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MÉMORANDUM SUR LA SITUATION POLITIQUE AU TCHAD

D 26 octobre 2012     H 05:45     A CNCD (Tchad)     C 0 messages


Remis par à la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française, à l’issue du rassemblement citoyen du lundi 08 octobre 2012)

I-L’ESPOIR RETROUVÉ

Arrivé au pouvoir en décembre 1990, à l’issue d’une dissidence militaire au sein du régime Hissène
Habré, dans un contexte mondial marqué par la fin de la Guerre froide et la remise de la question de
la Démocratie et des Droits de l’homme au centre de la scène politique, notamment africaine,
l’ancien Chef d’Etat-Major, Idriss Déby-Itno, malgré son passé de massacreur, avait bénéficié d’un
soutien et d’une confiance sans réserve, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Tchad.
Jamais, depuis la courte euphorie populaire au moment de l’accession à la souveraineté
internationale, un régime n’avait suscité autant d’espoirs en un avenir meilleur.
Toutes les conditions étaient réunies pour que le pays rompe définitivement avec les guerres et les
déchirements qui l’ont handicapé depuis l’indépendance, et s’engage résolument dans la voie de
l’unité nationale, la démocratie et le développement et la justice sociale :
 • Les exilés et opposants étaient rentrés en masse ;
 • Les foyers endémiques de lutte armée s’étaient éteints et les combattants issus des diverses
fractions ont rejoint l’Armée nationale ;
 • Le pluralisme a été instauré, avec l’éclosion d’une multitude de partis politiques, de journaux
et d’associations, notamment de défense des droits de l’homme ;
 • Les partenaires extérieures, notamment la France, l’Union européenne, les États-Unis et la
Libye ont accordé des aides massives, en particulier pour équiper et réorganiser l’Armée ;
 • Le Tchad, à l’instar d’autre pays africains, avait tenu sa Conférence Nationale Souveraine
(C.N.S. , janvier-avril 1993), qui fut le plus grand forum de débat national depuis
l’indépendance et a jeté les bases d’une transition vers un système démocratique
institutionnalisé.
 • Sur le plan économique, le début de l’exploitation du pétrole à partir de 2003, avait donné
une opportunité inédite pour que le processus de démocratisation ne se limite pas seulement
au joutes électorales, mais se traduise par une amélioration significative des conditions de
vie et de travail des la masse des citoyens.

II-L’ESPOIR TRAHI

Au moment où le général Déby-Itno s’apprête à célébrer le 22ème anniversaire de son règne, les
Tchadiennes et les Tchadiens font le constat amer que non seulement les espoirs de redressement du
pays ont été complètement déçus, mais que par certains aspects, la situation a dangereusement
empiré, laissant le champ libre aux pires scénarios quant à la survie même du Tchad en tant qu’État
et en tant que Nation.
Au bout de ces deux décennies le bilan du pouvoir MPS (Mouvement Patriotique du Salut), est
caractérisé par :
 • La liquidation physique d’opposants, de journalistes et de militants des droits de l’homme ;
 • Les pillages des ressources, notamment pétrolières, à travers les commissions et les
surfacturations qui sont la seule et vraie raison d’être des fameuses « réalisations
d’infrastructures », et à travers la transformation des services de transit, de douanes, et des
régies financières en propriétés privées, donnant naissance à une multitude de nouveaux
milliardaires essentiellement issus du clan tribal du Chef de l’État ;
 • L’affaiblissement des institutions de l’État, transformées en fiefs prébendiers distribués en
cadeaux aux serviteurs du régime, au mépris de toute considération de compétence et
d’intégrité ;
 • Particulièrement, la déliquescence de l’Administration territoriale où, en dehors des quelques
centres urbains, la population est à la merci des potentats civils et surtout militaires locaux,
dont les comportements provoquent souvent cette réflexion de la part des victimes « c’était
mieux sous la colonisation » !
 • La mise à terre de l’État de droit, les membres du clan tribal et leur quelques affidés,
piétinant allègrement toutes les lois, les règles administratives, jusqu’au critères d’admission
aux examens et concours et d’octroi de bourses ;
 • L’instrumentalisation de la Justice pour punir les syndicalistes et les journalistes ou parfois
pour régler des conflits de partage du gâteau au sein des dignitaires du régime ;
 • Le clivage au sein de l’Armée, entre d’une part, une Garde prétorienne tribale et une caste de
généraux analphabètes jouissant de tous les privilèges, et se moquant insolemment des
règlements militaires et des droits des citoyens et, d’autre part, la masse des soldats et
officiers qui ne connaissent que la misère, l’humiliation et les sacrifices dans les combats ;
 • La prise en otage du processus démocratique en asphyxiant les partis de l’opposition par
l’intimidation, la corruption, et l’organisation de fraudes électorales grossières et massives ;
et l’instauration d’une présidence à vie, à travers le putsch constitutionnel de 2005 ;
 • La démission totale de l’État par rapport aux services sociaux vitaux, en particulier
l’Enseignement et la Santé lesquels, malgré les revenus énormes tirés de la manne
pétrolières, et les investissements spectaculaires en application de la politique dite de
« Renaissance nationale », ne subsistent que grâce à l’aide internationale et l’abnégation
héroïque des enseignants, associations de parents d’élèves, infirmiers, médecins et
organisations religieuses ;
 • La manipulation cynique et irresponsable des diversités socioculturels pour créer la
méfiance et parfois susciter des conflits sanglants entre les différentes communautés
ethniques et confessionnelles.
 • Sur le plan extérieur, le régime de N’Djamena s’est tristement illustré par l’aventurisme
militaire dans la région : immixtion directe dans le conflit du Darfour, tantôt avec les
mouvements rebelles contre la dictature de Khartoum, tantôt l’inverse ; recrutement de
Tchadiens pendant la guerre en Libye ; tentative de transformation de la RCA en protectorat
militaire ; participation à la guerre civile en RDC ; etc.

