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Madagascar - FFKM : De la réconciliation à l’aventurisme politique

D 16 mai 2015     H 05:01     A SeFaFi     C 0 messages


Le FFKM (Conseil des Églises chrétiennes à Madagascar) a donc tenu ses Assises nationales au CCI d’Ivato, du 28 avril au 2 mai 2015. L’objectif proclamé en était la « réconciliation nationale ». Il y a deux ans, lors d’une conférence nationale tenue du 2 au 4 mai 2013 au même lieu, il avait déjà tenté d’imposer ses vues, résumées en trois slogans : refondation de l’État, nouvelle transition, nouvelle constitution. Et déjà, une lettre du Bureau de la Conférence épiscopale datée du 30 avril 2013, avait exprimé l’appréhension des évêques catholiques [1] et, au-delà, de nombre de citoyens quant aux probables dérives qu’une telle démarche pourrait entraîner. Le même Bureau a réitéré ses inquiétudes avant les récentes Assises : « Dans la réconciliation en cours, ce sont les affaires politiques qui ont pris le dessus. Est-ce bien le moment d’y faire entrer les affaires politiques, et est-il du ressort du FFKM d’en discuter ? Pourquoi donc ne pas faire clairement connaître à la population les objectifs de la Réconciliation dont se préoccupe le FFKM ? Il est vrai que le contenu des 4F est déjà clair, mais qui s’agit-il véritablement de faire se réconcilier ? » [2]. La lettre a provoqué l’ire du pasteur Rasendrahasina, président en exercice du FFKM [3], mais aux questions posées, qui concernent pourtant l’ensemble des citoyens, aucune réponse n’a été apportée.

Et pour cause : les résolutions des Assises, dont l’intégralité n’a toujours pas été publiée, semblent faire l’impasse sur la réconciliation, pour ne traiter que de sujets éminemment politiques. Plus question de réconciliation venant d’en haut (les chefs d’État, ancien et actuel), censée descendre ensuite vers le bon peuple. Par contre, elles ne demandent rien de moins que la dissolution [4] de toutes les institutions de l’État (sauf la présidence de la République - pourquoi cette exception ?) et la désignation (par qui ?) d’une assemblée constituante pour un mandat de deux ans. Bref, un coup d’État institutionnel, sauf que les institutions concernées n’ont guère l’envie de se suicider : le président de l’Assemblée nationale rappelait à juste titre que les 1.830 membres auto-désignés de ces Assises ne représentaient qu’eux-mêmes, alors que la représentation nationale revient en toute légitimité aux élus du peuple que sont les députés (même mal élus et incapables d’assurer correctement leurs fonctions).

Car l’obscurité la plus épaisse entoure le déroulement de ces Assises dites nationales : qui en ont été les membres ? En dépit de nombreuses sollicitations, la liste n’a pas été rendue publique, ce qui laisse soupçonner des manipulations dans sa composition. Or ces 1.830 anonymes ont prétendu représenter les 23 millions de citoyens malgaches : qui leur a donné ce pouvoir, qui n’a aucun fondement juridique ? Alors qu’ils ne représentent qu’eux-mêmes, de quel droit exigent-ils la dissolution d’institutions (même bancales) issues d’élections démocratiques (même contestables), et le changement d’une Constitution (loin d’être parfaite, mais amendable) plus ou moins pratiquée depuis moins de 18 mois ? En exigeant un « exécutif fort », savent-ils qu’il ne peut y avoir (sauf cas de dictature avérée) un exécutif fort sans un législatif tout aussi fort ? À l’image du régime présidentiel américain, sont-ils prêts à accepter un Congrès (Assemblée et Sénat) aussi puissant que le Président, les pouvoirs de l’un et de l’autre étant clairement définis et aucun ne pouvant empiéter sur le domaine de l’autre ? L’objet même de la Constitution de 2010 n’était-il pas de diminuer le pouvoir excessivement fort de l’exécutif, surtout tel qu’il fut pratiqué par les présidents précédents ? Que pareil bricolage soit cautionné par le FFKM laisse songeur ; ces gens savent-ils de quoi ils parlent ?

