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MADAGASCAR : Chaos libéral et mascarade électorale

D 9 juin 2013     H 05:48     A Pierre Sidy     C 0 messages


La « crise » malgache actuelle, commencée en 2009, procède d’une lutte entre fractions dirigeantes politico-affairistes (dont celles de Ravalomanana et Rajoelina) pour le contrôle du pouvoir sous la pression d’enjeux géopolitiques avec multinationales et puissances étrangères anciennes et/ou émergentes à l’œuvre. D’escalades en surenchères, la compétition a très vite dégénéré en véritable chaos dans lequel la population étouffe…

Quid des élections ?

Le processus de sortie de crise articulant, d’un côté, diverses et successives solutions malgaches et, de l’autre, diktats de la « communauté internationale » (ONU, UE, UA, SADC) (1), a mis et continue de mettre en œuvre un « partage du pouvoir » entre fractions belligérantes, une « feuille de route » signée le 17 septembre 2010 par la quasi-totalité des groupements de politiciens et un corpus d’engagements des acteurs politiques construit grâce à la médiation de la SADC (mandatée par l’Union africaine selon le principe de subsidiarité pour traiter de la sortie de crise malgache). De cette feuille de route ont procédé le referendum controversé du 17 novembre 2010 pour la IVe république puis la constitution de l’actuel gouvernement d’« union nationale », la désignation d’un Premier ministre consensuel et la définition d’un calendrier électoral. Le processus électoral de sortie de crise est maintenant mis en œuvre mais, pilonné par les uns et les autres et largement controversé, tiendra-t-il la route ?

On se rappelle que, sous la pression et le diktat de la « communauté internationale » (ONU, UE, UA, SADC – Communauté de développement d’Afrique australe) et pour aller vers une « sortie de crise apaisée », le président renversé et exilé en Afrique du Sud, Ravalomanana, le 12 décembre 2012, et le putschiste et actuel président de la Transition, Rajoelina, se sont engagés le 15 janvier 2013 à renoncer à se présenter à la présidentielle. À rappeler aussi que, le 5 février 2013, la Cenit (commission électorale nationale indépendante de la Transition) a annoncé, avec l’aval de la SADC et des Nations unies, que la présidentielle était reportée du 8 mai au 24 juillet 2013. Quid alors de cette élection en préparation ?

Candidatures controversées et tours de passe-passe

Quarante-neuf dossiers de candidature ont été déposés dans les délais impartis à la cour électorale spéciale (CES). Les candidatures de Lalao Ravalomanana, épouse du président exilé en Afrique du Sud, et de Didier Ratsiraka, chef de l’État de 1975 à 1993 et de 1997 à 2002, ont été validées, en dépit du fait qu’elles ne remplissent pas la condition de six mois de résidence : la cour a estimé que les circonstances politiques avaient fait obstacle à leur retour. Huit candidatures ont été invalidées pour vice de forme et un candidat s’est désisté.

Un coup de théâtre est survenu après à la date de clôture de dépôt des dossiers : Rajoelina, de retour d’un séjour au Vatican et à Paris, a décidé de déposer sa candidature, laquelle a été acceptée par la CES. La décision a été vivement critiquée par les organisations de la société civile, nombre d’hommes politiques, la majorité des candidats et la plupart des médias, qui estiment que la crédibilité de la cour est déjà définitivement compromise et, avec elle, la garantie d’élections transparentes et démocratiques. Le SeFaFi, observatoire de la vie publique, a qualifé la décision de « forfaiture ». Des appels à la révocation des neuf magistrats de la CES ont été lancés. La plateforme nationale des organisations de la société civile réclame en outre la disqualification d’Andry Rajoelina. La cour a tenté de se défendre, affirmant avoir jugé en conformité avec la loi et les conventions internationales auxquelles Madagascar est partie.

La France et l’UE disent regretter ce « faux-pas » inaugural qui décrédibilise la suite prévue du processus électoral. Organe de la HCC (Haute Cour constitutionnelle), cette cour qui recevait les dossiers de candidature à la présidentielle et à la députation sera chargée « du contentieux électoral et de la proclamation des résultats définitifs ». La troïka de la SADC a exhorté les trois postulants controversés à réfléchir au retrait de leur candidature « au nom de la paix et de la stabilité » : les trois interpellés ont opposé une fin de non-recevoir à ce qui n’est, selon eux, qu’une « proposition », qui fait fi de la souveraineté nationale.

