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Madagascar : Dossier bois de rose, éclairage et propositions

Communiqué SeFaFi

D 9 juin 2012     H 05:16     A SeFaFi     C 0 messages


Jamais dossier n’aura tant défrayé la chronique. Le feuilleton inachevé de l’exploitation illicite de nos forêts naturelles en vue de l’exportation massive de rondins de bois précieux, principalement du bois de rose, en est arrivé, le 13 avril dernier, au limogeage du Ministre de l’Environnement et des Eaux et Forêts - dont le Premier Ministre assure désormais l’intérim. Aussi le SeFaFi ne peut-il que se réjouir de voir la société civile s’engager à son tour : le débat organisé par l’Alliance Voahary Gasy les 24 et 25 mai sur la gouvernance environnementale vient à point. En sera-t-il tenu compte ? À son tour, le SeFaFi apporte ici un éclairage et une analyse complémentaires sur cette affaire qui, selon les propres termes du communiqué de la Présidence de la Transition, « menace les actions et la cohésion du Gouvernement », démolit l’image du pays sur le plan international et contrecarre dangereusement toute action de développement.

La genèse d’un désastre

6 avril 2004 : le cyclone tropical intense Gafilo, avec des vents atteignant 315 km/h, frappe le district d’Antalaha. Les dégâts dans la ville sont importants ; en brousse, les champs de vanille sont détruits ; les forêts du sud du district, y compris une partie du parc Masoala, sont dévastées. La circonscription locale des Eaux et Forêts ne put empêcher la collecte des grumes abattues par le cataclysme. Une vaste opération de collecte de bois précieux commença mais les coupeurs, ne se contentèrent pas de récupérer les arbres abattus, ils s’adonnèrent à des coupes systématiques d’arbres sur pied. D’innombrables stocks de rondins se constituèrent, en ville ou éparpillés dans la forêt. 28 janvier 2009 : un arrêté interministériel autorise, à titre exceptionnel et nominatif, 12 opérateurs à exporter du bois de rose et d’ébène en vue de soutenir l’économie locale. Une redevance de 100 Ar/kg à la collecte et de 4 % à l’exportation au port de Vohémar est instaurée. La date limite d’exécution est fixée au 30 avril de la même année.

À cette même date, les ONG internationales CI, WCS et WWF, lors d’une audience obtenue auprès du Ministre de l’Environnement, ont alerté ce dernier sur la situation catastrophique des aires protégées du Nord-Est. Mais loin de s’atténuer, le phénomène s’amplifia, contaminant les parcs nationaux voisins : Marojejy au nord, Makira et Betampona au sud. Au cours de cette année 2009, le nombre d’exportateurs est passé de 12 à 23, tandis que 20 dossiers étaient en attente d’agrément. Des dizaines de navettes de navires emportèrent des milliers de tonnes de rondins de bois précieux, principalement de bois de rose.

Il a fallu la menace de nos partenaires extérieurs pour que les autorités se ressaisissent et envoient en octobre 2009 une « Task Force » de 120 éléments de l’armée, afin de mettre fin aux coupes illicites dans les aires protégées.

L’inégalité des forces en présence

Le film des événements et leur analyse laissent penser toutefois que la saga du bois de rose est loin d’être achevée. En effet, le trafic implique la plupart des hommes d’affaires locaux mais aussi quelques-uns de la capitale qui jouissent tous de la protection d’autorités politiques régionales ou nationales. Les montants en jeu sont très importants, tellement importants que les opérateurs sont capables de corrompre les décideurs à tous les niveaux.

Au cours de la seule campagne 2009, pas moins de 52.000 tonnes de bois précieux ont été abattues, et environ 36.700 tonnes exportées pour un prix de vente estimé à US$ 220 millions (440 milliards d’Ariary), tandis que le montant des devises non rapatriées avoisinerait les US$ 52 millions (104 milliards d’Ariary) [1]. Face à de tels enjeux, difficile de contenir l’appétit des exploitants forestiers et des exportateurs. En 2009, aux moments forts de la crise du bois de rose, ils ont commandité la destruction des moyens d’action des forces de l’ordre : saccage et pillage des locaux de l’administration des Eaux et Forêts, destruction des véhicules de Madagascar National Parks et menaces perpétrées à l’encontre de ses agents en brousse…

Dans la forêt, les éléments de la Task Force ont été corrompus par les exploitants forestiers avant de devenir eux-mêmes des négociants de bois précieux. Pour eux, la tâche est beaucoup plus facile : il suffit de détourner les stocks de rondins saisis. La justice n’est pas en reste. Le procès d’un gros opérateur le 11 novembre 2009 à Toamasina débouche sur un non-lieu contre le versement de 100 millions d’Ariary à qui de droit. Par la suite, les exportateurs inculpés de trafic ont été pour la plupart relaxés au bénéfice du doute. Le 9 avril 2012, les Éléments mixtes [2] ont procédé à l’arrestation de 25 personnes coupables d’outrage à l’autorité publique au cours d’une manifestation non autorisée. Il ne s’agirait en définitive que de seconds couteaux, voire des paysans payés pour participer à ladite manifestation. Curieusement, les forces de l’ordre ont laissé passer (intentionnellement ?) à travers les mailles de leur filet ceux qui les ont menacées et vilipendées en public.

