades, mais ils n’en trouvent pas. Ils rêvent d’être entourés de quatre murs et d’un toit dans lesquels ils puissent tous trouver un vrai abri.

Avant même le 25 janvier [2011], vous avez revendiqué vos droits et vos grèves et manifestations pour les mêmes exigences qui sont restées sans réponse ont continué après le renversement de Moubarak. Autant les Frères musulmans que l’armée ont négocié à gauche, à droite et au centre, sans jamais avoir une seule fois pris en compte – même avoir eu à l’esprit – vos revendications et vos droits. Tout ce qu’ils ont en tête est de trouver comment éteindre les petits feux que vous avez allumés par vos luttes à une époque obscure, même si ces étincelles brûlent toutes les unes éloignées des autres.
L’armée n’a-t-elle pas mis un terme par la force à vos grèves à Suez, au Caire, dans le Fayoum et partout ailleurs en Egypte ? Les militaires n’ont-ils pas arrêté beaucoup d’entrevous et n’ont-ils pas été traînés devant des tribunaux militaires alors que vous ne faisiez que pratiquer votre droit à vous organiser , à faire grève et à protester pacifiquement ? N’ont-ils pas œuvré avec pugnacité pour criminaliser vos droits au moyen d’une législation interdisant à tous les Égyptiens d’organiser des protestations pacifiques, des grèves et des sit-in ?
Arrivèrent ensuite Morsi et les Frères musulmans, qui suivirent les traces de Moubarak pour ce qui a trait aux licenciements [du travail], aux arrestations et à briser les grèves par la force. C’est Morsi qui a envoyé des chiens policiers contre les travailleurs de l’entreprise Titan Cement à Alexandrie, agissant à travers le ministère de l’Intérieur et ses hommes. La même police et les mêmes officiers de l’armée qui sont aujourd’hui hissés sur les épaules sont des tueurs, les tueurs de jeunes Egyptiens honnêtes. Ils sont l’arme des autorités contre nous tous – et il en sera toujours ainsi à moins que ces institutions soient nettoyées.

Les dirigeants des Frères musulmans planifient des crimes contre le peuple égyptien de manière quotidienne, ce qui a eu pour résultat l’assassinat de personnes innocentes, alors que l’armée et la police répondent à cela par une violence brutale et le meurtre. Mais que l’on se rappelle à quel moment l’armée et la police sont intervenues. Ils sont intervenus longtemps après que les clashes aient commencé et arrivent presque toujours à la fin, une fois que le sang a été répandu. Demandez-vous pourquoi ils n’empêchent pas ses crimes commis par les Frères musulmans contre le peuple égyptien avant même qu’ils ne débutent ? Demandez-vous où résident les intérêts de la poursuite des combats et du sang versé ? C’est autant dans l’intérêt conjugué de la direction des Frères musulmans et de celle de l’armée. De la même manière que les pauvres sont de la chair à canon dans les guerres entre Etats, les pauvres, les travailleurs et les paysans d’Egypte constituent le carburant de la guerre intérieur et du conflit. Les fils innocents de portiers n’ont-ils pas été tués aussi bien à Mokattam [dans la périphérie du Caire, collines où habitent des personnes riches ; dans une autre partie de cette région résident des couches très paupérisées dont le travail consiste à ramasser et à recycler les « déchets ménagers »] qu’à Gizeh ?

Il nous a été aujourd’hui [vendredi 26 juillet] demandé de sortir [dans les rues] et de donner une autorisation à la fête meurtrière d’Al-Sissi. Nous avons découvert que les trois fédérations syndicales sont en accord : l’étatique Egyptian Trade Union Federation (ETUF), l’Egyptian Democratic Labour Congress (EDLC) et l’Egyptian Federation of Independent Trade Unions (EFITU) (de laquelle je suis un membre du comité exécutif).

Fatma RamadanJ’ai débattu avec les membres du comité exécutif de l’EFITU afin de les convaincre de ne pas publier une déclaration appelant ses membres et le peuple égyptien à sortir dans les rues vendredi 26 juillet, confirmant [par leur déclaration] que l’armée, la police et le peuple ne forment qu’une seule main – ainsi qu’il est dit dans la déclaration. J’appartenais à la minorité, gagnant quatre autres voix contre neuf. Ainsi, les trois fédérations syndicales appelèrent les travailleurs à se joindre aux manifestations au prétexte de combattre le terrorisme.

Nous passons ainsi de Charybde en Scylla. Les Frères musulmans ont commis des crimes dont ils doivent être tenus responsables et poursuivis en justice, de la même manière que la police ainsi que les officiers et soldats du régime Moubarak doivent être tenus responsables et poursuivis pour leurs crimes. Ne soyez pas dupé en remplaçant une dictature religieuse par une dictature militaire.

Travailleuses et travailleurs d’Egypte, soyez attentifs car vos revendications sont claires comme de l’eau de roche.

Vous voulez du travail pour vous et vos enfants, vous voulez une paie équitable, des lois qui protègent vos droits contre les lois que les hommes d’affaire de Moubarak avaient conçues pour protéger leurs intérêts contre vos droits. Vous voulez un Etat qui réalise un véritable plan de développement, ouvrant de nouvelles usines afin d’absorber une force de travail croissante. Vous voulez la liberté, les libertés de tout type, liberté de s’organiser, liberté de grève. Vous voulez d’un pays où vous pouvez vivre en tant que citoyens libres sans torture et sans meurtre. Vous devez spécifier ce qui se dresse entre vous et ces revendications. Ne soyez pas dupé et emmené par l’armée dans des batailles qui ne sont pas les vôtres. N’écoutez pas ceux qui exigent de vous aujourd’hui et demain que vous arrêtiez de lutter pour ces revendications et ces droits au prétexte de la lutte contre le terrorisme.

Fatma Ramadan,

26 juillet 2013


* Déclaration de Fatma Ramadan, membre du comité exécutif de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants (EFITU). Fatma Ramadan était présente en Suisse, dans le cadre du contre-sommet L’Autre Davos fin janvier 2011, quelques jours avant que n’éclate la révolution du 25 janvier. Cette déclaration est une traduction, réalisée par A l’Encontre, d’une adaptation de l’original arabe (http://al-manshour.org/node/4316) publiée sur le site du réseau de solidarité avec les travailleurs du Moyen-Orient).

Publié par Alencontre le 28 - juillet - 2013