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L’UE soutient une loi menaçant l’accès aux médicaments

D 12 avril 2010     H 19:00     A Wambi Michael     C 0 messages


KAMPALA, 22 mars (IPS) - L’Union européenne (UE) finance l’élaboration du Projet de loi controversé de l’Ouganda sur les produits contrefaits ; un projet de loi qui a soulevé un tollé puisqu’il menace l’accès aux médicaments génériques salvateurs dans ce pays à faible revenu d’Afrique orientale.

KAMPALA, 22 mars (IPS) - L’Union européenne (UE) finance l’élaboration du Projet de loi controversé de l’Ouganda sur les produits contrefaits ; un projet de loi qui a soulevé un tollé puisqu’il menace l’accès aux médicaments génériques salvateurs dans ce pays à faible revenu d’Afrique orientale.

Quelque 90 pour cent des médicaments utilisés dans le système de santé de l’Ouganda, dont environ 93 pour cent de génériques, sont importés.

IPS a reçu des informations selon lesquelles une partie des cinq millions d’euros que le ministère du Tourisme, du Commerce et de l’Industrie de l’Ouganda a reçus de l’UE, au titre d’un accord de financement signé en juillet 2009, devrait servir à élaborer ce projet de loi controversé qui a été constamment critiqué comme une menace pour le traitement.

Cet accord de financement vise à appuyer la mise en œuvre par l’Ouganda de l’accord de partenariat économique (APE) entre l’UE et les pays d’Afrique orientale.

Simon Lokodo, secrétaire d’Etat ougandais pour l’Industrie, a reconnu dans une interview accordée à IPS que le processus d’élaboration du projet de loi a été financé par l’UE.

"Nous recevons du soutien auprès de l’Union européenne. Avec ce soutien que nous recevons d’elle nous avons réussi à employer quelqu’un qui nous a aidé à examiner en profondeur la question et à travailler avec d’autres partenaires pour élaborer le projet de loi qui est actuellement devant le Conseil des ministres", a-t-il indiqué.

Lokodo a déclaré à IPS qu’il n’y avait rien de particulier avec le financement de l’UE des politiques de lutte contre les produits contrefaits dans le cadre d’un autre appui au secteur du commerce.

"Vous avez vu nos marchés inondés de produits contrefaits. Ces produits non seulement ont un impact sur notre vie, mais également tuent nos industries. Je pense qu’il est préférable de travailler avec l’UE et d’autres partenaires pour lutter contre ces produits", a-t-il dit.

Mais les militants ont été intrigués par la volonté du gouvernement ougandais d’adopter une loi donnant une définition si générale de la contrefaçon pour criminaliser la production et l’importation de médicaments génériques, mettant ainsi des médicaments abordables et légitimes hors de la portée des millions de personnes dans un pays aux prises avec le VIH/SIDA et le paludisme.

Cette mesure a été d’autant plus embarrassante que l’Ouganda, comme pays moins développé, a jusqu’en 2016 avant d’être obligé de fournir une protection du brevet pour les produits pharmaceutiques conformément aux Aspects relatifs au commerce du régime des droits de propriété intellectuelle (TRIPS) de l’Organisation mondiale du commerce.

Harvey Rouse, chef de la section politique et commerciale de la délégation de l’UE en Ouganda, a confirmé à IPS qu’une partie de l’accord de financement de cinq millions d’euros conclu en juillet 2009 avec l’Ouganda implique l’élaboration d’une loi de lutte contre les produits contrefaits.

"Nous soutenons le ministère du Commerce... pour réformer ses régimes politique et juridique/réglementaire, (y compris sur) les produits contrefaits... Ce soutien est apporté sous le programme de développement du commerce et du secteur privé relatif à l’APE (accord de partenariat économique)... (qui sera mis en œuvre au cours) des quatre prochaines années", a-t-il dit.

En réponse à d’autres questions, à savoir si la délégation de l’UE était consciente des obstacles aux soins de santé publique que constitue ce projet de loi, Alex Nakajjo, responsable des opérations commerciales à la délégation de l’UE à Kampala, a fait remarquer que le projet de loi "cible seulement les gens qui violent les droits de propriété intellectuelle protégés... L’UE ne soutient pas le commerce des produits contrefaits et les produits contrefaits ne devraient pas... être confondus avec les médicaments génériques".

Par ailleurs, a-t-il dit, l’UE avait précédemment "fait pression pour une disposition facilitant l’accès aux médicaments génériques pour les pays en développement au titre de l’Accord sur les TRIPS. L’UE en tant que l’un des principaux donateurs au monde croit aux médicaments génériques et favorise leur accès pour les pays en développement".

Toutefois, la loi ougandaise, comme celle récemment adoptée par le Kenya et la loi en instance de la Communauté d’Afrique de l’est, ne fait aucune distinction entre les médicaments génériques légaux et les produits contrefaits, selon le Programme sur la justice de l’information et la propriété intellectuelle (PIJIP) à la faculté de droit de l’Université de Washington, à Washington, DC.