Des candidats Ubu

Le président de la Transition a ainsi renié l’engagement qu’il avait pris en janvier, sous la pression de la communauté internationale, de renoncer à sa candidature, en vertu du principe du « ni…ni », laborieusement négocié avec les deux principaux protagonistes. Un revirement qui s’expliquerait par l’acceptation des dossiers de Didier Ratsiraka et surtout de Lalao Ravalomanana, qui avait été autorisée à rentrer d’exil pour se rendre au chevet de sa mère hospitalisée à la condition expresse, négociée avec la SADC, qu’elle s’abstienne de toute activité politique. Selon certains observateurs, Andry Rajoelina aurait obtenu cette « faveur » de la CES pour ne pas prendre le risque que son dépôt de candidature déclenche in extremis celle de Marc Ravalomanana.

Au final, 41 candidats vont concourir à la présidentielle du 24 juillet. Certaines candidatures apparaissent comme des candidatures tactiques au service de l’une ou l’autre des fractions majeures en lutte et seront retirées à terme. Le nombre pléthorique de candidats, qui ont dû pourtant verser chacun une caution équivalente à 17 000 €, est perçu par les analystes comme le signe d’un grave dysfonctionnement de la représentation politique. Une pléthore qui est l’expression de l’égoïsme de la classe politique et une nouvelle illustration de son comportement prédateur. D’ailleurs, la question du plafonnement des dépenses électorales n’a toujours pas été tranchée : un texte serait en discussion au sein du gouvernement mais le Premier ministre reconnaît que le consensus sera difficile à trouver.

Le Bianco (bureau indépendant anti-corruption) a proposé aux candidats de signer un document comportant des engagements les incitant à respecter l’État de droit, l’indépendance de la justice et les principes de séparation des pouvoirs, à renforcer les institutions de la République, à faire preuve d’intégrité et d’honnêteté dans l’exercice de leur mandat, à déclarer spontanément leur patrimoine après leur prise de fonction et à renforcer la bonne gouvernance. Moins de la moitié des candidats l’auraient signé, c’est dire !

Plusieurs autres controverses virulentes plombent sévèrement la présidentielle. L’élection inaugurera l’usage du bulletin unique (édité au format A3 !) à Madagascar, recommandé de longue date par la communauté internationale et les experts électoraux pour limiter les risques de fraude. Un usage qui risque d’être problématique en raison du nombre de candidats, du faible niveau scolaire de certains et de l’absence d’éducation des électeurs.

D’autres controverses portent sur le délai de démission des autorités publiques candidates (président de la Transition, ministres, membres du Congrès et du Conseil supérieur de la Transition. Des délais pour démissionner sont prévus pour chaque cas : Rajoelina, président de la Transition, a au plus tard 60 jours avant le scrutin donc ce 24 mai pour s’exécuter. D’une manière générale, concernant ces démissions, la Transition est confrontée à un imbroglio juridique dû à la présence simultanée d’une Constitution issue d’un référendum (contesté) et d’une feuille de route adoptée postérieurement à la loi fondamentale. Certains candidats membres d’institutions auraient dû, selon tel ou tel texte en vigueur, démissionner le 6 mai dernier : ils sont toujours en poste à ce jour !

Enfin la question d’une direction collégiale qui devrait prendre le relais du candidat Rajoelina pour diriger la Transition jusqu’à l’élection du nouveau président et le bras de fer pour désigner les titulaires font aussi débat. Les observateurs s’interrogent sur les intentions de Rajoelina, prêt à tout pour conserver le pouvoir, via un politicien de sa clique, jusqu’à la présidentielle.

Le processus électoral face à la perspective d’une Transition-bis

Alors que le processus électoral prévu par la feuille de route se construit cahin-caha, un « dialogue malgacho-malgache » initié par les quatre chefs de congrégations chrétiennes (le FFKM) a appelé à une refondation de l’Etat qui impliquerait une nouvelle Transition neutre, de 18 mois, dirigée par un Premier ministre doté de pouvoirs élargis, une nouvelle feuille de route de sortie de crise, l’adoption d’une nouvelle Constitution par une Constituante, la dissolution des institutions de l’actuelle Transition, le report de l’élection présidentielle, le retour des exilés politiques, la libération de tous les prisonniers politiques, la réouverture des stations radio et TV fermées par le régime et l’accès de toutes les forces politiques aux antennes nationales. Un « conseil présidentiel » pourrait réunir tous les anciens chefs d’Etat, il n’aurait qu’un pouvoir symbolique. Près de 700 personnes appartenant à 231 organisations ont participé aux travaux et ont affirmé avoir parlé « au nom du peuple malgache ». L’incertitude règne autour de la force exécutoire de ces propositions. La démarche du FFKM ne soulève pas l’adhésion unanime de la classe politique et elle effraye la communauté internationale, très attachée à la poursuite du processus actuel. Les candidats et une partie de la classe politique reconnaissent le rôle que peut jouer le FFKM dans la réconciliation et l’apaisement mais insistent sur le maintien du calendrier électoral.

