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Centrafrique : un destin volé, Histoire d’une domination française

Nouvelle publication de Survie

D 23 avril 2016     H 05:09     A Yanis Thomas     C 0 messages


Embourbée dans une guerre civile qui ne dit pas son nom, la France désigne en ce début d’année
2014 le responsable du chaos à ses yeux : Michel Djotodia. François Hollande n’avait d’ailleurs pas
caché son sentiment sur le dirigeant centrafricain, déclarant fin 2013 : « On ne peut pas laisser en
place un président qui n’a rien pu faire, voir même a laissé faire. »

Dont acte. Du 1er au 3 janvier, Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense et missus
dominicus du président français pour les affaires africaines, effectue une tournée auprès des parrains
de la Centrafrique – les chefs d’État du Tchad, du Gabon et du Congo-Brazzaville – pour leur faire
valider le départ de Djotodia. C’est rapidement chose faite. Le 10 au matin, Michel Djotodia
annonce sa démission et s’envole pour le Bénin. Sans rire, François Hollande déclarera lors de ses
vœux à la presse le 14 janvier : « Nous n’avons pas vocation à choisir les dirigeants de la
Centrafrique. La France aide, mais elle ne se substitue pas. » Et d’ajouter ensuite : « Je veux en
terminer avec ce qui était, depuis 40 ans, la politique de la France avec la Centrafrique comme avec
une partie de l’Afrique où on défaisait et on faisait les présidents de ces pays. C’est fini ! »

Qu’a fait la France en Centrafrique, son ancienne colonie ? Que fait-elle encore dans ce pays
marginalisé d’Afrique centrale ? Quel y est le jeu des ingérences étrangères ? Pour quelles raisons
économiques et diplomatiques ?

Résumé

Lorsque le 5 décembre 2013, François Hollande déclenche l’opération Sangaris en
Centrafrique, il y a fort à parier que les français sont bien en peine de localiser ce pays sur la carte.
Pourtant, la relation entre La France et la Centrafrique est des plus tragiques, et mériterait d’être
mieux connue. C’est l’objet de ce nouveau Dossier Noir qui s’attache à mener une étude
approfondie de l’action de la France et des Français dans ce pays marginalisé d’Afrique centrale.

Ce livre explicite la dynamique historique et les raisons de la domination de la France sur
son ancienne colonie. Des compagnies concessionnaires au sacre de Bokassa, des mutineries des
années 1990 au saut de l’armée française sur Birao en 2007, l’auteur s’arrête sur les temps forts de
ce qui fait de la RCA un pays emblématique du système de la Françafrique. Ce faisant, il décrypte
aussi les volontés d’influence et d’ingérence en Centrafrique d’autres nations, comme le Tchad, le
Congo-Brazzaville ou l’Afrique du Sud, permettant par là même d’affiner l’analyse des crises
successives qui secouent le pays, et notamment celle qui déchire le pays depuis décembre 2012.

Une attention particulière est par ailleurs mise sur la question des enjeux économiques, et
notamment ceux concernant les ressources naturelles (diamants, pétrole, bois…), tant est grande son
importance pour comprendre les motivations des entités en lutte, au niveau national comme au
niveau international.

Entretien avec l’auteur

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

À la base, je n’ai pas d’affinité particulière avec la Centrafrique. Mon sujet d’étude est plutôt
l’armée française et ses interventions militaires en Afrique. J’ai commencé à me pencher sur ce pays
en décembre 2012, au moment où la Séléka, la rébellion qui renversera peu après François Bozizé
(à la tête du pays depuis 2003), lance son offensive. De fil en aiguille, et en travaillant sur les
raisons de l’émergence de cette énième rébellion, je me suis plongé dans l’histoire de la
colonisation et de la néo-colonisation française dans ce pays. Et ce que j’en ai lu m’a profondément
révolté. D’où l’idée de rappeler au public la réalité de l’action de la France dans cette contrée. À
cela s’ajoute la volonté de donner un éclairage sur les tenants et les aboutissants de la crise actuelle,
et, là encore, sur la place de la France dans cette affaire.

Le livre effectue une importante remise en contexte historique. Pourquoi parler de "l’histoire
d’une domination" ?

