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Zimbabwe : « Les travailleurs agricoles sont maltraités et abandonnés »

Interview de Gertrude Hambira (GAPWUZ - Zimbabwe)

D 6 septembre 2010     H 05:06     A     C 0 messages


Gertrude Hambira est la secrétaire générale du syndicat agricole zimbabwéen GAPWUZ (1). Elle a dû quitter son pays suite à ses critiques de la réforme agraire qui a suscité d’innombrables actes de barbarie et les pertes d’emploi de centaines de milliers de travailleurs. Alors que se poursuivent les violations des droits humains et que des syndicalistes continuent d’être persécutés, elle appelle à un véritable programme de réforme agraire qui amène plus de justice sociale sans pour autant violer les droits humains.

En quoi consiste la réforme agraire menée au Zimbabwe depuis 2000 ?

On peut la voir comme une question raciale, car les agriculteurs blancs sont exclus de leurs exploitations agricoles qui sont données à des Noirs… mais en réalité, elles sont données à des Noirs faisant partie de l’élite politique : des ministres, des vétérans de guerre, des personnes qui soutiennent le ZANU-PF (2), des juges, etc. Les ministres ont reçu plus de cinq à dix fermes par personne. Dans ce processus, les nouveaux propriétaires ont rejeté les travailleurs agricoles supposées travailler sur ces terres. Ils ne conservent par exemples que de 5 à 10 travailleurs d’une exploitation qui employait 200 personnes. La production diminue donc, et cela affecte la production de tout le pays.

La main-d’œuvre potentiellement active dans l’agriculture avant la réforme s’élevait à environ 500.000 personnes durant la haute saison (y compris les saisonniers), mais actuellement, elle s’est réduite à près de 120.000. La plupart des travailleurs sont abandonnés dans les exploitations agricoles où ils deviennent des déplacés internes, vivent en bord de route, d’autres traînent dans les villages et essayent de survivre grâce au travail à la pièce. Certains se lancent dans des activités illégales de lavage à la batée d’or et de diamant, rejoignent l’économie informelle, …

Le rejet des travailleurs agricoles n’est pourtant pas dans l’intérêt de ces nouveaux propriétaires. Pourquoi agissent-ils ainsi ?

Tout le monde veut de la terre, mais tout le monde ne veut pas être agriculteur. L’agriculture est un business, pas un hobby, il faut y placer toutes ses forces. Pour produire, vous devez être sur l’exploitation agricole. Or, ces nouveaux propriétaires passent la plupart de leur temps dans les bureaux d’où ils donnent des ordres, et personne n’est sur le terrain pour superviser le travail supposé être effectué. Si vous reprenez une ferme mais que vous vous séparez de la main-d’œuvre et commencez à sous-payer les travailleurs, vous courrez à l’échec. A ce moment, vous blâmez d’autres personnes (l’opposition, les travailleurs, les banques qui ne vous donnent pas de prêt), mais c’est vous-même qui vous êtes mis dans cette situation.

L’entrée en 2009 du meneur de l’opposition Morgan Tsvangirai dans le gouvernement n’a pas fait évoluer cette situation ?

Les choses se sont peut-être améliorées pour les riches, mais lors d’un changement de structure dans un système, vous vous attendez à avoir du pain et du beurre sur la table. C’est ce sur quoi l’homme ordinaire voudrait qu’un nouveau gouvernement se concentre mais une semaine après la formation du gouvernement d’unité nationale, des fermes ont encore été saisies, des travailleurs agricoles ont été expulsés, d’autres continuaient à être sous-payés. Les violations des droits humains se sont poursuivies, les syndicalistes demeurent persécutés et arrêtés. Mon départ en exil s’est produit sous le règne de ce gouvernement d’unité. Une femme ordinaire comme moi n’a pourtant aucune intention de renverser le gouvernement, ni d’inverser le programme de réforme agraire. Tout ce que je fais, c’est dire la vérité.

Quels sont les événements à la base de votre départ en exil ?

