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Cameroun : Qui dit « co-auteur intellectuel » des détournements dit existence d’un co-auteur politique et systémique de ceux-ci

D 18 octobre 2012     H 05:06     A Thierry Amougou     C 0 messages


Dans un pays fonctionnant avec des contre-pouvoirs, une société civile libre, une opposition jouant son rôle et une séparation des pouvoirs, le Renouveau National n’existerait plus. Il serait actuellement de l’histoire ancienne car en démocratie les régimes doivent rendre des compte et aucun ne peut se maintenir au pouvoir avec au compteur les multiples dégâts, les malversations multiformes, les crimes de sang et la liquidation de l’Etat et de la République comme résultats de son exercice du pouvoir. Aucune démocratie au monde ne connaît un seul et même régime pendant trente ans. Aucun ministre accusé d’avoir perçu des dividendes sur des cadavres à la suite d’un crash d’avion ne serait encore en poste dans un pays normal. Aucun responsable politique ne resterait en liberté dans une démocratie alors qu’il refuse de dire au pouvoir judiciaire qui est l’ordonnateur du décaissement des fonds publics détournés des caisses de l’Etat. Mais nous sommes au Cameroun, pays où tout cela est possible et devient finalement la norme des choses et du quotidien : « le Cameroun c’est le Cameroun », cette parole du Prince n’a jamais autant bien traduit l’identité désolante de ce pays où l’extraordinaire devient ordinaire et fait sens sans faire de vagues. Ces petits détails rappellent à nos esprits ce que nous savons déjà tous, à savoir que le régime de Yaoundé est une dictature où règne la loi du plus fort et où le droit de punir est battu en brèche par le pouvoir de punir. Il n’est donc nullement porteur de discuter de long en large de la condamnation de Marafa et autres. Il n’y a ni surprise ni nouveauté à cela. Il n’était point besoin d’être un grand clerc pour deviner longtemps à l’avance la couleur de cette sentence finale dès le début des hostilités entre Marafa et ses anciens camarades du pouvoir et du RDPC. Que ceux qui sont jugés soient coupables ou non, leur sort n’est pas scellé par une justice libre mais par la volonté d’un Prince qui ne souhaite les voir libre que lorsqu’il ne sera plus de ce monde au cas où il le quitte avant eux. La preuve en est que ceux qui sont déclarés non coupables par « la justice camerounaise » restent quand même en prison quand ceux qui se rapprochent de la fin de leur peine (Titus Edzoa en l’occurrence) voient sortir du « chapeau » de nouveaux dossiers à charge. Aussi, même si, dans un pays dirigé par un régime en jachère politique, gloser, ergoter et pinailler jours et nuits sur le cas Marafa et consorts peut se comprendre, la nature ayant horreur du vide, il ne faut pas perdre de vue que c’est justement cela que souhaite le régime en place dans son besoin de détourner les esprits des problématiques de fond vers l’accessoire du mal camerounais. Ce dernier porte pourtant un nom : l’instauration par le Renouveau National d’un Etat néo- patrimonial, clientéliste et oligarchique. Etat à partir duquel naît un rapport prédateur au pouvoir politique, à l’Etat et l’argent public depuis une trentaine d’année. La problématique de fond, centrale au sein de l’Opération Epervier, des procès et des condamnations qui s’ensuivent, est celle d’un régime qui, non seulement se condamne lui-même en condamnant les piliers de sa tuyauterie politique et des rouages de son pouvoir, mais aussi dévoile au grand jour comment le rapport prédateur qu’il a tissé par rapport à l’Etat, au pouvoir politique et à l’argent public détruit ses propres serviteurs après avoir détruit le Cameroun tout entier.

A travers l’Opération Epervier c’est le Renouveau National qui est à la barre et se fait condamner

Le comble du comble de la duperie d’un peuple est cette tendance à faire croire à celui-ci que les faits traités par l’Opération Epervier et ceux qui y sont condamnés sont, soit des électrons libres par rapport au Biyaïsme, soit des extraterrestres tombés du ciel sans rapports avec le Renouveau National. Le régime en place veut se blanchir en confessant ses péchés via le purgatoire infligé à certaines de ses figures de proue. Et pourtant, si être au pouvoir pendant trente ans a encore du sens, alors il est désormais un devoir citoyen de dire et de continuer à dire que les faits dont il est question dans l’Opération Epervier, sont les fruits authentiques et exclusifs de la gouvernance du Renouveau National. Ceux qui sont condamnés furent des pions et des maillons si centraux de ce régime que c’est le régime en question qui se condamne en montrant au grand jour comment sa conception prédatrice du pouvoir, de l’Etat et de l’argent public a failli coûter la vie au Prince via l’affaire albatros. Marafa et ses acolytes sont les produits du système qui se juge lui-même en les jugeant dans des affaires internes au Renouveau National et à son mode de fonctionnement peu orthodoxe. Aussi, en condamnant Marafa, c’est le Biyaïsme que la justice camerounaise condamne et déclare coupable aux yeux du peuple camerounais. Cela est d’autant plus véridique que c’est le Prince le donneur d’ordre de l’achat d’un avion par un montage financier dont le caractère mafieux du départ à gangrené toute la chaîne de la transaction. Il ne faut donc cesser de répéter aux populations camerounaises que c’est le Renouveau National qui est à l’origine de l’état actuel du Cameroun. Un pays où l’actualité politique, après trente ans d’un pouvoir sans partage, se limite aux procès pour vol de l’argent public. Le Biyaïsme se révèle donc être une (in)formalisation totale du fonctionnement de l’Etat à un tel point que c’est ce régime le co-auteur politique et systémique des détournements de deniers publics qui en découlent. Si le « co-auteur intellectuel » est sanctionné à quand la sanction du co-auteur politique et systémique des détournements ?

