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Geronimo Ji-Jaga, Black Panther d’Amérique en Afrique

D 25 août 2011     H 04:08     A Pierre Sidy     C 0 messages


Geronimo Ji-Jaga, G ou Bro G (c’est-à-dire Brother G) pour les amis et la famille ou Geronimo pour le révolutionnaires de par le monde, est décédé à Arusha, Tanzanie, le 2 juin dernier. Il avait, en quelque sorte, eu plusieurs vies mais celles-ci s’articulaient en toute cohérence…

De Quaterback à Black panther

Il est né Elmer Gerard Pratt le 13 septembre 1947 à
Morgan City, en Louisiane. Il fut un excellent Quarterback (Quart
de football américain) dans son lycée.
De retour de la guerre du Vietnam avec le grade de sergent et
plusieurs médailles : deux Bronze Stars, une Silver Star, et deux
médailles Purple Hearts, il emménagea à Los Angeles. Là, en tant
que bénéficiaire du G.I. Bill (officiellement Servicemen’s
Readjustment Act, loi américaine de 1944 fournissant aux soldats
démobilisés le financement de leur études universitaires ou de
formations professionnelles ainsi qu’une année d’assurance
chômage, fournissant également différents types de prêts pour
pouvoir acheter un logement ou démarrer une entreprise), il
s’inscrit en science politique à l’UCLA (University of California, Los
Angeles).

Alors que, en Louisiane, son adolescence était marquée par les
mobilisations contre la violence du Ku Klux Klan menées par les
Deacons for Defense and Justice, une organisation africaineaméricaine
d’autodéfense armée en cohérence avec le Second
amendement de la Constitution, c’est en Californie que Pratt
intégra, recruté par Alprentice « Bunchy » Carter et
John Huggins, le Black Panthers Party (BPP) : son intégration a
été boostée par l’expertise qu’il a acquise dans l’armée. Le BPP (à
l’origine Black Panthers Party for Self-Defense) a été fondé en
1966 en Californie par des jeunes militants de la Cause africaineaméricaine
 : Bobby Seale en fut le président, Huey P. Newton le
ministre de la Défense, Little Bobby Hutton le trésorier etc.
L’assassinat par le FBI (Bureau fédéral d’investigation) le 17
janvier 1969 de « Brunchy » Carter dont il était jusque-là le chef
de sécurité projeta Pratt comme sous-ministre puis ministre de la
Défense. C’est de là particulièrement qu’il commença à être ciblé
de façon prioritaire par le FBI par une commande d’opération
COINTELPRO sur sa personne en janvier 1970 : « Neutraliser
Pratt, responsable BPP opérationnel »

Le COINTELPRO (acronyme pour Counter Intelligence Program)
était un programme secret, et souvent illégal, de coordination
contre-insurrectionnelle du FBI pour surveiller, infiltrer, discréditer
et perturber les organisations politiques du pays. Ses options
tactiques incluaient le discrédit ciblé, la guerre psychologique,
l’émission de faux rapports dans les médias, les lettres
contrefaites, le harcèlement, l’emprisonnement injustifié, la
violence extra-légale, l’assassinat etc. Ses opérations secrètes se
sont tenues entre 1956 et 1971 : les motifs en étaient la
protection de la sécurité nationale, la prévention de la violence, le
maintien de l’ordre social et politique existant. Quasiment tous les
responsables du BPP étaient ciblés, d’une manière ou d’une
autre, par le COINTELPRO…

Le 18 décembre 1968, Caroline Olsen, institutrice de 27 ans, est
tuée par balles lors d’un chapardage sur un court de tennis de
Santa Monica. Le tueur indiqué d’emblée par son mari Kenneth
ne pouvait pas être Pratt qui, à ce moment, était filé par le FBI à
350 miles de là, à Oakland où il est allé ensuite intervenir dans
un meeting du BPP ! Mais Julius Buttler, un Black Panther qui se
révéla plus tard indicateur pour la police, désigna Pratt comme
le tueur…
Première grande alerte pour Elmer Pratt le 8 décembre 1969 :
descente de la police paramilitaire dans ses bureaux… Pratt et
son équipe résistèrent pendant plus de six heures avec armes
automatiques et grenades et firent échouer l’agression.

