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Macron au Tchad, dans l’oeil du cyclone des crises africaines

D 24 décembre 2018     H 14:02     A Aza Boukhris     C 0 messages


En dépit de la situation délicate que connaît aujourd’hui la France et d’un week-end risquant d’être encore agité avec les « Gilets jaunes », le président Macron est néanmoins attendu à N’Djaména, les 22 et 23 décembre 2018.

Le maintien du déplacement du Président français au coeur de l’Afrique, en cette période, montre à l’évidence, l’importance de cette visite qui dépasse largement la coopération franco-tchadienne et la traditionnelle visite de fin d’année aux militaires français en opérations extérieures.

Première visite en zone CEMACP
Plus de dix-neuf mois après son élection, Emmanuel Macron, en allant à N’Djaména, va effectuer sa première visite dans l’un des États de la Communauté Économique et Monétaire de l’ Afrique Centrale qui comprend six États : Cameroun, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Gabon, Guinée-Équatoriale et Tchad. Cette zone, liée au franc CFA, n’a pas les faveurs de la diplomatie française et des réflexions africaines de l’Élysée.

Il est vrai que dans ces pays, la démocratie est encore un mirage, les chefs de l’État battent des records mondiaux de longévité, les droits de l’homme restent dans les textes, les finances publiques croulent sous les dettes, le népotisme et la corruption figurent en bonne place dans la gouvernance, les perspectives économiques sont en berne et le consensus national est de plus en plus remis en cause avec des rébellions qui ne sont plus désormais uniquement ethniques.

Cette Afrique centrale n’est pas encore entrée dans le « nouveau monde « macronien, mais elle est devenue préoccupante pour la France avec la montée du djihadisme, la percée de la Russie, l’expansionnisme économique chinois et la montée de la criminalité transfrontière.

Le Tchad incontournable
Président tchadien, Idriss Deby Itno est devenu indispensable. Le Tchad se trouve au coeur du puzzle de l’Afrique centrale et du Sahel. Que ce soit dans la lutte contre le djihadisme au Sahel, dans la lutte contre la secte Boko Haram, dans la maîtrise des dégâts collatéraux de l’effondrement de l’État libyen, la recherche d’une sortie de la crise centrafricaine, le Tchad du président Idriss Deby Itno est en première ligne. Les militaires tchadiens sont les plus nombreux et les mieux aguerris. La diplomatie du président tchadien est la plus professionnelle et la plus influente.

Deux anciens ministres des affaires étrangères sont à des postes clés : Moussa Faki Mahamat est président de la Commission de l’Union africaine et Ahmad Allam-Mi est le Secrétaire général de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale ( CEEAC). Le Gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale, Abbas Mahamat Tolli, est un ancien ministre de l’Économie et des Finances du président Idriss Deby Itno.

Une visite minutieusement préparée
Les ressentiments occasionnés par la visite de Marine Le Pen à Idriss Deby Itno en mars 2017 durant la campagne présidentielle, sont lointains. Le ministre Le Drian, dont la proximité avec Idriss Deby Itno (IDI) est bien connue, est l’ardent et constant avocat du rôle majeur joué par IDI, non seulement dans la lutte contre le djihadisme au Sahel, mais aussi contre Boko Haram et dans la crise centrafricaine.

Un premier geste financier a été fait en annonçant une aide de 40 millions d’euros versée par l’Agence française de developpement afin de pouvoir payer les fonctionnaires et les retraités. Les mécontentements venant de toutes parts seront peut être apaisés, pour un moment, mais le discrédit de l’autocrate tchadien demeurera.

Comme dans toute visite importante du président Macron à l’étranger, la cellule diplomatique a été mobilisée. Franck Paris, le monsieur Afrique et de la même promotion qu’Emmanuel Macron à l’ENA, a fait une visite préparatoire plus intense que d’habitude.

Comme d’habitude maintenant, le « verticalisme » macronien s’exprime par le Conseil présidentiel pour l’Afrique composé de personnalités franco-africaines choisies par Emmanuel Macron. Le Quai d’Orsay joue le rôle de supplétif sans être vraiment associé à ces visites à l’étranger. Jules-Armand Aniambossou, ancien ambassadeur du Bénin à Paris et également promotionnaire d’Emmanuel Macron à l’ENA, a effectué une longue visite préparatoire à N’Djamena. Ce missi dominici ne rend compte qu’au président Macron. Il pourra lui dire les fortes attentes de la société civile en termes de démocratie, de droits de l’homme et les vives critiques de la jeunesse notamment contre l’augmentation des droits universitaires qui ne passent pas au Tchad comme ailleurs. Une nouvelle faute de la technostructure macronienne !

Les organisations de femmes ont aussi présenté leurs cahiers de doléances concernant leurs difficultés pour trouver leur place dans la société. La décrépitude des services publics et l’insécurité au nord, à l’est, à l’ouest et au sud ont été unanimement décriée.

Des propos encore audibles ?
La visite au centre opérationnel de là Force Barkhane permettra certes de saluer les succès dans le neutralisation de djihadistes au Mali, mais ne permettra pas d’occulter les déboires aux trois frontières Niger-Burkina-Tchad et les difficultés de financement. Les propos destinés aux organisations de la société civile ne seront probablement que la confirmation de ceux prononcés Ouagadougou. Le dialogue avec Idriss Deby Itno pourrait, en revanche, être davantage tourné vers l’avenir en ce qui concerne le Franc CFA dans la zone CEMAC, la situation en Libye, le Gabon face au problème constitutionnel de la maladie d’Ali Bongo et le traitement de la crise centrafricaine avec notamment le renforcement de l’axe Touadera- Omar Al-Bechir-Poutine, et l’accord militaire conclu entre la Russie et la Centrafrique.

Après avoir trop délaissé cette Afrique centrale, il n’était que temps pour le président Macron de se préoccuper de cette partie de l’Afrique qui prend de plus en plus ses distances avec la France et la francophonie. Avec la priorité donnée au multilatéralisme, les aides de la France passent inaperçues car fondues dans celles des institutions de Bretton Woods, des organisations onusiennes et dans la politique étrangère de l’Union européenne.

Le débat entre le bilatéralisme traditionnel en Afrique francophone et le multilatéralisme mondialisé sera probablement présent lors de cette visite du président Macron au Tchad.


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