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Mayotte : Philippe Poutou “Les mahorais n’ont eu ni l’égalité, ni le progrès social”

D 17 avril 2012     H 12:25     A Faïd Souhaïli, Philippe Poutou     C 0 messages


La campagne pour l’élection présidentielle a débuté il y a quelques semaines. MayotteHebdo a cherché à savoir si les candidats ont prévu des dispositions dans leur programme pour améliorer le quotidien des Mahorais. Cette semaine, c’est Philippe Poutou, candidat du Nouveau Parti Anticapitaliste qui répond à nos questions. Pour Mayotte, son programme consiste à décoloniser l’île en réactivant si possible le groupe de travail de haut niveau avec l’Union des Comores. Un programme qui ne risque pas de séduire beaucoup de personnes tant les Mahorais ont montré leur attachement à la République française.

Mayotte Hebdo : En 2007, Nicolas Sarkozy a écrit une lettre aux Mahorais en leur promettant le département. Une consultation en 2009 puis l’avènement du département en 2011 sont survenus comme le prévoyait les accords signés en 2000 avec le premier ministre Lionel Jospin. Le président Sarkozy a présenté un pacte pour la départementalisation aux élus de Mayotte dans lequel il propose un rattrapage des prestations sociales et autres mises aux normes sur une période de 20 à 25 ans. Ce délai n’est-il pas trop long et n’y a-t-il pas moyen de le raccourcir ? Comment comptez-vous le faire en sachant que les Mahorais en tant que citoyens français aspirent aux mêmes droits, prestations que leurs concitoyens de l’Hexagone et des DOM ?

Philippe Poutou : Si nous comprenons que les Mahorais souhaitent avoir un niveau de vie meilleur, nous ne pouvons oublier que Mayotte est une colonie, dont le rattachement à la France n’est pas légitime. En effet l’archipel des Comores, composé des îles d’Anjouan, de la Grande-Comore, de Mayotte et de Mohéli est une entité géographique, historique et culturelle qui a été administrée par la France, en tant que telle, pendant près d’un siècle et demi. Le référendum d’autodétermination de 1974 prévoyait explicitement une proclamation globale des résultats à plus de 95% pour l’indépendance. Le gouvernement de l’époque a choisi de mettre à part Mayotte, à 65% contre l’indépendance, et de la rattacher, par un statut de T.O.M., à l’Hexagone.

La France a maintenu à Mayotte un niveau de vie supérieur aux autres îles, mais nettement inférieur à celui de la Réunion. Elle dit que la départementalisation permettra à l’île de rattraper son retard en accédant au statut de "région ultrapériphérique de l’Europe". Or la France n’est pas habilitée à départementaliser une partie du territoire d’un État souverain membre de l’ONU, pas plus qu’à organiser des référendums au sein d’une partie du territoire d’un Etat souverain. Tout autre est le droit des Mahorais, seuls, à l’autodétermination.

Sur les autres îles, la France a provoqué l’instabilité par de multiples coups d’Etat, en développant la corruption, en encourageant les menées séparatistes qui aboutissent à un pouvoir fédéral faible.

Tout cela parce que Mayotte constitue le poste de surveillance de l’impérialisme français, gendarme des intérêts occidentaux, à l’entrée du « canal du Mozambique », par où transite une grande partie du pétrole mondial. Une compagnie de la légion y est casernée. De nombreux bateaux de guerre français y font escale.

MH : Dernièrement, Mayotte a vécu une grève de 46 jours contre la vie chère ? Que comptez-vous prendre comme mesure pour sauvegarder le pouvoir d’achat des Mahorais ? Comment mettre en place un développement économique qui puisse développer l’emploi à Mayotte ? Les mouvements patronaux se plaignent de ne pas bénéficier des mêmes exonérations de charges pour leurs entreprises que leurs homologues de l’Hexagone et des DOM. A quand un alignement à propos de ces mesures ? Financièrement, l’Etat est-il en mesure de combler les retards de Mayotte (notamment dans l’éducation) ?

