Vous êtes ici : Accueil » Afrique centrale » Cameroun » Cameroun, législatives et municipales du 30 septembre, une mascarade de (...)

Cameroun, législatives et municipales du 30 septembre, une mascarade de plus : fatalité au Cameroun, normalité en Françafrique ?

D 21 septembre 2013     H 12:59     A Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politique en Afrique     C 0 messages


Comme à son habitude, le président camerounais Paul Biya, 80 ans et plus de 30 ans à la tête de l’Etat, a annoncé au dernier moment la date des élections municipales et législatives, le 30 septembre 2013. Il impose une date en pleine saison des pluies, et seuls les candidats disposant des moyens de l’Etat, de 4x4 ou d’hélicoptères, pourront se déplacer partout. Son parti, le Rassemblement démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), a ainsi déjà 20% des sièges faute de candidats ou de campagnes adverses.

Pour se faire élire en 2011, Biya, qui n’envisage pas de quitter le pouvoir, a consolidé le verrouillage électoral avec la mise en place d’Elecam (Elections Cameroun) dont l’essentiel des membres est issu du RDPC. La loi électorale offre toujours la possibilité à l’administration, quasi-extension du RDPC, de modifier carrément les résultats. Elle prescrit que le Sénat est élu pour 70% par les conseillers municipaux et nommé pour 30% par le seul président. Le 14 avril 2013, lors des premières élections sénatoriales, 70% des sénateurs ont donc été élus par les conseillers municipaux issus des élections truquées de 2007, dont le mandat forclos depuis 2012 a été prorogé à deux reprises.

Le système biométrique, acheté en Allemagne, fabriqué en Chine, et financé 10,7 millions d’euros par l’Union Européenne, n’a pas permis de nettoyer le fichier électoral, ni d’éviter les doublons ou l’inscription de personnes décédées. Ce système n’a pas non plus convaincu la population de s’inscrire sur les listes. A peine 3 millions de personnes sont effectivement inscrites, alors qu’au moins 12 millions sur les 20 millions d’habitants pourraient l’être.

Le découpage électoral est extrêmement avantageux pour le RDPC. La répartition des sièges ne répond à aucun critère objectif, ni de démographie, ni de surface du territoire. Les grands centres urbains sont lésés au profit de zones rurales favorables au pouvoir ou contrôlées par les chefs traditionnels moyennant quelques kilos de riz ou de maquereaux pour l’achat du vote. Le département du Mfoundi, où se trouve la capitale, dispose de 7 sièges de députés pour 1.881.876 habitants alors que celui du Dja et Lobo, dans lequel se situe Mvomeka’a, le village natal du président, en a 5 pour seulement 196.951. Le Conseil Constitutionnel institué depuis 1996 n’est toujours pas mis en place et la Cour suprême, qui le remplace, est totalement acquise au président.

Le contexte électoral est vicié par une répression généralisée. Celle-ci s’abat sur toutes les forces vives non acquises au pouvoir. Ainsi, des défenseurs des droits humains font l’objet de harcèlement : Defedek Gordaye, Gounainai Jacob et Haman Djoda ont été arrêtés pour avoir enquêté sur une tentative d’extorsion de cartes d’identité par des gendarmes. Le cinéaste Richard Djimeli, a été enlevé et torturé pour avoir réalisé un film racontant l’histoire d’un dictateur africain. Eric Ohera Lemembe, défenseur des droits homosexuels a été massacré par un commando conforté par la criminalisation des homosexuels au Cameroun. Le franco-camerounais Michel Thierry Atangana est emprisonné depuis 15 ans et a été de nouveau condamné à 20 ans. Eric Kingue, maire de Njombe-Penja est condamné à la prison à vie pour avoir dénoncé les exonérations fiscales de sociétés bananières françaises. D’autres défenseurs, tels maitres Alice Nkom ou Michel Togue sont menacés de mort, et Maximilienne Ngo Mbe, directrice exécutive du REDHAC et sa famille sont régulièrement harcelées et le nouveau siège de son association a été dévasté. Des journalistes sont empêchés de tenir des débats sur des sujets essentiels.

