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L’INSTRUMENTALISATION DU DROIT AU TCHAD

D 5 juillet 2012     H 05:03     A CNCD (Tchad)     C 0 messages


Depuis l’année dernière, une série d’arrestations spectaculaires ont visés des ministres et des hauts responsables tchadiens, au nom de la lutte contre la corruption, en même temps qu’un harcèlement juridique contre des députés de l’opposant. Rappelons brièvement le fil des développements, sans entrer dans les détails qui ont été traités largement, par les presse locale tchadienne et les sites Internet.

 Décembre 2011 : Une procédure est engagée pour lever l’immunité du député Saleh Kebzabo ; poursuivi pour diffamation par la veuve d’un chef de village de la région de Léré.

 27 janvier 2012 : M. Mahamat Zene Bada, connu sous le nom de Zene Bada, Directeur général du bureau des grands travaux, présidentiels ancien maire de la ville de N’djamena, est arrêté pour détournement de fonds. Maire de N’Djamena de 2007 à 2010, M. Zene Bada avait été déjà écroué en janvier 2010 pour des détournements de fonds. Il avait ensuite bénéficié d’un régime de semi-liberté avant d’être nommé directeur général des Grands Travaux Présidentiels, en septembre 2011.

 01fevrier:le Ministre du Plan et de la Coopération M. Mahamat Ali Hassan est en garde à vue à la police judiciaire, au motif d’avoir reformé des véhicules en 2005.
 24 février : le ministre de l’Assainissement public et de la Promotion de la Gonne Gouvernance Ahmadaye Al Hassan a été "écroué pour faux, usage de faux, détournements de biens publics et corruption ». Trois collaborateurs du ministre, ont été interpellés le 17 février. Le directeur général du contrôle d’Etat Akouya Tchale avait également été arrêté.

 4 mars : Arrestation du député d’opposition Pierre Gali Gatta N’Gothé, condamné à un an de prison ferme et 200 000 F CFA d’amende (305 euros) pour tentative de corruption, détention illégale d’arme et complicité de braconnage. Après 7 semaines de détention, il a finalement été relaxé par les juges de la Cour d’appel de Moundou, faute de preuves. Le parquet se pourvoit en cassation.

 17 avril : Mahamat Saleh Annadif, Secrétaire Général de la Présidence du Tchad, est arrêté. Bien que ses avocats n’aient pas eu accès au dossier il semble que M. Annadif soit inculpé de complicité dans l’ affaire de détournement de deniers publics à la Direction Générale des Grands Travaux et Projets Présidentiels.

Tirant sa légitimité d’avoir renversé le régime de parti unique, et promettant d’instaurer le pluralisme et les droits de l’homme, le pouvoir MPS a, dès le premier jour, eu des pratiques à l’opposé de ses proclamations : l’assassinat de Me Joseph Behidi, vice-président de la Ligue des Droits de l’homme et Mamadou Bissou, devaient inaugurer une longue série de pratiques répressives, sur fond d’enrichissement illicite insolent et de manipulations électorales.

Les arrestations, les enlèvements, et même les liquidations physiques ne sont pas une nouveauté ; des personnalités comme le député Yorongar étaient devenues pratiquement des abonnés des geôles du Déby.

Aussi, on pourrait se contenter de dire que la dernière vague d’arrestations ou des tentatives d’arrestations au Tchad, ayant visé les députés d’opposition Saleh Kebzabo et Pierre Gali Gatta N’Gothé, aussi bien que des hauts responsables du régimes dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler l’affaire Zene Bada, relève de la même logique répressive, et ne constituent pas une nouveauté.

Cependant, certaines innovations dans les méthodes si particulières, méritent qu’on aille au delà de ce constat et tenter d’entrer dans les détails des mécanismes mis en œuvre, afin de cerner les objectifs précis visés par le pouvoir de N’Djamena.

Première observation : On utilise la même méthode contre les opposants qui luttent pour un changement démocratique, aussi bien que contre des dignitaires du pouvoir qui ont inspiré, exécuté, justifié, ou au minimum indirectement cautionné les ravages économiques, politiques et sociaux perpétrés par ce régime.

Deuxième observation : les motifs avancés frappent par leur grossièreté et leur ridicule. L’affaire du braconnage contre le député Gali, la plainte de la veuve d’un chef de village ..pour tenter de lever l’immunité du député Kebzabo. Quant à ceux inculpés dans l’affaire Zene Bada, leurs dossiers brillent par leur vacuité, ou tout bonnement par leur absence, aux dires des avocats.

Troisième observation : on sait que dans le régime, il y a des personnages qui ont pratiqué l’enrichissement illicite sous toutes ses formes, de façon très visible à travers leurs biens et leur train de vie, et d’autres, même s’ils cautionnent par leur silence les méfaits du régime, ne présentent aucun indice visible d’enrichissement illicite. Or, les arrestations frappent indistinctement les uns et les autres.

Il doit avoir des explications à toutes ces bizarreries.
A notre avis, il y a des effets recherchés, de façon bien calculée ; le premier effet recherché est justement de donner l’impression qu’il n y a aucun calcul derrière tout cela ; car des opposants comme des fidèles du régime sont frappés, ce qui prouverait que la loi est appliquée de façon objective, sans distinction.

Le contexte : après le miracle pétrolier tant chanté, la population se rend compte que ses conditions de vie ont continué à se dégrader. Malgré la construction de la raffinerie de N’Djamena, la crise énergétique qui sévit depuis une quinzaine d’années continue à faire des ravages économiques et humains dans la capitale : l’électricité est devenue un luxe de plus en plus lointain, l’eau manque souvent. « Où est passé l’argent du pétrole ? », c’est la question que se pose l’homme de la rue ; alors il faut lui donner une réponse : « l’argent a été détourné par des hauts responsables qui ont abusé de la confiance du président, lequel vient de le découvrir et a commencé à les punir ».