Le PIJIP dirige un programme de formation sur l’utilisation des flexibilités de la propriété intellectuelle (PI) pour garantir l’accès aux médicaments génériques.

Bien que les médicaments ordinaires et contrefaits ne doivent pas être tolérés, font également remarquer les militants, la loi proposée ne réglera pas le problème de la mauvaise qualité puisqu’elle confond les droits de propriété intellectuelle avec les normes de qualité. Sisule Musungu, expert en droits de propriété intellectuelle, a souligné les éléments suivants qui indiquent que le projet de loi porte sur des intérêts commerciaux et non sur les normes de sécurité : l’acheminement de ces lois par les ministères du Commerce plutôt que par les ministères de la Santé qui travaillent sur les normes de sécurité pour les médicaments pendant plusieurs années ; et l’implication de la douane et de la police plutôt que des autorités de la santé.

Une autre indication est que le financement de la loi provient des fonds alloués au commerce plutôt qu’à la politique de santé.

Musungu a expliqué le coup qui est derrière cette loi : si la libéralisation du commerce des produits agricoles et manufacturés se poursuit, elle finira par entraîner l’incapacité de l’UE et des Etats-Unis de rivaliser en matière de l’agriculture avec le Brésil et en matière des produits manufacturés avec la Chine et l’Inde.

Tout ce qui reste pour l’UE et les Etats-Unis en termes d’avantage comparatif ce sont les services et les droits de propriété intellectuelle.

"La propriété intellectuelle est devenue un élément très important de la politique étrangère de l’UE... Les grands acteurs de l’Occident n’iront pas très loin s’ils utilisent le point d’entrée de la PI ordinaire, en raison de la prise de conscience qui existe dans beaucoup de pays en développement quant à l’effet de la PI sur l’accès aux médicaments et à d’autres choses.

"Ainsi, l’utilisation du langage de produits contrefaits est essentiellement une stratégie pour obtenir d’une autre façon ce que vous obtiendriez normalement à travers les lois sur la PI", a-t-il conclu.

IPS a retracé l’évolution de la loi et a constaté que l’association de l’UE à la campagne pour une loi de lutte contre les produits contrefaits recule beaucoup. L’UE a financé la conférence du 30 octobre 2008 sur l’examen du secteur du commerce du ministère du Commerce ougandais à travers un programme "d’appui technique pour la finalisation de l’accord de partenariat économique".

Au cours de cette conférence, la première version du Projet de loi sur les produits contrefaits a été discutée dans une présentation faite par Gerald Ssendaula, président de la Fondation du secteur privé de l’Ouganda (PSFU) et ancien ministre ougandais des Finances.

La PSFU, qui représente 81 associations professionnelles et organisations du secteur public, a été parmi les premières organisations en Ouganda travaillant avec d’autres groupes en Afrique de l’est afin de faire pression pour des politiques nationales et régionales de lutte contre les produits contrefaits.

A l’époque, Ssendaula a identifié les produits contrefaits comme l’un des principaux défis dans l’environnement des affaires en Ouganda.

Il a déclaré que "le secteur privé constate avec inquiétude que l’amende qui figure dans le projet de loi sur les produits contrefaits n’est pas assez punitive pour décourager la contrefaçon et les mauvaises pratiques de marque. Nous demandons au gouvernement d’examiner les clauses pertinentes en vue de les rendre plus punitives".

Ssenduala a suggéré cinq ans d’emprisonnement pour les contrefacteurs et l’établissement d’un lien régional et international avec d’autres organes pour freiner l’importation des produits contrefaits.

Rouse de la délégation de l’UE a indiqué à IPS que l’Ouganda manque d’une législation appropriée et d’une application adéquate des droits de propriété intellectuelle et dispose de faibles mesures punitives qui encouragent le commerce de produits contrefaits. L’Ouganda a également besoin d’une institution spécifique chargée de la lutte contre les produits contrefaits. Cette position est reflétée dans le Projet de loi sur les produits contrefaits.

La plupart des autres pays exigent que "la supercherie délibérée" ou la piraterie "à l’échelle commerciale" pour violation de la PI soit considérée comme de la contrefaçon. L’Organisation mondiale de la santé définit également le minimum de mesure pour que la contrefaçon soit "un étiquetage volontaire et frauduleux" et "une fausse présentation de l’identité ou de la source".

Mais en Afrique de l’est, la violation inconsciente est considérée comme une infraction pénale. En Ouganda, le projet de loi prévoit de lourdes amendes et même des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 20 ans. Ceci contraste nettement avec l’utilisation des recours civils qui constituent la pratique juridique internationalement acceptée en cas d’infraction à la PI, a déclaré Musungu.

Les experts en droit ont estimé que l’Ouganda dispose des lois nécessaires pour s’attaquer au problème de la contrefaçon, par exemple, la Loi relative au droit d’auteur, la Loi sur les marques de fabrique, la Loi sur les brevets, la Loi sur les secrets commerciaux et les articles dans le Code pénal qui criminalisent la vente des produits contrefaits. (FIN/2010)

source IPS Africa