27 ans prisonnier politique

Pratt fut finalement arrêté en 1970 et inculpé de meurtre et
kidnapping. Pour un meurtre qu’il n’a jamais commis, il va passer
27 ans de sa vie dans les prisons de l’Etat de Californie dont huit
à San Quentin de confinement solitaire en CCR (Closed Cell
Restriction) « où la solitude et l’absence totale de contacts
humains vous rendent fou », selon Lynne Stewart, avocate des
droits civils des emprisonnés, prisonnière politique purgeant une
peine de 120 mois pour faute administrative. Pratt, lui, a tenu le
coup : même à San Quentin, il arrivait à organiser ses codétenus
 ! En 1971, son épouse Saundra, enceinte de huit mois,
est tuée par balles : le leader indien d’Amérique Leonard Peltier,
prisonnier politique depuis 1977, dira à ce propos que « Cela ne
leur suffisait pas de l’accuser de meurtre… il leur fallait aussi
prendre ses proches ! »

C’est en prison que Pratt se sépare de son nom de naissance
pour s’appeler Geronimo Ji-Jaga… « Geronimo » en hommage et
par identification au valeureux chef apache (1825-1909) qui a
combattu le Mexique et les Etats-Unis : dirigeant légendaire de la
rébellion apache au XIXe siècle, considéré comme un stratège de
guérilla hors pair, détenu par l’administration américaine comme
prisonnier de guerre pendant vingt ans après qu’il s’est ainsi
constitué moyennant la prise en charge humanitaire, sociale et
éducative des communautés apaches par l’État fédéral. Symbole
de l’injustice raciale aux USA, Geronimo Ji-Jaga qui était
prisonnier autant de temps que Nelson Mandela a été libéré en
1997 quand sa condamnation a été annulée parce qu’infondée. Il
a été alors dédommagé de 4,5 millions de dollars.

L’attrait de l’Afrique

Depuis sa libération, il s’est investi dans la défense des droits
humains et civils, en particulier ceux des prisonniers politiques,
« les milliers de prisonniers politiques dans les goulags de
l’Amérique » note Marina Drummer de la Campagne
internationale pour la libération des prisonniers politiques Black
Panthers de la State penitentiary d’Angola, Louisiane dans son
message d’hommage à G décédé. Geronimo n’a pas cessé de
multiplier les initiatives pour la libération de ceux d’Angola :
Herman ‘Hooks’ Wallace et Albert Woodfox (39 ans de CCR
chacun), Robert Hillary Wilkerson King ayant été libéré en 2001
après 32 ans de confinement… Après sa libération, Bro G épousa
Joju Cleaver, fille des leaders BPP Kathleen et Eldridge Cleaver
avec la faction desquels, pendant un temps assez bref, il
s’impliqua contre d’autres dans les luttes internes au parti.

Une fois libéré et après avoir tourné dans tout le territoire des
USA pour remercier ses partisans, G a quitté la terre de sa
naissance pour rejoindre une petite communauté d’expatriés près
d’Arusha, en Tanzanie. Là encore c’est toute une cohérence mais
pas le fruit du hasard ni une fuite en avant…
Dans le premier quart des années soixante-dix aux USA, le reflux
des nouvelles radicalités (dont le BPP – malgré ses contradictions
internes – était sans doute la plus vigoureuse expression) dans
leur guerre frontale contre une administration hyper-répressive et
raciste préoccupait, désarçonnait et déroutait bien de secteurs
militants. Beaucoup d’activistes africains-américains quittèrent les
USA pour participer à des constructions nationales ambitieuses
fortement marquées de tiers-mondisme idéologique
panafricaniste dans d’anciennes colonies d’Afrique comme la
Tanzanie ou le Ghana.

En particulier, en 1967, le Mwalimu Nyerere et le gouvernement
de la TANU (Tanganyika African National Union) publièrent la
Déclaration d’Arusha qui a lancé leur politique de développement
social et économique pour la Tanzanie. Fondée sur les principes
de l’Ujamaa (« famille élargie », « fraternité » en swahili), cette
orientation du genre « socialisme africain » attira bien de
radicaux cherchant une sorte de base de repli. L’attrait par la
Tanzanie était si forte (même si ces radicaux étaient, en général,
critiques) que plus de 800 Africains-Américains s’y établirent
durant les années soixante et soixante-dix. Les progressistes
tanzaniens accueillirent d’ailleurs favorablement ces exilés venant
du BPP considéré alors comme avant-garde marxiste et
internationaliste du mouvement pour la liberté.
Les implications réussies de « retournants » dans les réseaux
africains de société civile attestent que la radicalité des Panthers
n’était pas inhérente à l’obsession de la violence mais bien au
renforcement des capacités des populations dans les conquêtes
de droits, dans l’éducation et, par dessus tout, par l’autoorganisation…
C’est le cas des deux anciens Panthers de
Kansas City Pete et Charlotte O’Neal qui s’installèrent à Arusha,
en Tanzanie au début des années soixante-dix et fondèrent en
1991 leur ONG United African Alliance Community Center
(UAACC), basée à Imbaseni Village, proche Maji ya Chai,
Arusha. (1)