Concernant le scrutin, la répression s’accompagne de nombreuses restrictions au droit à la liberté de réunion, de manifestations et d’expression. Ndema Alexis et Moutoudou Albert, respectivement président et secrétaire général de l’Union des Populations du Cameroun [1] ont fait les frais de cet arbitraire, et sont en procès pour avoir manifesté pour le remplacement d’Elecam par un organe véritablement consensuel et indépendant [2]. La dictature, pour se maintenir, a faussé les règles du multipartisme. L’opposition est divisée et affaiblie.

Paul Biya a toujours eu le soutien des dirigeants français, dans une logique françafricaine qui voit le Cameroun comme une place stratégique, malgré les nombreuses dénonciations et interpellations. Faut-il attendre une explosion de violence à l’instar d’autres pays dont les dictateurs ont été soutenus jusqu’au bout pour enfin prendre conscience que la situation était insupportable à la population ? L’instabilité se répand aussi en Afrique du fait du pourrissement de la situation et d’une démocratie trop longtemps confisquée.

Le 23 juillet, répondant au député Serge Coronado sur la guerre menée par la France au Cameroun entre 1955 et 1971 [3] , Laurent Fabius a indiqué que « le partenariat de défense et de sécurité, … vise à soutenir la modernisation et la restructuration des forces armées et de sécurité des pays africains, principalement à travers des actions de formation » et a refusé de donner son avis sur les crimes de l’armée française en renvoyant vers les historiens, ignorant ainsi les travaux de ces historiens [4] . Le régime de Paul Biya en place depuis 30 ans a constamment profité de la coopération militaire française inscrite dans le déni des crimes de la guerre d’indépendance, habituant ainsi les populations à un climat de terreur qui persiste [5].

Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique demande donc au gouvernement français de reconnaître officiellement les crimes de la guerre d’indépendance, de cesser de soutenir le régime camerounais et de s’impliquer fermement pour le respect des droits humains et pour la mise en œuvre de processus électoraux selon des normes internationales garantissant la transparence et une véritable démocratie.

Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique

Signataires (17) : Collectif des Organisations Démocratiques et Patriotiques de la Diaspora Camerounaise (CODE, Bruxelles), Union des Populations du Cameroun (UPC), Fédération des Congolais de la Diaspora (FCD), Alliance Républicaine pour le Développement (ARD, de la coalition Union pour le Salut National), Association pour la Démocratie et le Développement (ADD, Djibouti), Ca suffit comme cà ! (Gabon), Mouvement pour la Restauration Démocratique en Guinée Equatoriale (MRD), Alliance Nationale pour le Changement en Ile-de-France (ANC-IDF, Togo), Collectif des Associations Contre l’Impunité au Togo - France (CACIT-France), Survie, Afriques en lutte, CEDETIM, Sortir du Colonialisme, Fédération pour une Alternative Sociale et Ecologique (FASE), Parti de Gauche, Parti Communiste Français (PCF), Europe Ecologie les Verts. Mouvement pour le Renouveau Démocratique (MRD, coalition Union pour le Salut National (USN))

Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique – Paris

* * *
En octobre 2011, le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique alertait la presse sur le Cameroun à l’occasion de l’élection présidentielle qualifiée alors de ‘nouvelle instrumentalisation des élections au profit d’une dictature « amie de la France »’, en publiant un dossier de presse qui reste toujours d’actualité : Dossier de presse Octobre 2011 :

Election présidentielle du 9 octobre au Cameroun : Urgence contre la dictature ! http://electionsafrique.org/Election-presidentielle-du-9.html

Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique – Paris

Notes

[1] 1. Plusieurs partis revendiquent le nom UPC, il s’agit ici de l’UPC dite des « Fidèles ».

[2] 2. L’UPC insiste également sur le caractère indispensable du passage des élections présidentielle et législatives à 2 tours

[3] 3. http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-31918QE.htm

[4] 4. dont « Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971 ») : http://www.kamerun-lesite.com/

[5] 5. Voir aussi la demande de Commission d’Enquête Parlementaire déposée à l’Assemblée Nationale le 19 juillet 2012 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/ventes_armes_Cameroun.asp