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Le roi Zuma et les élections sud-africaines

D 16 juin 2009     H 22:34     A Léo Zeilig     C 0 messages


Au cours du week-end qui a précédé le vote du 22 avril en
Afrique du Sud, le parti au pouvoir, l’African National
Congress (ANC) a tenu un meeting à Johannesburg. Ce
meeting devait marquer la fin de la campagne pour l’élection de
Jacob Zuma à la présidence. L’un des espaces les plus vastes
consacrés aux meetings politiques est, dans la plus grande ville
d’Afrique du Sud, Ellis Park. Pourtant la
dimension du rassemblement causa un
choc. Le public était si important,
débordant du parc dans les rues
adjacentes, qu’un autre meeting simultané
dut être immédiatement organisé pour la
foule des partisans et des électeurs de
Zuma. Le jour de l’élection, les queues
s’allongeaient devant les bureaux de vote
dans tout le pays. Des foules de partisans
jeunes et de militants dansaient
(‘toytoyed’), scandant la devise de Zuma,
et son chant de lutte, ‘Lethu Mshini Wami’
(‘Apportez-moi ma mitraillette’), un slogan
du pouvoir de Zuma et un symbole de la
révolte dans l’ANC. Zuma devait remporter
une victoire électorale impressionnante, le
Congrès National Africain totalisant 65,9 %
des voix.
Un « drôle » de président…
Zuma est un personnage extrêmement
ambigu. Détesté par beaucoup, il a été, ces dernières années,
le politicien sud-africain le plus controversé. Accusé, puis
acquitté, d’avoir violé une jeune femme atteinte du sida – il
provoqua la consternation générale lorsqu’il déclara avoir pris une
douche après le prétendu viol pour éviter l’infection. Quelques
jours avant l’élection présidentielle, il était également acquitté des
charges de « corruption » liées à ses rapports avec l’homme
d’affaires condamné Shabir Shaik, et des chocs en retour de
l’accord de 1999 avec des fabricants d’armes européens. La
société française Thalès/Thint était un acteur important du
scandale. Le gouvernement sud-africain dirigé par l’ANC avait
signé des contrats portant sur 4,8 milliards de dollars.
Pourtant Zuma a recueilli un soutien massif des Sud-Africains
pauvres et des Noirs. Sa base électorale comportait la puissante
fédération syndicale COSATU – qui a mené les luttes de la classe
ouvrière contre l’apartheid – et le très influent Parti Communiste
sud-africain (SACP). Ces
organisations, avec l’ANC,
forment l’Alliance tripartite
controversée qui gouverne
l’Afrique du Sud depuis
1994. La victoire de Zuma
devrait, temporairement du
moins, renforcer cette
alliance. Dans un pays
porteur d’une fracture
raciale, le soutien dont
Zuma bénéficie dans le pays
suit la ligne de partage de la
couleur de peau. Ainsi, on
pouvait entendre les blancs
sud-africains se lamenter :
l’élection de Zuma
symboliserait la descente du
pays dans le marécage
continental de « corruption
 » et de « mauvaise
gouvernance ». L’Alliance
Démocratique d’Afrique du
Sud, un parti constitué d’anciens partisans de
l’apartheid, s’est tournée vers ce public. Le magazine
international, The Economist, s’est joint à la cacophonie des
clichés, notamment avec son titre du 16 avril, « Le prochain
homme fort de l’Afrique ». Mais les pauvres d’Afrique du Sud ont
vu Zuma tenir ses promesses en matière de logement, d’emploi
et d’espoir, là où le précédent gouvernement, de Thabo Mbeki,
avait poursuivi un programme résolument néo-libéral qui avait fait
voler en éclats les promesses de libération. Ainsi, le vote Zuma
était une réponse de colère aux vieux privilèges. Comment
pouvons-nous comprendre l’énigme Zuma ?