S’il s’agit d’une « histoire d’une domination », c’est parce que le but est de montrer comment la
France a pesé de façon déterminante à chaque période clef de l’histoire centrafricaine
contemporaine. L’approche historique me paraît essentielle car elle permet de rappeler et de
cristalliser une analyse des événements. Face au flot médiatique, c’est une sorte de barrage
mémoriel. D’une certaine façon, ce livre est une lutte contre l’oubli.

Ce pays est méconnu, pourtant tu as travaillé uniquement avec des sources ouvertes.

Effectivement, la Centrafrique est un pays plutôt méconnu des Français. C’est un pays peu
touristique, à l’inverse de pays d’Afrique de l’Ouest comme le Sénégal. La diaspora centrafricaine
en France n’est pas non plus très importante, comme peut l’être la diaspora malienne, ce qui ne
concourt pas à le faire mieux connaître. Je serais tenté de dire qu’il y a un certain désintérêt pour
cette région. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’informations sur ce qui s’y passe. C’est juste
qu’elles n’intéressent pas grand monde. C’est un des enjeux de ce livre : éveiller la curiosité du
lecteur pour un pays marginalisé mais dans lequel la France a une influence particulièrement
néfaste.

Il y a eu un soudain intérêt médiatique pour la Centrafrique avant l’intervention française.
Quelle était la réalité du risque de "génocide" brandie par les autorités françaises ?

C’est un classique : avant toute intervention militaire française, il est nécessaire de préparer nos
concitoyens à une telle intervention. Il s’agit de gagner les cœurs et les esprits, afin de susciter
l’approbation du public. Dans cette dynamique, tous les moyens sont bons. On se souvient comment
George W. Bush avait construit sa propagande sur les armes de destruction massive avant
d’intervenir en Irak en 2003. Dans le cas qui nous concerne, a été mis en avant l’idée d’un risque de
génocide, notamment par Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, en novembre
2013. Ce qui est intéressant, c’est que celui-ci ne précise à aucun moment un génocide de qui contre
qui… En réalité, il s’agit d’une situation de guerre civile, mais c’est moins vendeur que
« génocide » sur le marché de l’indignation.

Il a aussi été question de "conflit inter-religieux". Qu’en était-il réellement ? Quels étaient
les enjeux réels de la crise ?

À mon sens, le fait religieux n’est pas à la base du conflit. On n’est pas dans la situation du nord du
Mali, avec une déstabilisation du pays par des groupes armés se réclamant d’un islam rigoriste et
violent. Concrètement, la Séléka composée de Centrafricains du nord-est du pays, de Tchadiens et
de Soudanais, majoritairement d’obédience musulmane, s’en prend principalement, lors de sa prise
du pouvoir et par la suite, aux populations du sud et de l’ouest du pays, considérées comme
chrétiennes. Les milices villageoises d’autodéfense et les anciens soldats de l’armée centrafricaine
restés fidèles à Bozizé, regroupés sous le terme « d’anti-balaka », qui s’opposent à la rébellion, sont
aussi présentés comme chrétiennes et s’attaquent principalement aux membres de la communauté
musulmane. Ce qui amène à une présentation réductrice du conflit en une lutte interconfessionnelle,
occultant au passage ses aspects sociaux-économiques. En réalité, les enjeux liés à la crise sont de
deux ordres : politique et économique. Au niveau politique, il y a une volonté du Tchad, allié au
Soudan, de renverser le régime de François Bozizé, avec, au moins, le consentement tacite de la
France. Au niveau économique, se pose la question de l’exploitation des ressources naturelles
présentes en Centrafrique. Le diamant bien sur, mais aussi le bois et surtout le pétrole. En effet, le
nord de la Centrafrique recèlerait des gisements d’hydrocarbures, lesquels seraient connectés aux
zones pétrolifères mises en exploitation du coté tchadien de la frontière. Toute exploitation de cette
ressource en Centrafrique pourrait réduire d’autant les réserves disponibles au Tchad…

En quoi a consisté l’intervention française ? A-t-elle au moins fait baisser le niveau de
violence ?