III-UN PAYS AU BORD DU GOUFFRE

Les multiples rapports des institutions et organisations internationales et citoyennes, ont
régulièrement illustrés par des chiffres, des classements et des études de terrain les performances
désastreuses du pouvoir du général Déby-Itno, en terme gouvernance financière, de respect des
droits de l’homme, et de crédibilité des processus électoraux.
Sous le couvert d’un pluralisme de façade, la réalité simple et indéniable est que nous avons affaire
à une dictature clanique, sanguinaire et prédatrice, ne reculant devant aucun moyen pour faire taire
les voix discordantes et assurer le pérennité de son pouvoir.
Mais, les conséquences de cette politique de monopolisation du pouvoir et de pillage des ressources,
vont au delà de la mauvaise gouvernance.
Les effets de cette gestion obscurantiste ont semé des germes extrêmement pernicieux qui
pourraient conduire à des scénarios cauchemardesques, tels que le retours aux pires périodes
de la guerre civile, l’effondrement de l’État ou même l’éclatement du pays.
Les exemples récents en Afrique, et d’ailleurs l’histoire même du Tchad, montrent que
l’accumulation des erreurs et des calculs à courte vue, dans des pays où les structures
administratives sont encore faibles, l’économie nationale inexistante, la conscience nationale en voie
de formation, et la souveraineté vis à vis des anciennes puissances coloniales incomplète, peut
réduire à néant tout le travail de construction de l’État national entamé depuis l’indépendance.
Ce risque d’éclatement du Tchad est particulièrement illustré par :
 • La rupture totale les dirigeants entre la population ; cette dernière se sentant sous la
domination d’une force d’occupation étrangère et non pas sous l’autorité d’un gouvernement
national ;
 • L’absence de perspective pour la masse de la jeunesse scolarisée, et l’inexistence d’un
marché de travail ; la frustration est portée à son paroxysme par le spectacle du train de vie
scandaleux des nouveaux riches créés par le pouvoir ;
 • Le laxisme vis à vis des groupes religieux professant la haine entre les communautés,
faisant ainsi le lit de futurs groupes terroristes ;
Il assez déconcertant de constater qu’un régime avec un tel bilan, est en train d’être présenté comme
celui qui va sauver le peupler frère malien de son calvaire actuel.
Les antécédents des interventions de l’armée du général Idriss Déby-Itno dans les pays voisins et
leurs effets catastrophiques doivent inspirer un peu plus de circonspection et de prudence.

IV- EN CONCLUSION

Le blocage de la situation politique au Tchad, l’aggravation des conditions sociales et les risques
énormes d’une explosion totale qui ne manquera d’ amplifier l’instabilité et la violence qui
progressent dangereusement dans notre environnement sahélien et d’Afrique centrale, exigent des
Tchadiens, des pays partenaires et du mouvement citoyen dans les pays avancés, une prise de
responsabilité consistante et courageuse.
La seule voie pour enrayer la descente du Tchad dans les enfers, reste l’organisation d’un
Dialogue Nationale Inclusif, entre tous les acteurs politiques et de la société civile, sans
exclusive, permettant de mettre à plat les obstacles qui bloquent la processus politique, le
développement économique et l’unité nationale, afin de tracer de façon consensuelle un nouveau
cadre pour une transition démocratique apaisée.
Dans l’immédiat, le régime doit être mis en permanence devant ses responsabilités, surtout en
matière des Droits de l’homme et de transparence financière, par la mobilisation, la conscientisation
et la pression.

Dans l’immédiat nous exigeons :

 l’arrêt de la répression sous couverture judiciaire contre les dirigeant syndicaux et la
direction du Journal Ndjamena-bihebdo, suite à la récente grève menée par l’UST (Union
des Syndicats du Tchad) ;
 la vérité sur le sort du professeur Ibni Oumar Mahamat Saleh, Secrétaire général du PLD
(Parti pour les Libertés et le Développement) et Coordinateur de la CPDC ; et
 La libération de toutes les personnes détenues en dehors de toutes procédures judiciaires,
notamment les opposants illégalement déportés à partir du Soudan.

CNCD -Conseil National pour le Changement et la Démocratie