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Présidentielles camerounaises de 2011 : La fondation Moumié remet le débat à l’endroit

D 10 septembre 2011     H 04:50     A Thierry Amougou     C 0 messages


I- Le Renouveau National face à l’illusion de purger le mal camerounais par des expédients électoralistes

Face à la crise multiforme que connaît le triangle national, seules des mesures de transformations structurelles et structurales du mode de transmission du pouvoir, de sa conception et de son exercice peuvent faire le poids. A la place, ce sont des expédients, ou mieux, une agitation de surface et de circonstance, que le Renouveau National offre ces derniers temps comme solutions politiques. Le régime de Yaoundé est en effet à l’heure des « mesurettes » qu’il pense capables de purger radicalement les maux profonds dont souffre le pays.

Dès lors, le recrutement circonstanciel de 25.000 jeunes Camerounais diplômés, les quatre tomes de « Paul Biya, l’appel du peuple », la rencontre du couple présidentiel avec certains musiciens camerounais sur le déclin, le droit de vote des Camerounais de la diaspora, et le nationalisme opportuniste du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC), sont les nouveaux instruments de l’attirail politique du Renouveau National. Savamment orchestrés par les médias officiels, ces instruments sont auréolés et enjolivés de qualités d’arguments pouvant transformer en mieux l’état du monde régressif dans lequel sont empêtrés les Camerounais depuis plus d’un quart de siècle. Ce qui, pour en dire le moins, est illusoire car la structure dictatoriale d’un pouvoir et ses conséquences néfastes sur la vie, ne se changent pas du jour au lendemain par des mesures conjoncturelles obéissant à un calendrier électoral : ce sont des épiphénomènes qui ne peuvent, ni faire évènement, ni construire l’amorce d’une nouvelle dynamique politique camerounaise.

Si la recherche de comment rester coûte que coûte Président de la République du Cameroun est de bonne guerre pour le Prince et son équipe au point d’être le seul horizon directeur des « mesurettes » actuelles, cet objectif ne peut être capable d’inspirer des réformes qui pensent le pays dans une perspective à la fois altruiste, de long terme et transformatrice de la condition camerounaise. Ainsi, la raison pour laquelle les différents griots du Renouveau National exaltent sans limites l’actuelle politique des expédients électoralistes, gît dans le fait qu’ils veulent, autant que le régime lui-même, faire du Président l’éternel homme de la situation. Statut qu’il mériterait dans un horizon temporel indépassable grâce à une construction artificielle d’un discours qui consiste à inculquer dans les esprits des Camerounais que sans Biya, c’est le chao tous azimuts au Cameroun. Raison pour laquelle, dernièrement à Mvomeka’a, le musicien Ottou Marcellin, manifestement pas à la hauteur de ses mélodies, expliqua au journaliste que sans la paix au Cameroun, il n’aurait pas pu élever ses neuf enfants et en sortir un ingénieur grâce à sa seule musique. Le message politique qu’il passa ainsi par le biais de sa propre histoire, est que le Président Biya devait rester au pouvoir car sans lui, le pays expérimenterait tristement l’absence de paix.

Il se construit ainsi, depuis quelques mois, une petite musique lancinante nous faisant croire qu’avoir un autre Président au Cameroun que Biya serait synonyme de guerre. Et pourtant, au lieu que ce talentueux parolier continue de chanter : « et un soldat tirera, tirera et retirera et la vie d’un homme tombera », il aurait été mieux inspiré et plus perspicace qu’il reconnût que le soldat a bien déjà tiré, tiré et retiré au Cameroun en 2008 et que les vies de jeunes Camerounais sont bien tombées. En outre, le Renouveau National n’incarne qu’une approche obtuse de la paix car tous les Camerounais qui ne mangent pas à leur faim, tous ceux qui sont au chômage, exilés ou sont sans logement vivent une situation de guerre contre la pauvreté : ils ne sont pas en paix.

Face à cette nouvelle doxa balistiquement organisée pour faire croire que « le Biya-nouveau » est arrivé pour 2011, que le régime peut se réformer de l’intérieur et qu’il est le seul garant de la paix, le peuple et le citoyen engagés doivent rester vigilants et faire appel à un questionnement plus profond du mal camerounais. D’après la Fondation Moumié, cela exige, non seulement que nous donnions une profondeur et une épaisseur historiques aux maux qui minent le pays, mais aussi, que nous mettions sur la balance les expédients électoralistes actuels du régime, et les défis contemporains du pays. Seule une telle démarche peut montrer aux Camerounais que les tréfonds du mal camerounais restent intacts sous l’agitation de surface du régime en conjoncture préélectorale. Ceci implique que la Fondation Moumié redonne de la profondeur au débat afin qu’il ne quitte l’endroit et sa signification historique par dérive sur les expédients et l’écume politique au service du pouvoir. Le faire nous pousse à analyser tour à tour :

 • Le néonationalisme opportuniste du Renouveau National ;
 • Le droit de vote congénital à l’esprit d’Etat-colonial ;
 • Le droit de vote des Camerounais de la diaspora ;
 • L’enjeu de 2011 comme date et moment émancipateur des Camerounais.