À l’origine de ces prétentions, des « responsables » religieux. Leur démarche, a récemment rappelé le coordinateur du SeFaFi, est tout simplement inconstitutionnelle, puisque la Constitution impose la laïcité de l’État. Par ailleurs, nul ne sait sur quels fonds publics a été financé l’ensemble du processus, qu’il s’agisse des réunions des ex-chefs d’État, des assises régionales ou des assises nationales, le financement étant aussi obscur que l’identité des participants. Or il existe une instance officielle de réconciliation instituée par l’article 168 de la Constitution, le Conseil du Fampihavanana Malagasy ou FFM (Filankevitry ny Fampihavanana Malagasy) et par la feuille de route, devenue loi, de septembre 2011. Pourquoi avoir écarté cette structure légale dont la composition et le fonctionnement peuvent être améliorés, au profit d’une structure privée et bancale (ni les 260 Églises évangéliques, ni les musulmans, ni les adeptes de la religion traditionnelle n’y sont représentés), dont les tentatives de réconciliation ont échoué en 2002 comme en 2009 ? Annoncée par le président de la République, la dissolution du FFM, après l’usurpation illégale par le FFKM de sa mission, serait contraire à la loi 2012-010 et par extension, à l’article 168 de la Constitution. Sans parler de la demande d’instaurer un « comité de suivi », qui permettra aux clercs du FFKM de devenir membres de plein droit d’un organisme public.

Enfin, les citoyens ont constaté avec étonnement que la réconciliation, censée être au cœur de la démarche du FFKM, a été totalement marginalisée par les résolutions de ces Assises dites nationales. L’ancien président Ravalomanana y a gagné la levée de sa mise en résidence fixe (c’était le premier objectif de l’Église FJKM dont il est vice-président), l’ancien président Ratsiraka y a trouvé une tribune d’où il a fait miroiter, une fois de plus, des promesses mirobolantes et vides de contenu. Mais qu’en est-il des 4F : aveu, repentance, vérité et fihavanana (fieken-keloka, fibebahana, fahamarinana, fihavanana) ? Rappeler, comme l’a fait Marc Ravalomanana, que chaque être humain a fait des bêtises dans sa vie est une évidence, et pas un aveu de culpabilité. Tous ces anciens chefs d’État pourraient avoir à répondre de détournements, de gaspillages et de tueries, mais aucun n’a avoué ses véritables turpitudes, aucun n’a fait repentance de ses actes répréhensibles, aucun n’a dit la vérité sur ses agissements condamnables. À l’inverse, tous ont fait preuve d’hypocrisie, invoquant le fihavanana pour obtenir l’amnistie de leurs méfaits, sans qu’il ait été demandé à la justice de se prononcer. Disons-le clairement : aussi longtemps que triomphera l’impunité de la classe politique, la réconciliation nationale restera un rêve inaccessible.

Au terme de tant de basses manœuvres, le FFKM fait donc savoir que sa tâche est terminée et qu’il tire sa révérence. C’est ajouter l’irresponsabilité au ridicule : après voir engagé le pays dans l’impasse, en se cachant derrière des acteurs anonymes, il apporte une nouvelle preuve de son manque total de sens démocratique et de son incapacité à comprendre le bien commun de la nation –cléricalisme et sectarisme obligent. Les générations à venir, sacrifiées sur l’autel de son opportunisme et de son goût du pouvoir, en paieront le prix...

Antananarivo, 5 mai 2015

SEHATRA FANARAHA-MASO NY FIAINAM-PIRENENA
SeFaFi
Observatoire de la Vie Publique

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Notes

[1] « Nous sommes profondément préoccupés qu’il y a un risque de dérapage vers une réconciliation purement et uniquement politique qui se dessine. Or cela n’est pas du ressort de l’Église. C’est pour cela que nous devons nous en tenir seulement à notre premier objectif : pardon, conversion, vérité, réconciliation. C’est le chemin qui nous conduira à la réconciliation véritable ».

[2] Bureau de la Conférence épiscopale, 25 avril 2015.

[3] Dire que le FFKM réunit les chefs des Églises membres (ECAR, FJKM, FLM, EEM) est une approximation, l’Église catholique à Madagascar n’ayant pas de « chef ». Tous les évêques sont égaux en droit, ils se réunissent en Conférence épiscopale qui élit son Président (actuellement, Mgr Désiré Tsarahazana, archevêque de Toamasina) et désigne son représentant au sein du FFKM (actuellement, Mgr Odon Razanakolona, archevêque d’Antananarivo). Tout le reste est littérature ou fantasme.

[4] Que le mot « dissolution » ait été remplacé, trois jours après les Assises et face au tollé général qu’il a suscité, par « apporter des changements », ne change rien à l’affaire. Cette modification illustre davantage encore l’infantilisme et l’incompétence de ceux qui ont présidé à ces Assises