J’ai été convoquée au JOC (Joined Operation Command), une structure de haut niveau de l’armée, de la police, du système pénitentiaire et des services de renseignements. Le 19 février dernier, ils m’ont convoquée au quartier général de la police et m’ont demandé pourquoi j’avais produit un documentaire sur les violations des droits humains liés à la réforme agraire (3). Ils m’ont interrogée durant environ deux heures. Trois jours plus tard, ils ont envoyé sept hommes pour me « kidnapper », ce qui veut dire être arrêtée et tenue au secret pour une période indéterminée. Heureusement, je n’étais pas au bureau, et j’ai fui le pays. Après mon départ, mes collègues ont été arrêtés. Ils n’ont pas été frappés mais ils ont été fortement intimidés, on leur a dit qu’ils devraient mourir en prison s’ils ne révélaient pas où je me trouve.

Comment s’est déroulé votre interrogatoire ?

Ils ne cessaient de me demander où ont été filmées les images du documentaire, quelles étaient nos intentions, de me dire que je devrais être emprisonnée et mourir car je suis une personne dangereuse. Je leur répondais que je ne disais que la vérité, que je m’attendais plutôt à ce qu’ils me demandent comment éviter toutes ces exactions. Au lieu de ça, j’ai été confrontée à un interrogatoire agressif.

Aviez-vous été arrêtée dans le passé ?

Oui, et j’ai aussi été battue par la police à différentes reprises. Ma dernière arrestation remontait à décembre 2008, quand nous avions participé à une manifestation du ZCTU (4) au sujet de l’insuffisance de l’argent en circulation. J’avais été durement frappée par la police dans la rue, ensuite j’avais été arrêtée durant environ deux heures, puis relâchée.

Le documentaire de GAPWUZ dénonce les tortures infligées aux travailleurs noirs et aux exploitants blancs, il montre notamment le cas d’un travailleur jeté dans une foule de personnes ivres qui l’a très durement maltraité. Ces personnes sont-elles des paramilitaires, des gangsters ?

Il s’agit de la « Youth Militia ». Le gouvernement a mis en place une milice de jeunes, elle se compose de jeunes issus des régions rurales, sans emploi, ils reçoivent une formation militaire puis sont envoyés envahir les fermes. Ils commencent à harceler les travailleurs agricoles, les contraignent à assister à leurs réunions. S’ils les travailleurs ne leur obéissent pas, ils les accusent d’être des membres de l’opposition et les menacent de les « discipliner ». Ils vont alors les harceler, les passer à tabac, les attacher aux arbres pour les battre, contraindre leurs enfants à assister aux tortures qu’ils leur infligent.

Ce sont comme des paramilitaires employés pour faire le sale boulot ?

Oui, et si on appelle les policiers à l’aide, ils se contentent de regarder.

La violence envers les fermiers blancs et leurs travailleurs noirs décrite dans votre documentaire se poursuit-elle de la même manière actuellement ?

A l’heure actuelle, ils les expulsent, mais ils ne les agressent pas. Parfois, la Youth Militia peut venir chasser les travailleurs qui vivent en bord de route, mais des organisations viennent leur fournissent une assistance humanitaire.

Qu’arrive-t-il aux agriculteurs blancs expulsés ?

Certains sont partis en Australie, en Angleterre, en Nouvelle-Zélande ou dans les pays voisins. Ils ne peuvent prendre que leur famille avec eux. Dans notre documentaire, on voit le cas d’un fermier blanc expulsé qui s’alarme pour la scolarité de sa fille, mais qui va s’occuper de la scolarité des enfants des 200 travailleurs qu’il employait ? Il n’y a rien de mal à corriger les inégalités qui existaient, car les bonnes terres n’appartenaient qu’à la minorité blanche, mais dans ce processus, pourquoi tuer un travailleur, un exploitant agricole, pourquoi des enfants doivent-ils être expulsés de l’école ? Nous avons besoin d’un véritable programme de réforme agraire qui ne génère pas de violations des droits humains.

Le syndicat peut-il demeurer actif dans un tel contexte ?