Une certaine cohérence de parcours entre Amérique et
Afrique

Rappelons-nous du Ten Points Plan de 1967, programme en
10 points du BPP :
 « 1. Nous voulons la liberté. Nous voulons le pouvoir de
déterminer le destin de notre Communauté noire.
 2. Nous voulons le plein emploi pour notre peuple.
 3. Nous voulons la fin du vol de notre Communauté noire par les
capitalistes.
 4. Nous voulons des habitations décentes, propres à
l’hébergement de personnes.
 5. Nous voulons une éducation pour notre peuple qui expose la
véritable nature de cette société américaine décadente. Nous
voulons une éducation qui nous enseigne notre véritable histoire
et notre rôle dans la société d’aujourd’hui.
 6. Nous voulons que tous les hommes noirs soient exemptés du
service militaire.
 7. Nous voulons la fin immédiate de la brutalité policière et du
meurtre des personnes noires.
 8. Nous voulons la liberté pour tous les hommes noirs détenus
dans des prisons municipales, de comtés, d’État et fédérales.
 9. Nous voulons que toutes les personnes noires amenées en
cour soient jugées par leurs pairs ou par des personnes de leurs
communautés noires tel que défini dans la Constitution des États-
Unis.
 10. Nous voulons des terres, du pain, des logements, de
l’éducation, des vêtements, la justice et la paix. »

En janvier 1969, le premier Free Breakfast for School Children
Program fut initié à l’église Sainte Augustine d’Oakland. À la fin
de cette année, les Panthers installèrent des cantines dans
beaucoup de villes à travers le pays pour nourrir les enfants tous
les jours avant qu’ils n’aillent à l’école. De même, le Free Health
Clinics Program assurait un service gratuit de santé publique.
C’est le même type d’engagement que les anciens du BPP repliés
sur l’Afrique allaient faire avancer.
Contrairement aux autres groupes nationalistes noirs, les
Black Panthers n’avaient pas de références religieuses. Les
Black Panthers pratiquaient un nationalisme modéré, et ne
revendiquaient pas d’État noir spécifique, tout en considérant que
les Noirs étasuniens formaient une nation à part entière : « Nous,
le parti des Panthères noires, nous voyons les Noirs comme une
nation à l’intérieur d’une nation, mais pas pour des raisons
racistes. Nous le voyons comme une nécessité qui s’impose, si
nous voulons progresser en tant qu’êtres humains et vivre sur
cette terre en accord avec d’autres peuples […] Si les gens
veulent s’intégrer - et nous présumons qu’ils y arriveront d’ici
cinquante ou cent ans - c’est leur affaire. […] Le racisme et les
différences ethniques permettent au pouvoir d’exploiter la masse
des travailleurs de ce pays parce que c’est par là qu’il maintient
son contrôle »
. En somme, cette vision, ce programme et cette
pratique du BPP, d’une part, et la contribution à l’autonomie des
populations en Afrique pour les « exilés » africains-américains,
d’autre part, sont dans une claire continuité.

En 2000 donc, les O’Neal invitèrent Bro G à venir leur rendre
visite à Arusha et ce dernier finit par acheter une terre à
Imbaseni village, Arusha, et s’y établit. En fait, G passa beaucoup
de temps entre la Tanzanie, le Ghana et la Louisiane jusqu’à son
décès : il poussait plusieurs projets communautaires et initiatives
autour de l’adduction d’eau et de la production d’énergie solaire
en milieu rural en Tanzanie et au Ghana. La Kuji Foundation (2)
qu’il a créée en 1999 pour s’occuper des projets Eau en
partenariat avec l’UAACC est, en fait, basée dans sa ville
d’origine, Morgan City, en Louisiane.

Qu’on le nomme « Geronimo Ji-Jaga » ou « Geronimo » (tout
court) ou « geronimo » (tout en minuscule ce nom qu’il s’est mis
– manière d’être humble – à ne plus capitaliser !) ou « G » ou
« Bro G »… il était un révolutionnaire acquis à l’auto-organisation
des populations et à l’action politique directe. Le prisonnier
politique Leonard Peltier, juste après avoir appris son décès, l’a
qualifié de « phare de principes, lumière dans l’obscurité,
prophète voire saint… titan marchant parmi nous, esprit
incendiaire qui a ouvert les esprits et fait tomber les murs ».
Alors, « Africain-Américain » ? ce n’était pas pour lui une
posture ; il était pleinement entre Afrique et Amérique… C’est,
sans doute, cette conception des identités (la sienne d’abord)
comme forcément plurielles qui lui a fait donner le nom du
révolutionnaire péruvien Tupac Amaru II au fils d’Afeni Shakur –
responsable BPP – : la légende du hip hop, le défunt rapeur 2pac
(Tupac Shakur) dont il était le « parrain ».

Pierre Sidy

 (1) http://www.uaacc.habari.co.tz (sur l’UAACC)
 (2) http://www.uaacc.habari.co.tz/WATER%20program.htm (sur
Kuji Foundation et son Water project)