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Violations des droits humains à Madagascar

D 1er juillet 2013     H 05:27     A CETIM     C 0 messages


Depuis son accession à l’indépendance en 1960, la vie politique à Madagascar est ponctuée
de plusieurs tentatives de coups d’Etat avant celui de 2009. En effet, le 17 mars 2009, le
maire de la capitale Andry Rajoelina a pris le pouvoir par la force, plongeant ce pays dans
une crise politique sans fin. Bien que l’Union africaine ait tenté de trouver un accord
politique consensuel et inclusif de sortie de crise, un régime de transition, fortement dominé
par les putschistes et leurs alliés, a été mis en place en 2010.
La période qui s’ensuit est marquée par une gestion chaotique du pays où corruption,
insécurité, intimidation et pauvreté constituent le lot quotidien des Malgaches. On constate
un pillage à grande échelle des biens publics et des richesses naturelles, et ce malgré
l’interpellation des instances internationales, notamment de l’Assemblée Parlementaire
ACP UE1 quant à la nécessité de protéger les ressources naturelles contre tout abus.

Répression au sud de Madagascar

Le sud de Madagascar est constitué de cinq régions administratives : Androy (476 000 hab -
Chef lieu : Ambovombé), Anosy (544 000 hab - Chef lieu : Taolagnaro), Ihorombé (190 000
hab – Chef lieu : Ihosy), Atsimo-Atsinanana (621 000 hab – Chef lieu : Farafangana) et
Atsimo-Andrefana (1 100 000 hab – Chef lieu : Toliara). La densité de la population y est
inférieure à la moyenne nationale et plus de 70% des habitants vivent en zone rurale. La
population pratique l’élevage contemplatif de zébus lors des cérémonies coutumières. La
pauvreté affecte plus gravement les enfants du sud de Madagascar où plus de 65% d’entre
eux sont dans une situation de pauvreté extrême2. Ces enfants sont privés de leurs droits les
plus fondamentaux tels que l’alimentation, la santé, l’éducation, le logement et la sécurité.
Depuis le mois de juin 2012, le sud de Madagascar, principalement la population des
régions de l’Androy et de l’Anosy, est cible d’attaques répétées par les forces de l’ordre et
des milices armées. En effet, sous le prétexte officiel de lutter contre les « Dahalo »3, les
forces de l’ordre mènent des opérations militaires avec l’utilisation d’armes lourdes (fusils
d’assaut, lance-roquettes, etc.) et d’hélicoptères. De plus, une force spéciale, dotée de
moyens importants en hommes et en matériels, a été spécialement créée pour mener
l’opération « Tandroka » (cornes de zébus) dont l’objectif officiel est de capturer le chef
présumé des dahalo, Remenabila. Le commandement a été confié au chef de la police
politique de Rajoelina, le colonel Réné Lylison.
Lors de trois opérations « Tandroka », de septembre 2012 à avril 2013, les forces de l’ordre
ont commis des massacres dans la région d’Amboasary-Sud, faisant plusieurs centaines de
victimes dont des femmes et des enfants tués par balles ainsi que des présumés dahalo
exécutés sommairement4. Des jeunes dont des mineurs, accusés d’être des bandits, ont été
mutilés ou torturés à mort avec l’encouragement des forces de l’ordre. Ces dernières ont
également brûlé entièrement une vingtaine de villages5. Suite à ces opérations, plus de 3000
personnes, terrorisées, ont fui soit vers les grandes villes, soit dans la forêt. La plupart
d’entre elles se trouvent dans un dénuement total (sans abris et sans nourriture).
Malgré ces opérations et les moyens mobilisés, le chef présumé des « dahalo », le fameux
Remenabila (existe-il réellement ?), est toujours insaisissable.