Avant le programme de réforme agraire, nous comptions 150.000 membres, ce nombre a chuté à plus ou moins 25.000 actuellement. La plupart de nos membres ont été expulsés des terres où ils travaillaient. Notre syndicat essaie de rester fort mais ces dernières années, nous n’avons cessé de devoir le reconstruire. Quand les fermes ont été saisies à partir de 2000, toutes les structures syndicales ont été détruites, nous avons commencé à les reconstruire. Puis, en 2005, il y a eu de très nombreuses violations des droits humains, les structures syndicales ont à nouveau été atteintes, nous avons à nouveau dû les reconstruire après les élections. Les expulsions de fermes qui se sont poursuivies au cours de toutes ces années impliquent une reconstruction continue de nos structures. En 2008, lors des élections les plus violentes du Zimbabwe, toutes les structures syndicales ont à nouveau été affectées. D’autres syndicats ont été touchés, mais celui de l’agriculture l’a été le plus.

En fait, nous avons toujours été dans un processus de développement syndical au sein des communautés agricoles. Nous recrutons nos membres depuis 1985 par des programmes d’éducation, des rencontres, en expliquant quels sont les bénéfices de devenir membre. Développer ce syndicat a pris près de 20 ans, mais ce que nous avons construit a été détruit quasiment du jour au lendemain. Aujourd’hui nous construisons, demain c’est détruit… c’est dans ce contexte que nous avons dû survivre, notamment grâce au soutien de syndicats étrangers et d’autres partenaires à travers le monde.

Quels services pouvez-vous encore fournir à vos 25.000 membres ?

Un syndicat ne se limite pas à négocier les salaires. Quand les travailleurs agricoles sont expulsés de la terre, nous les représentons en justice, nous établissons le lien avec les organisations qui peuvent fournir une assistance humanitaire. Nous menons aussi des formations en éducation civique, des programmes sur le VIH, ...

Vous aidez sur le plan légal, mais on sait que le système judiciaire du Zimbabwe est tout sauf indépendant...

Bien sûr, mais nous devons le faire car un jour, nous serons dans une situation normale, nous pourrons rouvrir les dossiers et exiger le rétablissement de la justice.

Votre documentaire porte notamment sur les actions devant le tribunal de la SADC (5). Quels jugements ont-ils été rendus ?

Le tribunal de la SADC affirme que le gouvernement ne devrait pas s’emparer des fermes, mais celui-ci refuse d’appliquer ces décisions et personne n’est là pour l’y contraindre. Certaines affaires portées devant ce tribunal concernent même des fermes qui se trouvaient sous l’accord de partenariat bilatéral SADC, qui n’étaient pas supposées être affectées par la réforme agraire. Selon ce partenariat, tout ce qui est produit dans ces fermes est destiné aux pays de la SADC.

Comment la solidarité internationale des travailleurs peut-elle vous aider ?

La CSI et ses membres devraient écrire au gouvernement du Zimbabwe, soutenir le ZCTU, s’engager avec l’UITA (6) pour mettre en lumière le sort des travailleurs agricoles. Et lorsque c’est possible, offrir des ressources financières à travers le ZCTU pour aider nos membres affectés par la réforme. Toutes les travailleurs interviewés dans le documentaire et dont le visage est masqué se cachent encore au Zimbabwe actuellement, ils sont dans des situations extrêmement difficiles.

Sachant les problèmes auxquels vous seriez confrontée en tant que dirigeante syndicale, qu’est-ce qui vous a motivée à le devenir ?

Je suis passionnée par mon pays et par les personnes que je représente. Ils ont été sans voix durant tellement d’années. Je ne peux pas simplement m’asseoir et regarder ce que nous avons construit à travers ces années être détruit. Quelqu’un doit s’exprimer, or j’ai le mandat pour m’exprimer au nom des travailleurs du Zimbabwe puisque j’ai été élue lors d’un congrès.

Propos recueillis par Samuel Grumiau

(1) General Agriculture & Plantation Workers Union of Zimbabwe, affilié au Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU).

(2) Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique, dirigé par le président Mugabe

(3) « House of Justice », http://www.youtube.com/watch?v=wl97... et http://www.youtube.com/watch?v=9ulG.... Voir aussi « If something is wrong... », le rapport accompagnant ce documentaire

(4) Congrès des syndicats du Zimbabwe, affilié à la CSI

(5) Communauté de développement d’Afrique australe

(6) Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes

Source : http://www.ituc-csi.org