Vous êtes ici : Accueil » Afrique centrale » Rwanda » France-Rwanda : Le business dans les Grands Lacs contre une amnistie (...)

France-Rwanda : Le business dans les Grands Lacs contre une amnistie mutuelle de crimes imprescriptibles ?

D 9 septembre 2011     H 13:28     A Survie     C 0 messages


À l’occasion du déplacement du président Kagame à Paris les 12 et 13 septembre 2011, l’association Survie dénonce les conditions du réchauffement diplomatique entre Paris et Kigali, qui sacrifie la justice, la vérité et le respect des droits humains sur l’autel des intérêts économiques.

Le réchauffement progressif des relations franco-rwandaises se confirme avec cette visite en France de Paul Kagame, visite qui fait suite à celle de Nicolas Sarkozy à Kigali le 25 février 2010. Ces relations étaient très tendues depuis l’arrivée au pouvoir, en 1994, au Rwanda, du FPR (Front Patriotique Rwandais), qui mit un terme au génocide des Tutsi. Ce génocide avait été perpétré avec la complicité des décideurs politiques et militaires français, soutien du régime d’Habyarimana, puis du Gouvernement Intérimaire Rwandais (GIR) auteur du génocide. La visite de Paul Kagame pose problème, à cause du risque que ce rapprochement diplomatique ne s’opère au détriment de la justice sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi, mais aussi du fait de la nature même du régime rwandais et des crimes qui lui sont reprochés.

Le Rwanda, malgré un essor économique important, est en effet loin d’être un exemple démocratique et d’exercice des droits civiques, comme l’indique la victoire à 93% de Paul Kagame lors de la dernière élection présidentielle. L’Armée Patriotique Rwandaise (APR) qu’il a dirigée est par ailleurs accusée de crimes qualifiables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au Zaïre en 1996-97, comme Survie l’a souligné à plusieurs reprises. Un rapport d’août 2010 du Haut-commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU (Mapping Report) mentionne ainsi des dizaines de milliers de Hutu massacrés dans les forêts congolaises et les responsabilités rwandaises[1] dans ce massacre. Ce rapport, sur lequel s’appuient aujourd’hui les plus féroces opposants à Kagame, ne se prononce pas sur la qualification juridique des faits et n’étaye pas la thèse d’un second génocide, thèse relayée en France par ceux qui tiennent à faire « oublier » le rôle des autorités françaises en minimisant le génocide des Tutsi. Contrairement au travail mené par l’ONU dans le rapport précité, il demeure primordial de ne pas négliger le rôle de la communauté internationale, et en particulier celui de la France, dans la genèse de la tragédie qui continue de dévaster cet immense pays.

Alliée du régime Habyarimana malgré les signaux précurseurs du génocide, la France a soutenu en 1994 le Gouvernement Intérimaire Rwandais (GIR), Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, allant alors jusqu’à recevoir en plein génocide, son homologue du GIR. La France a continué des livraisons d’armes jusqu’en juin 1994 alors que l’ONU a voté l’embargo le 17 mai[2]. Elle a également permis la fuite des génocidaires au Zaïre et les a réarmés. Depuis 1994 la France reste une terre d’asile pour les présumés génocidaires, qui ne sont toujours pas poursuivis avec l’opiniâtreté nécessaire. Aucun procès n’a eu lieu sur notre sol. Dans ces dossiers de présumés génocidaires, comme dans celui qu’instruit le juge Trévidic sur l’attentat du 6 avril 1994 ou dans l’examen des plaintes déposées contre des militaires de l’opération Turquoise pour complicité de génocide, les autorités françaises de l’époque ont beaucoup à craindre[3],[4] .

Paris et Kigali ont donc toutes les deux un lourd passé à faire oublier. Les deux capitales ont amorcé un dégel de leur relation avec deux objectifs en ligne de mire : le retour de la France en tant que partenaire économique dans la région et l’amnistie mutuelle des crimes respectifs. Afin que les autorités rwandaises passent l’éponge sur l’implication française dans le génocide des Tutsi, les autorités françaises ne dénoncent pas le rôle du Rwanda dans les conflits du Kivu. Il s’agit une nouvelle fois pour Nicolas Sarkozy de positionner la France et ses entreprises dans la compétition internationale qui se joue pour l’accès aux ressources naturelles de la région des Grands Lacs, alors qu’il n’agit pas pour la justice et la démocratie.

Survie demande aux autorités françaises :

Concernant le génocide des Tutsi du Rwanda :

 De donner à la justice française les moyens pour juger les présumés génocidaires en créant le pôle d’instruction spécialisé dans les crimes contre l’humanité.

 De mettre en place une commission d’enquête parlementaire qui fasse totalement la lumière sur l’implication de la France au Rwanda.

 De lever le Secret Défense sur les archives concernant l’ensemble de l’action française

Concernant la paix, la justice, et la démocratie en République Démocratique du Congo :

 De participer à la mise en place d’enquêtes sur les responsabilités des sociétés minières étrangères dans les crimes commis en RD Congo pendant les guerres de 1996 à 2003, notamment sur SDV la filiale de l’entreprise française Bolloré dont les activités ont été dénoncées par l’ONU[5].

 De s’en tenir à des relations minimales avec le régime rwandais du fait de ses manquements démocratiques et de ne rien entreprendre sur le plan diplomatique ou judiciaire qui puisse contribuer à dédouaner les dirigeants rwandais de leurs responsabilités dans des crimes commis en RD Congo.

Contact presse :

Odile Biyidi-Awala, Présidente de Survie

Tél. : 06 13 45 35 02


[1] http://survie.org/billets-d-afrique/2010/195-octobre-2010/article/afrique-des-grands-lacs-un-appel-a

[2] Rapport de Human Rights Watch de 1995 « Rwanda/Zaïre Réarmement dans l’impunité. Le soutien international aux perpétrateurs du génocide rwandais.” http://www.hrw.org/legacy/reports/1995/Rwanda1.htm

[3] Il y a complicité de génocide, même s’il n’y a pas volonté de participer au génocide, à partir du moment où il y a aide en toute connaissance de cause à ceux qui commettent le génocide.

[4] Sachant que les militaires étaient aux ordres des responsables politiques de l’époque, ces derniers pourraient in fine avoir à rendre des comptes devant la justice.

[5] http://www.unhchr.ch/Huridocda/Huridoca.nsf/0/dae66898c9002181c1256b11005149dc?Opendocument

— 
Stéphanie Dubois de Prisque
Chargée de communication
stephanie.duboisdeprisque@survie.org

Association Survie
107, boulevard Magenta
75010 Paris
Tél : 01 44 61 03 25
Fax : 01 44 61 03 20

http://survie.org