Radicalisation

Il existe des facteurs centraux. D’abord, il y a eu, en 2006,
près de 6000 protestations dans les townships de toute l’Afrique
du Sud. Il s’agissait essentiellement de révoltes à base locale
contre l’échec du gouvernement ANC à satisfaire la "livraison de
services", la fourniture d’électricité, d’eau et d’hygiène dans les
communautés pauvres du pays depuis 1994. Alors que la société
sud-africaine, à de nombreux égards, ressemble à celle des Etats-
Unis, avec des infrastructures développées, des systèmes routiers
et des villes impressionnantes, elle est extrêmement pauvre. Le
chiffre officiel du chômage était de 16% en 1995 et a grimpé à
31,2% en 2004, mais si on compte ceux qui ont renoncé à
chercher du travail, le chiffre atteint
aujourd’hui 42%. Ces révoltes,
intervenant à une fréquence plus élevée
que dans tout autre pays, étaient alors
organisées par des militants du SACP et
de l’ANC. La montée des mouvements
sociaux, avec des organisations comme
le Forum Anti-Privatisation, a émergé, en
partie, comme une tentative de
coordonner les luttes contre la politique
de l’ANC de marchandisation à outrance
et de privatisation des services de base.
Le second facteur important a été,
en 2006, l’orientation de la lutte vers la
classe ouvrière. Les mouvements
sociaux et les révoltes communautaires étaient jusque-là dirigés
par ceux qui étaient sur les marges du travail, survivant en
vendant quelques légumes au coin des rues, des porte-manteaux
à la sauvette ou des CD aux feux rouges. Les militants syndicaux
étaient, à l’évidence, présents et actifs dans ces mouvements,
mais ils n’en étaient pas l’élément dirigeant. Puis la classe
ouvrière organisée est entrée en scène. En 2006, il y eut une
grève puissante et spectaculaire des agents de sécurité – une
industrie importante en Afrique du Sud, employant plus de 250
000 salariés – mais aussi des agents de nettoyage. Ces deux
industries connaissent des conditions de travail et des niveaux de
rémunération exécrables. Entre 2003 et 2006, le nombre de
journées de travail perdues pour cause de grève est passé de 500
000 à 2,6 millions. Puis, en juin 2007, il y eut une extraordinaire
grève générale du secteur public, la plus grande de l’histoire sudafricaine,
selon de nombreux commentateurs. Elle devait durer
quatre semaines, avec 11 millions de journées de grève. Des
groupes de soutien furent constitués, avec des piquets militants
gardant les lieux de travail et avec de plus en plus de slogans,
apparaissant lentement, qui critiquaient l’ANC. Mais il y avait un
problème. La gauche sud-africaine, qui voyait le pivot de la lutte
exclusivement dans les mouvements sociaux, n’a pas réussi à
réagir. L’alliance de la COSATU avec le gouvernement a amené de
nombreux militants de gauche à négliger le rôle de la classe
ouvrière – certains prétendant même que les syndicats
représentaient une "aristocratie du travail". Il n’y a pas eu de
tentatives consistantes pour se tourner vers les luttes en cours
dans les lieux de travail et vers les syndicats.
Le dernier évènement important s’est produit en décembre
2007 à Polokwane – une métropole régionale au nord de
Johannesburg – où l’ANC a tenu son 52e congrès annuel. Mbeki y
a cédé la présidence de l’ANC à
Zuma, ce qui représentait une
révolte contre l’ancienne politique
et exprimait la résistance, dans les
révoltes des townships et dans les
grèves, qui avait marqué l’Afrique
du Sud depuis le début de la
décennie. Zuma, malgré son passé
de complice consentant du néolibéralisme
de l’ANC, en vint à être
considéré comme le champion des
pauvres. Cette révolte dans l’ANC
fut confirmée en septembre quand
une révolution de palais éjecta le
président en exercice, Mbeki. Pour
mobiliser ses supporters, Zuma
utilisa les slogans de la lutte nationaliste. Ses nouveaux et zélés
camarades dans les syndicats parlaient avec enthousiasme d’un
tournant, avec son élection, contraire à la politique de
privatisation. Avec Zuma, il y aurait un véritable développement
et il serait mis fin aux violentes inégalités.
Pourtant son comportement, depuis son élection, démontre la
nature contradictoire de la politique et du soutien de Zuma. Le
Financial Times du 10 mai a applaudi à la nomination par Zuma
de William Gumede comme ministre des finances. La
communauté des affaires s’est félicitée. ‘Les marchés seront
heureux’, a déclaré John Cairns, un stratège de la Rand Merchant
Bank. Mais Zuma a aussi nommé le dirigeant du SACP Blade
Nzimande comme ministre de l’enseignement supérieur. Même si
Zuma perpétue la politique à face de Janus de l’ANC inaugurée
dans la lutte de libération, rien ne reste figé en Afrique du Sud.
Les grèves et les protestations communautaires continuent à se
propager dans tout le pays.

Leo Zeilig