Zones riches en ressources naturelles

Les localités concernées par ces massacres sont situées dans des zones dont le sous-sol est
d’une richesse exceptionnelle, objet de convoitise pour tous les prédateurs. En effet, cette
partie du pays possède un potentiel considérable. En plus de l’élevage de bovins, les
ressources minérales sont importantes et variées : elles comprennent des minerais
industriels (uranium, mercure, terres rares, mica, charbon, ilménite), des pierres précieuses
et semi-précieuses (saphir, émeraude, cristal de roche, …), de l’or mais aussi du diamant de
très haute qualité. Le pétrole est également présent dans le sous-sol de la région. Selon les
témoignages de certains notables locaux, il y a « une volonté de certains lobbies politiques
et économiques de ’dégager’ une bonne partie du Sud de sa population afin de faciliter
l’exploitation des terres et des richesses du sous-sol de cette partie de l’île »6. Connaissant
l’attachement des populations à leurs terres ancestrales qui constituent leur milieu de vie,
on peut aisément comprendre que, sans le recours à des actions très violentes de grande
ampleur, elles ne les abandonneront pas facilement. On assiste donc à un déplacement forcé
de populations et à la confiscation des terres par la force. Les terres ainsi accaparées sont
octroyées le plus souvent à des sociétés transnationales (STN) de l’exploitation minière ou
de l’agro-business avec la complicité active des autorités nationales.
En effet, les dirigeants actuels de la transition ont multiplié les contrats de concessions
foncières ou avec des grandes STN et d’autres Etats, qui conduisent à l’accaparement des
terres à grande échelle, acte qui leur est interdit pourtant pendant la période de transition en
vertu des engagements contenus dans la Feuille de Route que A. Rajoelina et son entourage
ont signée.7.
Historiquement, le système foncier malgache est fondé sur deux références : primo, la terre
est à celui qui la met en valeur ; secundo : le droit sur la terre est établi et reconnu par la
puissance publique. La loi n° 2005-19, adoptée en 2005 sous la Présidence de
Ravalomanana, a réformé les statuts des terres en abrogeant le principe de présomption de
domanialité en vigueur depuis l’ère coloniale ;; principe qui avait pour effet d’exclure les
droits coutumiers ou autres maîtrises foncières. Autrement dit, dorénavant, l’Etat n’est plus
le propriétaire présumé des terrains non immatriculés. La loi reconnaît que l’occupation
attestée de longue date d’un terrain (cas des occupations souvent ancestrales) vaut une
présomption de propriété et confie aux communes l’attribution et la gestion des titres
fonciers.

Problèmes posés par les STN actives au Madagascar

A Madagascar, les activités d’exploitation de ces ressources sont généralement exercées par
des STN. On peut résumer les problèmes posés par les STN opérant dans ce pays8 comme
suit : la non légalité et la corruption, la non consultation des populations concernées et la
privation pour ces populations de leurs moyens de subsistance ; doù de multiples violations
des droits humains.
En effet, comme déjà souligné, la plupart des STN installées récemment à Madagascar ont
obtenu leur permis d’exploitation soit par les putschistes soit par le régime de transition. De
ce fait, elles n’ont ni la légalité ni la légitimité d’opérer dans ce pays. De plus, ces permis
ont été obtenus à la faveur d’une forte corruption des dirigeants politiques précités9.
Outre le fait que les populations concernées ne sont nullement consultées sur des projets
d’exploitation minière, la pollution du milieu de vie des paysans et éleveurs les prive de
leurs moyens de subsistance. Dans un pays où plus de 1/3 de la population souffre déjà de
l’insécurité alimentaire (ce taux monte à 68% dans le sud), la déforestation se poursuit à un
rythme vertigineux10 ; la dégradation de l’environnement devient un enjeu capital.

Conclusion

Au vu de ce qui précède, nous demandons :

• aux Etats Européens de cesser immédiatement leurs livraisons d’armes vers
Madagascar, un pays qui connaît l’instabilité politique, l’augmentation de violences
et des violations massives des droits humains11.

• aux Etats dont dépendent les STN citées de prendre des mesures nécessaires à leur
égard afin qu’elles cessent tout pillage des ressources de ce pays.

• à l’ONU d’appuyer les efforts de l’Union africaine afin d’assurer la sécurité et le respect
des droits humains à Madagascar. Ensemble, ces institutions devraient accompagner
ce pays vers la transition démocratique et la construction de la paix sociale.

• aux Rapporteurs spéciaux sur les exécutions sommaires, sur la torture et sur les
personnes déplacées dans leur propre pays de se rendre à Madagascar afin
d’effectuer une enquête sur les violations des droits humains dans ce pays.

