Vous êtes ici : Accueil » Afrique australe » Mozambique » Brics : Les leçons du Mozambique

Brics : Les leçons du Mozambique

D 28 août 2013     H 05:47     A Bobby Peek     C 0 messages


Juste à la frontière du Mozambique une exploitation néocoloniale est en cours. Ce ne sont pas l’Europe ou les Etats-Unis qui font leur loi, mais plutôt les pays qui sont souvent perçus comme leurs challengers, tels que le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Ceci est un constat dangereux, mais constatons les faits.

L’Afrique du Sud est en train d’exploiter 415 mégawatts d’électricité du Mozambique à partir du barrage de Cahora Bassa construit par les Portugais et qui a définitivement modifié le débit de la rivière Zambèze, entraînant de graves et fréquentes inondations au cours des dernières années. Durant les récentes inondations du début de cette année, on rapporte que des femmes ont donné naissance sur le toit d’une clinique. On retrouve la même histoire que celle survenue en 2000, lorsque Rosita Pedro a vu le jour dans un arbre après les graves inondations de cette année-là.

L’Afrique du Sud connaissant un déficit de production d’électricité, la compagnie sud africaine Eskom est impliquée dans le futur aménagement du Zambèze, le pays étant susceptible de prendre un engagement à acheter de l’électricité à partir du barrage de Mpanda Nkua, juste en aval de Cahora Bassa. Une bonne part de l’énergie bon marché généré par ce barrage alimente une vieille compagnie sud-africaine, BHP Billiton, au prix le plus bas du monde - mais les emplois sont rares et les profits rapatriés vers le nouveau siège social à Melbourne, en Australie.

Après des années d’extraction de gaz « on shore », près de Vilanculos, la compagnie pétrolière Sasol créée sous l’apartheid envisage d’exploiter ce qui constitue un des plus grands champs gaziers offshore d’Afrique, au large du Mozambique, afin de servir la stratégie sud-africaine de croissance qui est basée sur l’exportation.

Le Brésil opère aussi au Mozambique. Le partage d’une langue commune héritée de l’assujettissement colonial par les Portugais lui rend les affaires plus faciles. De sorte que la société brésilienne Vale, deuxième compagnie mondiale dans la sidérurgie et un des plus grands producteurs de matières premières à l’échelle mondiale, a un pied dans la province de Tete, entre le Zimbabwe et le Malawi. Les Brésiliens sont si sensibles sur leurs opérations dans cette région qu’un activiste s’est vu refuser l’entrée au Brésil l’an dernier pour participer à la réunion Rio +20. Rapatrié au Mozambique, c’est seulement après un tollé mondial mené par les Amis de la Terre qu’il a été autorisé à revenir pour participer au rassemblement.

L’Inde a également des intérêts au Mozambique. Le groupe indien Jindal, qui investit à la fois dans l’exploitation minière et dans la sidérurgie, a les yeux rivés sur le charbon mozambicain dans la zone de Moatize. Il a aussi des plans avancés pour une centrale électrique au charbon, en vue de satisfaire le marché demandeur de l’élite sud-africaine.

La Russie joue également un rôle intéressant au Mozambique. Bien qu’on connaisse peu des participations de l’Etat russe et des entreprises russes, après la pause survenue avec l’effondrement de l’Urss, des liens existent avec l’Eurasian Corporation Ressources naturelles de Russie qui développe des activités dans le secteur des métaux non ferreux. Fait intéressant, le gouvernement russe vient d’investir 1,3 milliard de rands au Mozambique, afin de faciliter le développement des compétences à exploiter activement des hydrocarbures et d’autres ressources naturelles, selon le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov.

Voilà l’histoire d’un pays où des dizaines de milliards de rands d’investissements effectués par les Brics et les multinationales, dans l’extraction de minéraux conduit à une extraction des richesses. Le Mozambique va ainsi rejoindre le groupe des pays marqués par l’exploitation des ressources maudites dans la région, avec des environnements locaux pollués et une structure de vie modifiée chez lez populations, ce qui les rend tributaires des décisions étrangères plutôt que leur propre pouvoir politique local et national.

Ceci n’est pas une convergence hasardeuse d’exploitations, mais une stratégie bien orchestrée pour transférer le rôle de tête de pont du développement détenu par l’Europe, les Etats-Unis et le Japon vers ce que nous appelons maintenant les Brics.

Ce positionnement pour la supériorité économique se poursuit au nom de la lutte contre la pauvreté. Qu’importent les modalités du processus - impérialiste, sous-impérialiste post-colonial ou autre -, la réalité est que les Brics remettent en question les relations de pouvoir dans le monde. Malheureusement, le modèle choisi de contester cette puissance n’est en rien différente du modèle qui a abouti à la pauvreté de masse et à la richesse de l’élite mondiale.

Tel est le modèle d’extraction et de développement à forte intensité capitalistique basé sur la combustion et l’exploitation du carbone et sur l’accumulation en faveur de l’élite à travers l’ajustement structurel, également appelé le Consensus de Washington. L’ordre du jour de la mise en place de la Banque des Brics en est un bon exemple : il est opaque et non accessibles au public. Au-delà de la réalité présentée ci-dessus, ces pays débarquent avec leurs pouvoirs industriels pour décider qui obtient quoi dans l’hinterland en Afrique, en Amérique latine, en Asie et dans le Caucase.

Il est prévu que d’ici 2050, les Brics fassent partie des dix plus grandes économies du monde, à part l’Afrique du Sud. Dès lors, la question qui se pose est de savoir que fait l’Afrique du Sud dans les Brics ? En fait, la réalité est que ce pays se présente comme une passerelle vers l’Afrique, qu’il s’agisse du domaine de l’énergie ou des sociétés financières. Ceci en raison de la vaste empreinte qu’il a sur le continent.

Vous souvenez-vous des missions de paix de Thabo Mbeki ? Elles n’étaient pas toutes destinées à la paix. Il s’agissait de travailler en faveur des sociétés sud-africaines établies dans les zones de troubles, de sorte que lorsque la paix revient elles soient au premier plan dans l’exploitation des ressources locales. Ce serait dommage de voir l’Afrique du Sud utilisée uniquement comme une passerelle pour faciliter l’extraction minière et l’exploitation des ressources de l’Afrique par les Brics, dans le sillage de l’Occident.

Une question doit être posée par les Sud-Africains : pourquoi laissons-nous faire cela ? Je n’ai pas la réponse.

Quant à la réduction de la pauvreté, la réalité est que dans les Brics nous notons le plus grand écart qui soit entre les riches et les pauvres, et cet écart s’accroît. Evoquer le bluff de la réduction de la pauvreté est essentielle. Eclairer ce programme opaque des gouvernements des Brics est un défi. Car si leur discours porte sur la réduction de la pauvreté, la réalité est autre chose.

Ce que les Brics font n’est rien d’autre que ce que le Nord a fait dans le Sud. A partir du moment où nous résistons à ces pratiques en provenance du Nord, nous devons avoir le courage de le faire face à nos partenaires des pays du Sud.

Ainsi, le défi pour l’avenir est de comprendre les Brics et l’enjeu sous-jacent à leur intervention. La société civile critique doit examiner les réclamations, les processus et les résultats du Sommet Brics et ses conséquences, pour construire une critique forte des Brics qui exige l’égalité et non de nouvelles formes d’exploitation.

** Bobby Peek est directeur de l’Ong GroundWork - Traduit par Tidiane Kassé

Source : http://www.pambazuka.org/