Le conseil de réconciliation (CRM), autre instance impliquée dans la sortie de crise, envisage d’organiser une rencontre des 41 candidats pour leur proposer de signer une charte sensée prévenir troubles et contestations, de l’amont à l’aval de la période électorale. L’institution de réconciliation prévue par la feuille de route a été prise de vitesse par le FFKM, dont les initiatives ont bénéficié d’une importante couverture médiatique. Le CRM chercherait à sortir de son isolement en essayant de faire converger ses actions avec celles du FFKM. Une offre de rapprochement a été faite en ce sens aux Eglises.
Les pieds dans le plat du processus électoral…
Parallèlement aux élucubrations électorales, d’autres événements sont à remarquer et ont leur importance :
– La recrudescence des actes de banditisme dans le Sud pourrait affecter gravement la participation aux élections. Des attaques de dahalo (brigands, voleurs de zébus) y sont régulièrement signalées. La vindicte populaire devient monnaie courante, face aux agressions subies et à l’impuissance des forces de l’ordre. La presse se fait largement l’écho de lynchages de prédateurs.
– Perle Zafinandro-Fourquet et la dizaine de membres de l’association Fagnomba (« Solidarité »), emprisonnés depuis le 12 mars à Tolagnaro, ont été libérés à l’issue de leur procès. Le jugement condamne le groupe à un an de prison avec sursis et cinq ans de mise à l’épreuve pour avoir organisé des barrages sur les voies d’accès à l’entreprise QMM (Quit Minerals Madagascar), une joint-venture entre l’Etat malgache et la multinationale Qit-Fer, filiale de Rio Tinto. Perle Zafinandro-Fourquet fait appel, la mobilisation de la population locale reste très forte.
– Le syndicat des journalistes (SJM) interpelle la communauté internationale à intervenir en faveur de la réouverture des 77 stations de radio et TV fermées par le pouvoir de Transition ces dernières années. Le SJM estime notamment qu’en période de pré-campagne, tous les citoyens ont droit à une information pluraliste.
– L’Alliance Voahary Gasy soupçonne une reprise massive des exportations illicites de bois de rose, une situation jugée chaotique, aggravée par la campagne électorale qui focalise toute l’attention et la prochaine mise en application des dispositions contraignantes de l’annexe II de la Cites. Certains candidats pourraient également être à la recherche de fonds pour financer leur campagne.
– Madagascar fait face à sa plus grande invasion de criquets depuis 16 ans. Le cyclone Haruna, qui a frappé l’île en février, a créé les conditions favorables à la prolifération des migrateurs. Plus de la moitié de la population est désormais menacée dans sa sécurité alimentaire. La FAO recherche désespérément des fonds. La situation pourrait affecter le taux de participation aux prochaines élections dans plusieurs régions.
Aucun candidat ne porte les aspirations de la population

Les acteurs, locaux ou étrangers, de ce chaos libéral, disent tout et son contraire. On dit vouloir maintenir le calendrier électoral et on le pilonne… Il est vrai que la population en a assez et voudrait que cette Transition qui la fait souffrir prenne fin, même si elle est elle-même partagée, et le jeu politicien est obligé d’en tenir compte dans ses manigances… pour ne pas laisser du champ à des actions populaires, plus ou moins violentes, contre les multinationales ou d’autres prédateurs, contre les abus de l’administration, pour défendre des droits, etc., comme cela se produit de plus en plus en plusieurs endroits mais de façon isolée et non coordonnée pour le moment…
Aucun candidat ne porte les aspirations de la population ni dans leur intégralité ni dans leur cohérence : celles-ci sont juste instrumentalisées par des écuries largement sponsorisées et porteuses d’intérêts inavouables…

On se demande si, aussi bien la plupart des politiciens à l’œuvre que les multinationales déjà en piste pour des ressources minières, foncières et halieutiques déterminées, ne cherchent pas à faire perdurer le chaos pour gagner du temps, grignoter de la marge de manœuvre. Mais c’est jouer avec le feu !

Pour l’instant et même si le processus électoral se poursuit, il y a incertitudes réelles quant à une sortie de crise satisfaisante, dans l’intérêt de la population ! Affaire à suivre…

Pierre Sidy