• au Conseil des droits de l’homme de se saisir de la situation des droits humains à
Madagascar.

Notes

1 Résolution de l’Assemblée Paritaire ACP-UE, décembre 2009, point 9, ACP-UE/100.624/09/déf.

2 Selon les données de l’UNICEF du 13 novembre 2012.

3 C’est une pratique traditionnelle de l’ethnie Bara qui existe depuis des générations. Elle consiste à
prouver sa virilité en subtilisant les zébus du village. Les milices armées, avec la complicité des
forces de l’ordre, ont dévoyé cette pratique pour terroriser la population (voir entre autres,
http://mada7sur7.com/index.php/derniers-actus-de-madagascar-2/derniers-actus-sociauxmadagascar/
133-ce-sont-des-dahalo-occasionnels-qui-terrorisent-le-sud-de-madagascar,
http://www.amnesty.org/fr/news/madagascar-must-end-mass-killings-and-investigate-security-forces-
2012-11-20, http://www.lexpressmada.com/betroka-madagascar/41141-des-dahalo-chassees-avec-unhelicoptere.
html, http://alainrajaonarivony.over-blog.com/article-madagascar-guerre-des-dahalo-etminerais-
strategiques-109938927.html).

4 Selon le journal en ligne MadOnline, édition du 12 novembre 2012.

5 Ceux du district de Betroka, Manombo, Mahatsinjo, Agnezandava, Ambaroatety, Ambatomazaka,
Morafeno, Egn’omby, Amboadelaky, Abetsizaray, Ambaibo, Ambalasoa.

6 Quotidien La Nation, édition du 30 octobre 2012.

7 Point 8 de la Feuille de Route : « Le Gouvernement de Transition sera chargé de l’administration des
affaires courantes du pays et la mise en place des conditions nécessaires pour des élections crédibles,
justes et transparentes en coopération avec la communauté internationale. Il s’abstiendra de prendre
de nouveaux engagements à long-terme, ceux-ci ne relevant que de la compétence du futur
Gouvernement à l’issue des élections. » http://ti1ca.com/9dfmeppl-Feuille-de-route-pour-la-sortie-decrise-
A-Madagascar-16-septembre-2011-1-Feuille_de_route_pour_la_sortie_de_crise_A—
Madagascar_-_16_septembre_2011-1-.pdf.html