L’Etat comme canal d’accumulation individuel et privatif

L’Etat camerounais a été transformé en une affaire, un « business » que fructifie personnellement le Renouveau National et ses serviteurs depuis 1982. L’Affaire Albatros et bien d’autres montrent cet aspect des choses et soulignent le caractère pernicieux du rapport prédateur du Biyaïsme au pouvoir et à l’argent public. En poussant le raisonnement plus loin, il n’est pas exagéré de dire, des bourgeoisies généalogiques n’existant au Cameroun avant l’Etat postcolonial, que tous les Camerounais richissimes, le sont devenus grâce à l’argent public. Même s’ils ne l’ont pas tous détournés ils en ont tous profité de près ou de loin.

En effet, que ce soit sous Ahidjo que sous Biya, l’économie camerounaise et sa base matérielle de production des richesses (régime d’accumulation) ont toujours été organisées et centrée sur l’Etat. Tous ceux qui se sont enrichis sous Ahidjo l’ont fait en profitant de près ou de loin des largesses d’un pouvoir politique aux commandes d’un capitalisme d’Etat en place au Cameroun aux lendemains de notre indépendance formelle. De même, malgré l’ajustement structurel, tous ceux qui s’enrichissent de façon insolente sous Biya bénéficient aussi de « la feymania d’Etat » construite au sein d’un régime d’accumulation camerounais où, quoiqu’on dise, l’Etat est toujours au centre de la production des richesses et de leur gestion. Autrement dit, les anciens riches et les nouveaux riches (fonctionnaires, feymen ou hommes d’affaires) le sont grâce à l’argent du travail des Camerounais dont la gestion est assurée par l’Etat. Il est donc fondamental, lorsque nous discutons sur la condamnation de Marafa et des autres accusés, de poser le problème à l’endroit. C’est-à-dire de faire la critique du rapport prédateur instauré par les deux régimes camerounais postcoloniaux par rapport au pouvoir, à l’Etat et à l’argent public. Et là, il apparaîtra que l’Etat camerounais et ceux qui s’enrichissent grâce à lui le font sur le dos des classes paysannes qui produisent la richesse de ce pays en dehors des ressources issues du pétrole et d’autres produits miniers. Nous devons donc, dans l’avenir, sortir d’un pouvoir politique, d’un Etat et d’un rapport à l’argent public qui ont pour argument fondateur le ponctionnement du monde paysans dont la privation relative (l’appauvrissement) augmente quand l’opulence de certaines élites politiques et intellectuelles au pouvoir depuis 1960 est en hausse constante.

Le pouvoir, l’argent public et la responsabilité politique

Quelqu’un qui vient de loin penserait que le Cameroun applique vraiment à la lettre le principe de « l’accountability » à savoir la responsabilité de ses actes, l’imputation des conséquences et l’application des bonus ou des malus selon les succès et les échecs. Mais il serait vraiment un étranger car la justice camerounaise n’est aujourd’hui qu’une des excroissances des ramifications d’un pouvoir exécutif qui ne se conçoit qu’à vie et ne recule devant rien pour atteindre ce nirvana terrestre. Les procès qui s’enchaînent avec autant de frénésie que les sanctions subséquentes ne sont en fait que les signes d’un « accountability » à géométrie variable car le leader du système condamné est protégé par la Constitution camerounaise pendant et après ses mandats. Seuls certains anciens fidèles serviteurs tombés en disgrâce doivent rendre des comptes. Le Cameroun est donc ce pays où l’individu qui à tous les pouvoirs, y compris le droit de vie et de mort sur tout le monde, est totalement irresponsable de ses actes. Un pays qui se situe donc à mille lieues de « l’accountability » du pouvoir politique. Modifier le rapport prédateur instauré par le Renouveau National par rapport au pouvoir et à l’argent public, exige donc aussi que nous reconsidérions dans l’avenir la responsabilité pénale du chef de l’Etat : plus de pouvoir doit aller de pair avec plus de responsabilité et non le contraire. Il faut dans l’avenir de ce pays sortir de la situation actuelle où ceux qui ont tous les pouvoirs ne sont responsables de rien et peuvent ainsi continuer à narguer tout un peuple par des procès-bidons qui n’ont aucun pouvoir transformateur de la dynamique régressive instaurée par leur gouvernance. Si Marafa est condamné parce que « co-auteur intellectuel » des détournements de fonds liés à l’affaire albatros, alors le Renouveau National et son leader sont co-auteurs politiques et co-auteurs systémiques de ces détournements parce que centres organisants et organisateurs des pratiques de gouvernance qui ont transformé l’Etat camerounais en une affaire privé, un « business ». Dans ce cas, les 25 ans écopés par Marafa sont de la rigolade face au dégagement total que mérite le Biyaïsme. Pendant que la litanie des coactions se poursuit, c’est le peuple camerounais qui supporte le préjudice matériel et moral et leurs conséquences. Le défi qui se dresse devant nous est celui de déconstruire drastiquement les fondements de l’Etat prédateur, néo-patrimonial, clientéliste et oligarchique des deux régimes postcoloniaux du berceau de nos ancêtres.

Par Thierry Amougou, macro économiste, Prof. Université catholique de Louvain (Belgique)

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