La collecte et l’exportation de bois de rose a créé dans la région SAVA une nouvelle race d’opérateurs, corrupteurs avérés, prêts à tout pour arriver à livrer leurs énormes stocks de rondins à des négociants également sans scrupules.

Face à cette organisation mafieuse internationale, les entités soucieuses de la préservation du patrimoine forestier malgache apparaissent tout à fait démunies. La circulation des rondins de bois précieux sur le sol national s’effectue sous escorte des forces de l’ordre, mais à l’insu des autorités civiles déconcentrées. Le cordon douanier est actif mais nos frontières sont tout à fait perméables. Le 10 avril 2012, un navire battant pavillon chinois a été arraisonné au large du village de Fampotahely, commune rurale d’Ambohitralanana, district d’Antalaha, prêt à embarquer environ 3.000 rondins de bois de rose fraîchement coupés dans l’enceinte du parc national de Masoala. Cette prise est l’exception ; combien de cargaisons illicites ont-elles été embarquées à l’insu des autorités frontalières ? On se rappelle du déplacement fracassant du Premier Ministre Camille Vital à Moroni le 17 février 2011 pour reprendre possession au nom de l’État malgache de la cargaison de bois de rose interceptée par les autorités comoriennes, tout comme de la saisie d’une autre cargaison [3] le mois de juin de la même année par les douanes mauriciennes. Curieusement, il a été décidé de les stocker dans nos ambassades en raison, semble-t-il, du coût exorbitant de leur rapatriement. Y sont-ils toujours, et si oui, que va-t-on en faire ?

Nos bailleurs de fonds traditionnels, tant bilatéraux que multilatéraux, ont été réduits au silence, pris au piège de la non-reconnaissance internationale du pouvoir de transition. Seules les ONG nationales et internationales engagées dans la protection de l’environnement (Alliance Voahary Gasy, CI, WCS et WWF) ont fait preuve de ténacité pour contrecarrer le phénomène, en condamnant ouvertement la façon dont le gouvernement gère la crise du bois de rose. Il est temps que d’autres organisations, notamment de la société civile, prennent le relais : pour dénoncer les dysfonctionnements de la chaîne d’autorité et ses différentes formes de corruption, mais aussi pour proposer des solutions.

Promouvoir une gestion rationnelle du patrimoine de bois précieux
Revoir les textes

Notre première recommandation sera de refondre l’actuel dispositif légal et réglementaire, dans le cadre d’une vision globale de la gestion nationale du patrimoine forestier comme des ressources naturelles ; et que cette refonte ne soit pas laissée à l’initiative exclusive des pouvoirs publics, mais résulte d’un processus incluant les opérateurs du secteur ainsi que les ONG nationales et internationales engagées dans la préservation de l’environnement. Première étape nécessaire mais nullement suffisante, ces textes resteraient lettre morte en l’absence de certaines mesures d’accompagnement.

La transparence, élément-clé de la bonne gouvernance du secteur

Le secret-défense ne peut être invoqué au sujet des interventions des forces de l’ordre. Les termes exacts de leur mission doivent être rendus publics et la lumière doit être faite sur le montant des amendes infligées et sur la destination des lots saisis. Le cas récent des 3.000 rondins de bois saisis dans la région SAVA est caractéristique : la cargaison a semble-t-il été acheminée vers Toamasina avec escorte des forces de l’ordre, mais le convoi n’a été localisé nulle part jusqu’à présent. Et l’enquête serait bloquée au motif que les occupants du bateau arraisonné ne parlent ni le français, ni l’anglais... ni le mandarin. Le ministre limogé Joseph Randriamiarisoa a déclaré qu’il n’était pas surpris par son éviction, qu’il s’attendait même à pire, en représailles à sa volonté d’assainir le secteur [4]. Espérons que le procès « pour diffamation publique, dénonciation abusive et propagation de fausses nouvelles » intenté par les personnes qu’il a dénoncées ne finisse pas en queue de poisson mais apporte un début d’éclairage sur cet épineux dossier, en révélant l’identité des personnes impliquées dans cette affaire. À quelque niveau que se trouvent les délinquants, le SeFaFi revendique des plus hautes autorités de la Transition le courage de les expurger des postes de responsabilité et de laisser faire la justice. Et il met les magistrats au défi de tenir l’engagement pris par leur syndicat, de ne plus céder désormais à la corruption au terme de ses assises les 10 et 11 février 2012.

