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Congo Brazzaville : La Disparition Forcée est le Crime du Temps Suspendu

Quand les Nations Unies Visitent la République du Congo

D 28 novembre 2011     H 05:07     A Jean-François de MONTVALON     C 0 messages


Une délégation du Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires (?), s’est récemment rendu en République du Congo du 24 septembre au 3 octobre derniers.
On comprend à la lecture de ce rapport que les disparitions forcées ont une histoire ancienne et lourde, puisque cette mission "s’est entretenue avec l’ancien Président de la commission d’enquête parlementaire qui a été établie en 2001 pour enquêter sur les disparitions forcées constatées dans la République du Congo depuis 1992".

En effet, entre le retour de Denis SASSOU NGUESSO par le coup d’Etat de 1997 qui a fait 25 000 morts essentiellement dans la population Brazzavilloise (source Cimade) et la guerre civile du Pool qui a suivi entre un opposant maquisard totalement instrumentalisé par ce même SASSOU NGUESSO à seule fin de pouvoir sévir contre des populations civiles jugées peu favorables, et qui a occasionné des centaines de milliers de morts et disparus , on mesure bien l’ampleur d’une histoire douloureuse qui a marqué et marque encore durablement la population congolaise.
Mais en l’occurrence, seule l’affaire dite du Beach était prise en considération par la mission.

Cette affaire rappelons le, est née de l’appel à la réconciliation nationale lancé fin janvier 1999 par SASSOU NGUESSO, en direction des populations du Pool qui avaient trouvé refuge de l’autre côté du fleuve en RDC dans les camps du HCR. Ce retour censé se dérouler dans un climat de totale sécurité, suite à l’accord tripartite passé entre le HCR, la RDC et le Congo Brazzaville, s’est effectué en trois vagues successives entre mai et août 1999. A la suite d’un tri effectué par des forces de police à l’arrivée au port fluvial de Brazzaville, le Beach, 353 personnes hommes jeunes pour la plupart ont officiellement disparu, ou plutôt été éliminées dans les conditions les plus atroces : enfermées dans des containers ou dans des sacs jetés dans le fleuve, massacrées à l’arme blanche ou fusillées les corps étant brûlés sur place.

L’affaire du Beach est toujours d’actualité à travers un nouveau procès qui est instruit en France à la demande de la FIDH, de la LDH, de l’Office Congolais des droits de l’homme et d’un collectif de parents, après une parodie de justice rendue en 2005 à Brazzaville.

On rappellera à cette occasion le rôle éminent joué par Patrick Gaubert (dont le frère Thierry défraie actuellement la chronique dans la catégorie financements occultes des partis politiques) qui, en sa qualité de président de la LICRA, était intervenu publiquement au printemps 2004 notamment à la télévision congolaise, pour soutenir le fait que ce procès devait avoir lieu à Brazzaville et non à Paris. On peut difficilement croire qu’il s’agissait là d’une démarche personnelle…
Les conclusions de la mission soulignent la nécessité de conduire enfin à son terme un processus de justice 12 ans après les faits.
Cela dit si on comprend bien les prudences d’un discours qui alterne "regrets" (ce qui en langage onusien vaut "critique") et satisfecit (pour épargner les susceptibilités), il ne faudrait pas pour autant en tirer des conclusions hâtives sur le climat qui règne actuellement en République du Congo.

Car enfin parler aujourd’hui de "retour à la paix", "de réconciliation entre les différentes parties militaires et civiles, ainsi que de l’esprit d’union nationale qui anime aujourd’hui les acteurs de la vie politique congolaise" relève d’un angélisme pour le moins excessif.
Lorsque l’on sait que les Bérets rouges, bataillon d’élite de l’armée placé sous les ordres du Général OKOYE (l’un des acteurs majeurs des massacres d’Owando et du pont de l’Alima dans la Cuvette, rattaché directement aujourd’hui comme hier au président SASSOU NGUESSO), sont en train d’être redéployés à travers le pays dans des lieux précédemment tenus par la gendarmerie (Oyo, Mpila, quartier du Plateau) et aujourd’hui même dans l’arrondissement de Bacongo à Brazzaville, aux portes du Pool, il est permis de se demander si l’histoire n’est pas en train de bégayer.

Peut-on rappeler qu’une échéance approche en 2012 avec une campagne présidentielle dont on a tout lieu de croire que dans un tel contexte elle se déroulera comme les précédentes.
Dans un autre ordre d’idées indiquer que "selon les interlocuteurs rencontrés par le Groupe de travail, les personnes placées en garde à vue ou en détention provisoire ne rencontrent en général (tout est dans le général…) pas d’obstacle pour contacter leurs familles ou leurs avocats" est à l’évidence contredit par plusieurs témoignages. A titre d’exemple on peut rappeler les trois officiers arrêtés en 2008 à Pointe Noire pour une obscure tentative de coup d’Etat et dont on est resté sans nouvelles.

Du reste dans ses conclusions, "le Groupe de travail est toutefois gravement préoccupé par la détention de plusieurs personnes originaires de la RDC,… et cela depuis presque huit ans hors de tout contrôle légal …faisant ainsi peser sur ces personnes le risque d’être soumis à une disparition forcée". A trop vouloir démontrer on est parfois conduit à se tirer une balle dans le pied.
La réalité vécue aujourd’hui par les Congolais est d’abord et avant tout la peur, et toutes les initiatives des autorités n’ont d’autre but que de l’entretenir. Fantasme ou réalité, on rapporte qu’un container actuellement bloqué dans les rapides de Kitambo en aval de Brazzaville, et qui serait parfois visible selon le niveau atteint par les eaux du fleuve, pourrait être l’un de ceux qui ont été utilisés lors du massacre du Beach.

Ecrire que "la disparition forcée est le crime du temps suspendu", est sans doute une bien jolie formule, mais on peut se demander si aujourd’hui Lamartine est une réponse appropriée à cette peur qui imprègne la vie de chaque congolais. Quitte à faire dans le littéraire on aurait préféré du Victor HUGO. Le courage de ceux qui la surmontent pour malgré tout témoigner, méritait sans doute mieux.
"L’organisation d’une cérémonie en hommage aux disparus du Beach le 5 mai de chaque année à la demande des familles des victimes", et plus généralement "la conduite d’un processus de paix authentique… produisant pour résultat des excuses et l’expression de regrets de la part de l’Etat" toutes deux préconisées par le Groupe de Travail, ne paraissent pas franchement faire partie aujourd’hui des urgences de SASSOU NGUESSO.

A moins que celui-ci ne postule au prix Nobel de la Paix, mais la route promet d’être longue…

Par Jean-François de MONTVALON

Source : http://www.mampouya.com