8 Parmi ces STN, citons quelques-unes des plus importantes dont leur licence d’exploitation ont été
octroyées depuis le coup d’Etat de 2009.
 • Malagasy Minerals (Maurice) possède le permis d’exploiter le graphite à Fotodrevo (sud)
avec Energizer ressources depuis 2012.
 • Toliara Sands (Australie) : Exploitation de l’ilménite. Production estimée à terme à 600 000
tonnes par an. Région sud à Ranobe, Ankililaoka, Basibasy et Morombe. Permis octroyé en
2012, pour 40 ans renouvelable, avec World Titanium Resources.
 • Asia Thai Mining (Chine) : charbon de la Sakoa, permis octroyé en 2012.
 • Varun Ennergy Corp group (Inde) détient des permis, licences et droits de bail pour
l’extraction d’or, de platine et d’autres pierres précieuses en majorité dans le sud (Fort
Dauphin) depuis 2009.
 • Petrochina (Chine) : Da Qing Oil Field Co, qui a racheté à l’Indien Varun Group 51% de son
bloc malgache n° 3101. Le bloc comprend les zones de Besalampy, Barevo et Tambohorano,
dans la région de Morondava (sud ouest), sur une superficie de 6884 km2. A noter que
l’attribution de ce bloc en 2009 a suscité de vives oppositions de la population locale
contrainte qui a été contrainte de quitter la région.
 • Tantalus Rare Earths (Allemagne) : depuis 2011, le groupe allemand possède une concession
de 300 km2, comportant plusieurs villages, et 20 km2 de forêt primaire pour l’exploitation
des terres rares dans le nord ouest. Il prévoit d’en extraire 15 millions de tonnes. Il est par
ailleurs le fournisseur exclusif du chimiste français Rhodia dont le contrat porte sur une
production de 15 000 tonnes par an.
 • Pan African Mining (filiale du groupe thaïlandais Italian Thaï Development) : depuis 2009, le
groupe dispose de 10 000 km2 de concession. Il exploite l’uranium (Pan Atomics) sur son site
de Maromby, équipé d’infrastructures conséquentes dont un aérodrome. Il y exploite aussi le
mica, la citrine, le cristal et le charbon de terre à Sakoa. Le groupe appartient au thailandais
Premchai Karnasuta (35ème fortune mondiale, selon le magazine Forbes).
 • Mainland Mining (Chine) : Le groupe a obtenu la concession de plus de deux millions
d’hectares pour l’exploitation de l’ilménite et du zircon pour une production annuelle estimée
à 900 000 tonnes d’ilménite pur, 35 000 tonnes de zircon et mille tonnes de rutile. Par ailleurs,
le groupe travaillerait avec un bras droit de Rajoelina, Mamy Ravatomanga, pour le trafic des
bois précieux (selon Malango Actualités n° 582 du 14 novembre 2012, http://www.malangoactualite.
fr/imprime_article.php ?id_article=9173 ).
 • Aziana Ltd (Australie) : le groupe dispose d’un permis d’exploration de la beauxite de 219
km2 à Manantenina, dans le sud, depuis 2011.
 • Tozzi Green (Italie) : spécialisée dans le secteur agricole et agrocarburant (culture du
Jatropha), le groupe disposera à terme de 100 000 ha dans la région de l’Ihorombé en bail
emphytéotique. Très récemment, le Vice-ministre chargé de l’Aménagement du territoire,
Hajo Andrianainarivelo en personne, s’est déplacé dans la région pour faciliter le bornage de
7000 ha de terrain, au grand mépris des paysans impuissants pour protéger leurs terres, en
avril 2013.
 • D’autres STN présentes à Madagascar dans le domaine des mines depuis plus longtemps sont
également accusées de polluer les terres et le fond marin au sud du pays. Il s’agit de : Total,
groupe pétrolier français, dispose 60% du champ pétrolifère de Bemolanga (Ouest, sud
Ouest), une des plus grandes réserves mondiales d’huile lourde actuellement connue. Sheritt
Intl, compagnie canadienne, exploite du nickel et du cobalt. Rio Tinto/QMM, compagnie
anglo-australienne, exploite de l’ilménite dans la région de Taolagnaro.

9 Voir entre autres, La Gazette de la Grande Ile, édition en ligne du 15février 2013,
http://www.lagazette-dgi.com/index.php?option=com_content&view=article&id=29293:suspensionde-
delivrance-de-permis-miniers-entre-corruption-et-conformite-a-la-feuille-deroute&
catid=45:newsflash&Itemid=58, http://fr.dir.groups.yahoo.com/group/madpsrc/message/3784

10 Cf. Rapport de mission du Rapporteur sur le droit à l’alimentation à Madagascar,
A/HRC/59/49/Add.4, §§ 6 et 12, daté du 26 décembre 2011. A noter également que’on assiste depuis
de nombreuses années, du nord au sud, à des trafics de bois précieux endémiques de l’île (bois de
rose, palissandre) impliquant notamment des grandes sociétés françaises et chinoises ainsi que des
responsables politiques étrangers notamment mauriciens (http://eccplatform.
org/index.php ?option=com_content&view=article&id=1967:illegal-malagasy-timber-tradeworth-
up-to-460000-a-day&catid=100:General-News&Itemid=161, http://www.linfo.re/372-Faitsdivers/
485985-Trafic-de-bois-de-rose-un-ex-ministre-mauricien-implique, http://www.eiaglobal.
org/PDF/report—Madagascar—EIA—GW—forests—oct10FR).

11 Les derniers rapports de l’UE révèlent une exportation massive d’armes de guerre vers Madagascar en
provenance notamment de la Grande Bretagne, de l’Allemagne et de l’Italie durant ces quatre
dernières années. (http://eurlex.
europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do ?uri=OJ:C:2012:386:0001:0431:EN:PDF et
http://tsimokagasikara.wordpress.com/2013/01/30/les-preoccupations-concernant-les-exportationsdarmes-
britanniques-a-madagascar/