Quant aux dignitaires du régime qui ne peuvent gober cela, il leur est adressé un autre message : on arrête pêle-mêle, sans aucune logique des serviteurs du régime, parfois innocents, pas dans l’absolu mais par rapport à ce qu’on leur reproche. C’est pour que ces dignitaires comprennent que le fait d’être un serviteur loyal n’est pas une assurance, le fait d’avoir des compétences ou des qualités ne vous protège pas. La seule qualité c’est de plaire au Maître ; et par conséquent le seul crime, c’est de déplaire au Maître. Cela installe une instabilité psychologique permanente chez tous les collaborateurs, chacun pouvant être frappé à tout moment quelque soit les efforts déployés. « Égorger le chat, pour effrayer le singe », comme disent les Chinois.

Une fois humiliés et montrés à la vindicte populaire, les victimes sont libérées et nommées à des hautes responsabilités. Par expérience, aucun d’entre eux n’exigent réparation pour rétablir sa réputation ; au contraire une fois remis en selle, il continuent à tenir les encensoirs autour de leur tortionnaire. Conséquence : l’opinion tire la conclusion qu’il n y a pas d’hommes de principes, et que tous ces politiciens se valent. Par conséquent, ce n’est pas la peine d’espérer un changement.

Parlons des détournements. On sait qu’à part quelques rares cas, le vrai pillage des ressources du pays, n’est pas le fait de responsables politiques, mais de la nébuleuse de commerçants, hommes d’affaires, entrepreneurs, transitaires en douanes, chefs de clans militaires, intermédiaires en tous genres, etc. qui comptent leurs fortune en milliards. Braquer les projecteurs sur les responsables politiques, permet de maintenir les vrai pilleurs dans l’ombre pour qu’ils continuent de plus belle.

Créer des divisions au sein des démocrates : comme on le constate dans les forums sur le Net, les avis sont très divisés. Les uns estiment que les démocrates, partis d’opposition, associations des droits de l’Homme, citoyens engagés, etc. ne doivent pas défendre les responsables victimes d’un régime qu’ils ont servi et qu’ils vont continueront à servir ; les autres estiment que par principe, il faut dénoncer toute instrumentalisation de la justice et toute arrestation qui s’opère en violation des règles judiciaires quelque soit les engagements politiques des ceux qui en sont victimes. Cette divergence peut aboutir à des divisions, et même des procès d’intention des uns contre les autres. Tout cela permet d’affaiblir une opposition déjà assez essoufflée, en dilapidant son énergie sur une fausse querelle.

Évidemment, la question demeure : « oui ou non , y a -t-il des malversations financières au Tchad ? » et « si oui, comme le reconnaît tout le monde, n’est ce pas une bonne chose que le président essaie d’assainir la situation ? »

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Aucun démocrate, aucun opposant, aucun citoyen soucieux du devenir de ce pays, ne peut nier que le problème de la corruption est une gangrène mortelle pour notre État, notre économie et notre société, et qu’il doit être pris à bras le corps.

Mais assainir la chose publique, ne peut se faire n’importe comment, ni avec n’importe qui.
Utiliser les instruments institutionnels qui existent actuellement pour assainir la situation, reviendrait à laver le sang par le sang, ou la boue par la boue. Un exécutif, une administration, une justice, une police, totalement phagocytés par le virus de l’incompétence, du trafic d’influence et du griotisme, ne peuvent être des outils efficaces.
Le phénomène est tellement généralisé et massif qu’il ne peut être traité au cas par cas, il faut une approche globale.

Pour cela il faut un audit national de qualité, et une commission des biens mal acquis réellement indépendante et dotée des moyens juridiques, administratifs, matériels et humains, nécessaires à l’accomplissement de sa mission cela est une condition nécessaire, mais loin d’être suffisante..

Toute œuvre ne vaut que par la qualité et les capacités des hommes et de femmes chargés de sa réalisation. Il est absolument nécessaire d’avoir, au sein du gouvernement, de la haute administration , de l’appareil judiciaire et des organes de défense et de sécurité, un noyau fort et assez nombreux de responsables intègres, compétents, désintéressés, et surtout très courageux. Cela ne peut ne se faire par des arrestations au gré des caprice du Chef et des cabales entre les lobbies qui gravitent autour du pouvoir, encore moins par la cooptation, de temps en temps, de cadres ayant une bonne réputation.

Le système actuel est dans une déliquescence morale telle qu’il ne peut pas se réformer par lui-même. Un redressement ne peut s’opérer, de façon réaliste, que par la redéfinition totale du champ politique : une nouvelle légitimité nationale, de nouvelles institutions et un nouvel agenda national.

L’idée d’un Dialogue National Inclusif, défendue aussi bien par des partis légalisés, les associations de la société civile, les cyber-activistes que par les mouvements armés, peut être un levier décisif pour l’avènement de cette nouvelle équation nationale.

Un tel Dialogue national, permettra de réparer le tissus de la confiance nationale, mis à mal par des décennies de favoritisme ethno-confessionnel et d’humiliations, et crever les abcès qui gangrènent notre mémoire, afin de créer un nouvel engouement de la population et des cadres pour la chose publique.

De telles assises nationales pourront désigner un gouvernement de transition, soutenu par toutes les forces politiques, avec pour mandat, d’assainir l’administration, les finances publique, la justice, l’armée et la police et réconcilier l’État ; gouvernement dirigé par un avec une personnalité crédible, compétente et consensuelle.

Le comité de rédaction de cncd-tchad.com