II- Le néonationalisme opportuniste ou le second meurtre de la mémoire nationaliste authentique

Face aux grandes puissances occidentales dont l’attitude à l’égard des projets d’éternité du Renouveau National semble ne plus être favorable, le RDPC s’est découvert des élans et des relents nationalistes. Ce nationalisme opportuniste, de circonstance ou mieux, sur le tard, est en effet une des armes de prédilection actuelles du pouvoir de Yaoundé. Le but est de mobiliser l’esprit patriotique Camerounais contre à la fois les silences ambigus de Sarkozy et les critiques à peine voilées d’Hilary Clinton à l’égard des chefs d’Etats africains qui ne veulent pas quitter le pouvoir. C’est dans cette conjoncture de mutation argumentaire que le Secrétaire national du RDPC déclara lors d’un récent meeting à Kribi : « Nous sommes mieux placés que quiconque pour savoir ce que nous voulons, pour savoir ce qui est bon pour nous et ce qui ne l’est pas. Et en toute logique, nous pensons que seuls les Camerounais peuvent et doivent avoir le dernier mot quand à la direction qu’ils entendent imprimer à leur destin commun. »

Cette déclaration est le signe tangible d’un régime dangereux parce que prêt à faire feu de tout bois pour continuer son action macabre sur les esprits et les corps en souffrance des Camerounais. Non seulement le Renouveau National ne peut dénoncer de façon crédible l’ingérence d’anciennes puissances coloniales, étant donné que celles-ci l’ont mis au pouvoir et le soutiennent depuis 1982, il initie aussi une troncature de l’histoire en perpétrant un second meurtre d’authentiques nationalistes camerounais, dont il est cosignataire de l’éradication par affiliation politique avec le premier régime camerounais. Le nationalisme authentique ne fut jamais un drapeau de ralliement que ses pères agitèrent aux yeux des Camerounais lorsque leur valeur marchande au sein du marché politique occidental était au plus bas. Il ne fut jamais mis à la place d’un serpent auquel on s’accroche lorsqu’on se noie politiquement au point d’en faire « un nationalisme sapeur pompier ». Il ne fut surtout pas le propre de « politiciens caméléons » qui, parce que le régime dont ils sont les dignitaires est en crise profonde, trouvent un nouveau dieu tutélaire dans les référents nationalistes avec l’espoir de changer la peau du régime à l’instar de serpents venimeux qui muent sans pour autant cesser d’être des serpents venimeux.

« Le nationalisme sapeur pompier », nouvel expédient politique du Renouveau, ne peut faire le poids face au mal camerounais dont il constitue même un symptôme contemporain de renforcement. Le Renouveau National étant la continuité du régime Ahidjo, il est consignataire de la décapitation historique du nationalisme camerounais et de ses leaders les plus influents. En conséquence, le régime actuel de Yaoundé est responsable, autant que son prédécesseur, de l’ingérence internationale qu’il feint aujourd’hui de dénoncer par pur esprit machiavélique de mettre de son côté l’âme immortelle de la fierté d’un peuple. Le danger qu’un tel régime représente pour le Cameroun est un révisionnisme politique au bout duquel la Fondation Moumié se pose la question de savoir de quoi hier sera fait avec le Renouveau National. Question cruciale vu que ce régime choisit, non seulement les bons côtés de l’histoire selon ses objectifs du moment, mais aussi, essaie de construire un néonationalisme instrumental qui s’appuie sur une population camerounaise qu’il opprime en faisant alliance avec un Occident qu’il tente désormais de présenter comme l’ennemi de la nation camerounaise. Les Camerounais ne doivent donc pas perdre de vue qu’ils font l’objet d’une nouvelle stratégie de tricherie car l’émancipation politique, statutaire et humaine que cherchait « l’UPC historique » est exactement ce que les adeptes du « nationalisme sur le tard » et leurs devanciers ont sabordé en pactisant avec l’ingérence occidentale qui revient actuellement à la gueule comme un boomerang : cela s’appelle un reflux revanchard de l’histoire qui, comme le dit le chanteur, revient du fond de sa défaite pour dire aux usurpateurs : « non je n’ai rien oublié ! ».

D’après la Fondation Moumié, les Camerounais sont face à une crise de ménage au sein du couple politique pouvoir camerounais /pouvoir occidentaux. Et comme dans toute crise de ménage, les amoureux de longue date peuvent se réconcilier à tout moment, non seulement parce que les adieux se passent souvent un peu trop bien, mais aussi parce que les rapports d’intérêts qui les unissent de très longue date sont, dans le cas d’espèce, toujours renégociables pour une nouvelle idylle dans le dos du peuple camerounais. La transformation émancipatrice du pays n’est donc à attendre, ni du Renouveau National, ni de l’extérieur, ni de la scène de couple entre cet extérieur et le régime en place. Elle est à trouver et à inventer dans et par l’intelligence populaire et collective camerounaise qui, seule, peut retrouver les sentiers de l’émancipation jadis portée par Félix Moumié et ses pairs. La démocratie pour laquelle se battent de nombreux Camerounais ne se concrétise pas de façon désincarnée. C’est l’histoire de l’émancipation du peuple camerounais et les arguments de son combat qui donneront sens, visage et fondements réels à celle-ci.

