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RWANDA : APPEL À LA 20ème COMMÉMORATION

D 24 mars 2014     H 11:41     A Adelaïde MUKANTABANA     C 0 messages


Un génocide, de par sa conception et son application, est véritablement un crime inavouable : avant, sa préparation est dissimulée ; pendant, sa réalité est démentie ; après, sa nature même est niée. Qui doit témoigner ? Comment témoigner ? Que fait-on du témoignage ?
J’étais là-bas, quand le Rwanda bascula ouvertement dans une dérive raciste en octobre 1990, sous le prétexte de l’attaque du Front patriotique rwandais, le FPR ; une organisation politico-militaire, composée principalement de fils d’exilés tutsi ayant fui les premiers massacres de 1959 et les pogroms qui suivirent. Ainsi, nous qui possédions une carte d’identité estampillée « Tutsi », nous sommes devenus, à partir d’octobre 1990, dans les propos de ceux qui préparaient l’innommable, les complices (ibyitso), les ennemis de l’intérieur. Le pouvoir totalitaire infligea à ces soi-disant complices toutes sortes d’humiliations, d’intimidation au travail... Les emprisonnements arbitraires et les assassinats devinrent de plus en plus fréquents. Les Tutsi, animalisés, furent appelés « les cafards, les cancrelats, les serpents ». Ils devinrent des cibles tandis que se répandait l’idée, constituant une accusation « en miroir », qu’ils possédaient tous, du nourrisson au vieillard, un plan pour exterminer les Hutu.
La communauté internationale ferma les yeux. L’historien belge, Filip Reyntjens, situe, dans son livre, Rwanda, trois jours qui ont fait basculer l’histoire, la responsabilité de l’État français : « La France a objectivement soutenu les responsables du projet d’extermination, en s’abstenant de les décourager et en donnant l’impression que, fort de l’appui français, l’impunité leur était garantie. »
Ainsi, dans le silence et l’indifférence, le Rwanda chemina vers un génocide dont l’étincelle fut l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, le soir du 6 avril 1994. L’inconcevable se réalisa dans les Mille Collines, dans l’abandon total de la communauté internationale. L’acte de naissance n’est plus seulement l’acte d’accusation, c’est un arrêt de mort : plus d’un million de tués en une petite centaine de jours. « Tuez-les tous, il faut qu’un enfant hutu qui naîtra demande à quoi ressemblait un Tutsi » exhorte la radio télévision libre des Mille Collines, la RTLM. Ma famille a été quasiment décimée.
20 ans après, le Rwanda n’a pas fini de compter les morts d’un génocide qui n’a pas d’égal, ni dans la vitesse, ni dans la cruauté d’exécution. L’ONU fait une évaluation de huit cent mille morts, dont nul ne connaît la base de calcul. Derrière les chiffres, il y a les vies fauchées, les voix, les sourires, les mémoires de vieillards qui se sont éteints. 20 ans après, il est temps de chercher à réellement comprendre ce qui s’est passé dans ce moment tragique de l’histoire du Rwanda. Il est temps d’identifier les causes qui ont permis à l’horreur de se reproduire, et de cesser de se contenter de prendre « ça » comme une preuve de plus de l’abjection africaine.
20 ans après, Paris a traduit devant les Assises, « un » homme qui était un rouage d’un système soutenu par l’État français. Ce 14 mars 2014, la condamnation du capitaine Simbikangwa pour crime de génocide est une reconnaissance du génocide des Tutsi, c’est aussi une marque d’encouragement dans la lutte contre l’impunité. Nous espérons la poursuite des autres auteurs présumés résidant en France.
20 ans après, le devoir de mémoire nous incombe à tous. Nous ne pouvons pas uniquement nous contenter des commémorations à une date d’anniversaire. Commémorer, c’est aussi faire un effort de reconstitution des faits, c’est sortir de l’ignorance, c’est briser le silence qui mine les survivants devenus muets devant l’ignominie, c’est briser le silence dont se couvrent les bourreaux pour échapper à la justice, c’est briser le silence des décideurs militaires et politiques français de 1994. Un génocide est un crime qui nous concerne tous. L’indifférence, c’est déjà l’acceptation. Le monde entier est témoin de l’attente du peuple rwandais, de l’errance des rescapés, il doit rendre justice, il doit rétablir la dignité des survivants.

Adélaïde Mukantabana,
rescapée et présidente de l’association Cauri.