L’opération française Sangaris, lancée début décembre 2013 se veut une opération coup de poing,
dans le style des opérations françaises historiques : le déploiement d’une poignée de parachutistes
devait ramener le calme dans le pays. Or, son lancement est concomitant avec une offensive
coordonnée des milices anti-balaka, fidèles à François Bozizé, le président déchu, sur Bangui le 5
décembre. La situation est particulièrement explosive. La première action de ce corps
expéditionnaire français est de désarmer et de cantonner les membres de la Séléka. Ce faisant, il va
donner un net avantage aux milices anti-balaka, qui vont d’autant plus s’en prendre à la
communauté musulmane, assimilée à la Séléka. Donc, bien loin de diminuer, le niveau de violence
va sensiblement augmenter à la suite du déploiement français. Et ce qui était prévu pour être une
opération de courte durée va se transformer en un bourbier.

Quelle est la place des élections dans l’intervention française ?

Les élections ont une place centrale dans la stratégie française. Le fait de tenir des élections, en
l’occurrence présidentielles et législatives, permet de faire croire à une sortie de crise. C’est
pourquoi la diplomatie française a pesé de tout son poids pour que celles-ci se tiennent au plus vite,
alors même que la situation du pays n’est en rien stabilisée. L’enjeu est de pouvoir claironner que la
France a réussi sa mission, qu’elle a œuvré au retour à un ordre constitutionnel, que l’opération
Sangaris est un succès. La situation étant annoncée comme revenue à la normale, il est désormais
possible de prévoir une réduction importante des effectifs sur place, sans que cela ne soit
assimilable à une débâcle. En clair, une façon de sortir du bourbier la tête haute.

Si ce n’est pas une intervention dans le cadre de l’anti-terrorisme, quelle est la typologie de
cette intervention ?

L’opération Sangaris s’inscrit pleinement dans le cadre de la « nouvelle doctrine » tel qu’explicité
par Raphaël Granvaud dans son ouvrage « Que fait l’armée française en Afrique ? ». À l’inverse de
ce qui a pu se passer pour l’opération Serval au Mali, où la France avait tordu le droit international
pour pouvoir intervenir, la doctrine française habituelle a été appliquée au cas centrafricain. L’armée
s’est déployée en vertu d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, dans le but de
soutenir une force africaine. La France a cherché à multilatéraliser son action en promouvant la
mise en place d’une force européenne (qui sera au final de faible ampleur). Autant d’éléments visant
à casser son image de gendarme de l’Afrique. Sur le terrain, l’armée française reste en réalité
prépondérante et agit de façon totalement indépendante.

Y-a-t’il eu des manifestations d’hostilité à l’intervention française en Centrafrique ?

En effet, il y a eu à Bangui fin décembre 2013 des manifestations d’hostilité à l’égard de
l’intervention française. Les membres de la communauté musulmane manifestaient pour dénoncer
la partialité des troupes françaises, accusées de ne pas en faire assez pour désarmer les miliciens
anti-balaka. Plus récemment, on a pu voir les troupes de Sangaris faire l’objet d’insultes suite à la
révélation de viols sur de jeunes garçons du camp de réfugiés de l’aéroport de Bangui par des
soldats français.

Quel a été le jeu du Tchad, principal allié de la "lutte contre le terrorisme" de la France en
Afrique, dans la crise ?

Depuis le début des années 2000, le Tchad a un poids considérable dans les affaires intérieures
centrafricaines. On se souvient ainsi qu’Idriss Déby avait directement appuyé le général rebelle
François Bozizé en 2002-2003 dans sa lutte pour renverser le président Ange-Félix Patassé. Le
Tchad avait notamment servi de base arrière à la guérilla. L’action de ce pays dans la crise actuelle
est tout aussi importante. Les principaux leaders de la Séléka, à commencer par Noureddine Adam,
le plus virulent d’entre eux, ont de solides connexions à N’Djaména. De nombreux éléments
témoignent par ailleurs d’une forte collusion entre les forces armées tchadiennes et les soldats de
cette rébellion. Le jeu du régime tchadien est donc particulièrement trouble. Pour autant, cela ne
semble pas avoir perturbé la diplomatie française, qui fait de celui-ci le pilier de son dispositif
militaire en Afrique. Il est effarant de voir comment la France s’appuie pour sa « guerre contre le
terrorisme » en Afrique de l’Ouest sur une dictature sanglante qui contribue à déstabiliser un de ses
voisins.

Yanis Thomas

Centrafrique : un destin volé
Histoire d’une domination française

Parution : 15/04/2016
ISBN : 9782748902648
235 pages (11x17) 13.00 €

Sortie nationale en librairies, le 15 avril 2016
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