III-Les Camerounais votent depuis l’Etat-colonial pour renforcer des dictatures

Le vote d’un peuple est un moment important de la mystique démocratique. C’est le moment où le champ politique respire afin que la vie politique, sociale et institutionnelle reprenne son souffle et tisse de nouvelles confiances et de nouvelles délégations de pouvoir. Le vote est un temps où se concrétise la sécularisation de la source de la légitimité du pouvoir politique par l’onction populaire qui fait d’un citoyen l’élu de volontés et d’aspirations dont les conflits sont domestiqués et « civilisés » par le débat démocratique. C’est un temps politique où le bel écho d’un peuple sort de l’isoloir pour irradier les arcanes d’un pays du pouvoir populaire confié à un homme qui en devient automatiquement le dépositaire sous le contrôle de ce même peuple.

Cependant, le vote au Cameroun étant l’instrument d’un long processus de privatisation du pouvoir politique et de ses attributs par une alliance d’élites camerounaises et françaises, la Fondation Moumié souligne qu’il se situe encore à mille lieues de ses fonctions démocratiques. En effet, le vote n’est qu’une procédure de choix qui, même si elle est un élément du jeu démocratique, ne signifie rien si les conditions préalables d’un choix libre sont inexistantes. Il ne donne aucun pouvoir au peuple sans analyse de la nature profonde du système de pouvoir qui l’organise. Autrement dit, un vote non sous-tendu par un régime démocratique cesse d’être un moment important du jeu démocratique, pour devenir un instrument de consolidation et de recyclage des dictatures. Ne pas tenir compte de cette réalité cruciale entraîne qu’on tombe dans un fétichisme du vote, c’est-à-dire, dans une conception démocratique qui cesse de concevoir la démocratie comme une forme de société ponctuée par le vote pour faire de celui-ci la démocratie elle-même. Pour cela, le vote des Camerounais ne sert pas encore la mystique démocratique. Il ne signifie pas un moment démocratique tant qu’il demeure un moment de recyclage et de consolidation d’une dictature comme c’est le cas depuis l’Etat-colonial. Les Camerounais ont en effet voté sous le joug colonial lors du référendum sur la réunification, ils ont voté pendant tout le régime Ahidjo et l’ont aussi fait depuis 1982 sous Biya sans que cela ait, d’une quelconque façon, entraîné une transformation émancipatrice de leur situation. La Fondation Moumié s’appuie sur ces votations antérieures pour affirmer que le vote des Camerounais ne sert pas la démocratie s’il est organisé par des structures, un régime et des institutions antidémocratiques. Il en devient même le Cheval de Troie car au service de leur consolidation et validation aux yeux de la communauté internationale.

Ce n’est donc pas le vote en lui-même qu’il faut exalter et organiser pour faire démocratie au Cameroun, mais ce qu’il y a derrière le vote, c’est-à-dire, l’état du monde et le système dans lequel on vote et qui organisent le vote. Le vote est en effet une institution frappée de dégénérescence démocratique au Cameroun car la société lui a depuis longtemps retiré son estime qui seule, peut lui conférer un pouvoir, tant de libérateur, que de censeur procédural. Le Cameroun et les Camerounais étant face à un régime qui utilise le vote pour ne pas changer la conception et la structure du pouvoir qui opprime l’émancipation citoyenne, le fait de voter ne peut servir à la transformation structurale et structurelle qu’espèrent les populations en 2011. En effet, le vote n’est pas seulement la désignation d’un homme, mais aussi un mécanisme de sélection des normes et des structures de pouvoir d’un pays. Elecam ne peut garantir une telle aspiration car son objectif est de conserver les structures de pouvoir actuelles en utilisant le peuple comme argument de validation sans pour autant ouvrir de nouvelles opportunités de pouvoir pour ledit peuple. En conséquence, Elecam utilisera le vote des Camerounais à la présidentielle de 2011 pour assurer la continuation de la propagation du virus responsable du mal camerounais depuis 1960, c’est-à-dire la mise à l’écart du projet émancipateur du Cameroun et de ses populations.

Compte tenu de ce qui précède, la Fondation Moumié ne peut encourager le vote des Camerounais à la présidentielle de 2011 que si une commission électorale indépendante avec les pleins pouvoirs dans l’organisation du scrutin et la proclamation des résultats est l’instance qui l’organise sur le plan national et international. Toutes les personnalités qui refusent ces derniers temps de faire partie d’Elecam prouvent par leur défiance que cette structure ne peut organiser un vote crédible et transparent au Cameroun.

Par Thierry Amougou, président de la Fondation Moumié

Source : http://journalducameroun.com