PP : La France a promis aux Mahorais, en échange du statut de département d’Outre-mer, l’égalité et le progrès social. Ils n’ont eu ni l’égalité avec les autres citoyens français, ni le progrès social.

En guise d’égalité, ils n’ont rencontré que le mépris et les propos racistes de certains hauts-fonctionnaires, dans un territoire où la quasi-totalité des cadres de l’administration et de l’économie viennent de la "métropole".

La population y est totalement otage, pour ses besoins essentiels des trusts de l’alimentaire, comme le groupe Casino qui contrôle, par l’intermédiaire de sa filiale Vendémiaire (NDLR : Vindémia, l’hypermarché Jumbo-Score) ou de Total pour ses besoins en énergie.

C’est ainsi que le carton d’ailes de poulet, base de l’alimentation coûtait 50% plus cher qu’à la Réunion et que la bouteille de gaz est trois fois plus chère qu’en métropole. Par contre le RSA qui allait être instauré est lui 25% plus bas et il ne pourrait être augmenté que dans 5 ans !

Face à cette mobilisation populaire à laquelle il ne s’attendait pas, malgré de nombreux signes précurseurs, le gouvernement a, d’une part fait traîner les négociations en longueur et, d’autre part déployé des blindés dans les rues des principales communes et envoyé des renforts de gendarmerie pour réprimer les Manifestations.

Face à des manifestants qui bloquaient des ronds-points au simple cri de « Mabawas nachouké ! » la réaction gouvernementale a été totalement disproportionnée, comme chaque fois que des mouvements sociaux se déclenchent dans un département ou un territoire d’outre mer, autrement dit dans l’une des "dernières colonies françaises".

Avant tout, il s’agit d’une manifestation du mépris des autorités coloniales pour les Mahorais qui fait suite à d’autres interventions policières, aux propos racistes de certains hauts fonctionnaires, à la chasse aux comoriens "clandestins", aux tentatives de dresser les Mahorais contre les migrants africains venus du continent.

La France ne cherche qu’à conserver sa base militaire, en limitant au maximum le coût qu’elle représente, on est bien loin des besoins des Mahorais !

MH : A Mayotte, l’immigration clandestine pose d’énormes problèmes dans tous les secteurs (éducation, santé, emploi). Malgré la mise en place de radars, l’augmentation des forces de police et de gendarmerie et les reconduites à la frontière (50 millions d’euros de coût estimé), le phénomène ne faiblit pas. N’est-il pas possible de s’assoir avec les autorités de Moroni pour imaginer une coopération entre la France (Mayotte) et les Comores qui permette le développement de structures économiques, de santé ou d’éducation sur place ? Comptez-vous réactiver le GTHN ?

PP : Depuis 1995, le « visa Balladur » empêche les Comoriens de circuler librement sur la partie mahoraise de leur territoire. Ainsi, les Comoriens non originaires de Mayotte sont devenus des immigrés clandestins. La marine française pourchasse et arraisonne les bateaux de ces « clandestins », qui ne franchissent aucune frontière. Ces poursuites en mer des kwassa kwassa sont directement responsables de la mort de milliers de personnes (7000 selon le gouvernement comorien). A Mayotte, la France expulse les Comoriens, objets d’expéditions punitives, de rafles, de rétentions dans ces centres indignes, dénoncés par des associations et différents pays, suivies d’expulsions abusives.

De l’autre côté, les fonctionnaires français solidaires des "sans papiers" sont sanctionnés et renvoyés en métropole comme les enseignants du RESF.

Ce que demande le peuple comorien c’est bien sûr le respect par la France de la légalité internationale par l’annulation du référendum et du "visa Balladur" mais c’est aussi la reconnaissance de l’intégrité territoriale des Comores. Et pour cela il réclame non pas le retour pur et simple, du jour au lendemain, de Mayotte dans l’Union des Comores, mais l’ouverture de véritables négociations sous l’arbitrage d’instances internationales. Le gouvernement français n’a rien fait pour que le groupe de travail de haut niveau ait quelques résultats.

C’est une politique de décolonisation totale que le NPA propose de mettre en œuvre.

Propos recueillis par Faïd Souhaïli

Source : Mayotte-Hebdo