Définir une ligne d’action constante et coordonner l’intervention de la puissance publique

Les remontées d’informations à partir du terrain ne font entrevoir aucune possibilité de règlement qui ne soit conflictuel du problème des stocks de bois précieux. Pour mettre fin à leur variation en volume et à leur déplacement incessant, il convient de faire un ultime inventaire des grumes, de procéder à leur marquage selon un procédé infalsifiable et d’autoriser la vente des marchandises licites par leurs propriétaires. Les stocks illégaux, quant à eux, devraient être saisis, répartis par lots et vendus par appel d’offres nationales et internationales.

Au-delà de cette opération, les exportations de bois précieux devraient être interdites et toute détention de stocks de bois précieux constituerait un délit à réprimer par des sanctions exemplaires. Pour ce faire, une intervention coordonnée des forces de l’ordre est nécessaire. La compétition entre les unités dépêchées par l’échelon central (Task force, Eléments mixtes) et celles agissant sous l’autorité des échelons déconcentrés est contre-productive et favorise la corruption. Est-ce trop demander à nos dirigeants de mettre un peu d’ordre… dans les forces de l’ordre ?

Une exploitation raisonnée

Le stock compris dans le périmètre des parcs nationaux est intangible en vertu du statut de ce type d’aires protégées ; encore faut-il que la frontière séparant les parcs nationaux des lots forestiers attribués aux exploitants soit clairement délimitée. Quant aux autres espaces, il importe de respecter le vieux théorème des stocks et des flux, autrement dit fixer la limite supérieure des coupes annuelles à la capacité naturelle de régénération du stock disponible. Pour ce faire, il est indispensable de renforcer les moyens d’action de l’administration des Eaux et Forêts et de Madagascar National Parks.

Le reboisement, seule solution viable sur le long terme

La proposition ci-dessus correspond à une économie de cueillette, de prédation : une pratique intenable face à la forte demande internationale qui sera sans doute croissante au cours des prochaines décennies. Il demeure que certaines caractéristiques botaniques du bois de rose s’opposent à son reboisement à grande échelle. Tout d’abord, la plante ne fleurit que les années de passage d’un cyclone ; les oiseaux et les rongeurs raffolent des graines, ce qui réduit leur disponibilité. Ensuite, la plante ne pousse que dans le sous-bois des forêts ombrophiles des zones très humides. Enfin, le rythme de croissance est extrêmement lent : l’âge optimal d’abattage de l’arbre se situe entre 60 et 100 ans. Ce dernier paramètre ne devrait pas inciter au découragement. Bien au contraire, il est indispensable de débuter l’opération sans délai si l’on veut « récolter » à la cinquième génération.

Échapper à la malédiction

La croissance soutenue des pays émergents à fort peuplement (Brésil, Chine, Inde) exercera durant quelques décennies encore une pression constante sur les matières premières, ce qui entretiendra l’envolée des cours internationaux de ces produits. Madagascar y trouvera les moyens de financer son développement à condition d’utiliser à bon escient les revenus provenant de l’exploitation de son pétrole, de ses grandes mines et des autres ressources naturelles.

En ce qui concerne le bois de rose, c’est loin d’être le cas. Jusqu’à maintenant, le trafic profite principalement aux négociants étrangers, dans une moindre mesure aux exportateurs nationaux, moins encore à l’État et pas du tout aux populations rurales. Bien au contraire, la fièvre des bois précieux a accru la mortalité, fait régresser la scolarisation et provoquée le ralentissement économique dans la région SAVA par détournement des fonds habituellement investis dans la culture, la collecte et la préparation de la vanille. À l’instar de certains pays du tiers-monde, notre pays est peut-être en train de vérifier dans le domaine des bois précieux la fameuse malédiction des ressources naturelles dans les pays du Sud.

Antananarivo, le 24 Mai 2012

SeFaFi

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Notes

[1] Hery Randriamalala et Zhou Liu, Bois de rose de Madagascar : Entre démocratie et protection de la nature, Madagascar Conservation & Development 5,1 : 11-22. Supplementary Material, mars 2010.

[2] Nouvelle appellation du contingent à l’œuvre dans le secteur depuis mai 2011 en remplacement de la Task Force évincée pour corruption avérée.

[3] Six conteneurs renfermant chacun 29 tonnes de bois de rose, saisis sur un navire en partance pour HongKong, lieu de transit, avant d’être écoulés en Chine.

[4] Le limogeage serait dû à la promulgation de l’Arrêté n° 0741/2012 du 18 janvier 2012, fixant la classification et la normalisation dimensionnelle, et le taux de redevances relatives à la commercialisation et à l’exportation des produits principaux des forêts.