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TCHAD : Le pays de l’arbitraire

D 18 novembre 2014     H 05:25     A Éric Hervé Pando, Makaila Nguebla     C 0 messages


Afriques en Lutte a rencontré, dans les locaux du syndicat Solidaires à Paris, deux animateurs de la société civile au Tchad : Éric Hervé Pando, président d’Association Sociale des Jeunes pour la Défense des Droits de l’Homme (ASJDH) et Nguebla Makaila, journaliste et blogueur
(http://makaila.over-blog.com)

Afriques en lutte : La façon dont est née l’association est révélatrice de la situation d’arbitraire et de violence qui règne contre les populations au Tchad.

En effet, l’association est née un soir, car chez nous tous les gens ont un carrefour où ils causent, et un soir donc il y avait des douaniers issus du Président de la république qui chassaient une femme en grossesse avec un enfant sur le dos ; elle avait de petits sacs avec des marchandises « de tasses de sucres », en provenance du Cameroun, qu’elle transportait. Ces douaniers l’ont pourchassée et arrivés devant nous, ils l’ont appréhendée, l’ont molestée et lui ont arraché ses sacs. Nous on s’était approchés de la dame, elle était enceinte et avait perdu son mari deux mois auparavant et chez nous on te cloître pendant quatre mois et quinze jours en guise de période de deuil, elle faisait çà pour pouvoir élever son bébé et préparer son accouchement et ce jour là elle portait déjà huit mois de grossesse et ils lui ont arraché son sac.

Nous on s’est dit que ce n’était pas possible, on a essayé de jouer la médiation, mais en vain et les larmes de la dame coulaient et c’était triste.

AEL : Et dans le reste du pays ?

Guère mieux, les commandants de brigade règnent en maitres absolus, ils font partie du clan Deby et n’hésitent pas à maltraiter les paysans.

AEL : Quelle est la situation sociale au Tchad ?

Le problème c’est la flambée des prix des denrées alimentaires sur les marchés, le tchadien vit mal car s’il ne va pas pécher il fait son Gombo sans viande et sans poisson ; on lui interdit d’aller pêcher.

AEL : Pourquoi cette interdiction ?

C’est l’arbitraire ! De surcroit le gouvernement est inhumain et impitoyable à l’égard de sa population, un beau matin on met des milliers et des milliers de famille dans la rue, ou on prend des décisions pour interdire les bordures de fleuves où les gens viennent pécher pour gagner leur pitance journalière et survivre et ce n’est pas pour des raisons écologiques. Nous avons affaire à des décisions qui ne sont pas fondées.

Nous avons aussi chez nous des blanchisseurs, ils lavent les habits pour gagner un peu d’argent et on les empêche d’aller au bord des rivières. Il y a aussi les évictions forcées on met les gens dans la rue et on réattribue leur terrain aux proches du chef de l’État pour pouvoir installer des stations d’essence et des grands magasins et ainsi de suite. Ce sont ces injustices qu’on ne cesse de dénoncer.

AEL : Le 9 octobre est organisé l’opération ville morte, peux-tu nous en dire deux mots ?

Un jour avant mon arrivée en France on avait organisée une journée ville morte ; le gouvernement ne nous laisse pas le terrain libre pour travailler conformément à la loi, il nous étouffe par tous les moyens et tente d’instaurer la peur parmi le peuple. Pour nous ce n’est pas possible. Comme je venais de le dire, le Tchad est un pays pétrolier, il faut que le revenu du pétrole revienne d’abord à la population, mais ce n’est pas le cas. »

AEL : Et où va l’argent du pétrole ?

Aujourd’hui, tous les jours l’exécutif achète des armes ; surtout s’il y a une marque d’arme sophistiquée, le régime du Tchad se la procure, rien que pour protéger le pouvoir de Deby donc tout ce qui contribue à la sécurisation ou à la protection de son pouvoir est acheté avec l’argent du pétrole. Sans parler de la gabegie du gouvernement.

AEL : Quelques mots sur la société civile ?

Deux structures des droits de l’Homme : l’Association Tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’Homme et la ligue tchadienne des droits de l’homme qui sont affiliées à la FIDH, mais elles ne se sont pas prononcées sur le nouveau projet de code pénal qui pourtant criminalise l’homosexualité.

Il y a cependant la Convention Tchadienne pour la Défense des Droits Humains (CTDDH) qui fait son travail en toute liberté.

AEL : Et au niveau syndical

L’union des syndicats du Tchad (UST) et la Confédération libre des travailleurs tchadiens (CLTT) ont déclenché la grève de 2011, mais à l’issue de 3 mois de grève il y a eu un accord, signé avec le pouvoir en place, qui a démobilisé les leaders syndicaux et divisé les gens.
Je ne dis pas qu’ils sont dissout ou en connivence avec le pouvoir, mais ils ont baissé les bras. Il y a un cadre national du dialogue politique, donc depuis qu’ils sont dans ce cadre ils ne font plus le travail qu’ils faisaient par le passé.

Les dirigeants syndicaux n’ont pas dit qu’ils ne veulent pas signer la pétition contre le 5° mandat de Déby, mais ils refusent d’être initiateurs de la pétition, ils ont signé en tant que simple citoyen et laissent le choix a tous leurs militants et adhérents de signer et ils disent que c’est bon et beaucoup des leurs ont signé.
Ils nous applaudissent et ils nous soutiennent, mais pas sur le papier, alors beaucoup de gens nous demandent pourquoi il n’y a pas tel ou tel syndicat avec vous.

AEL : Pourriez-vous nous parler de cette pétition

On a émis une pétition sur le point clef pour dire : « tout sauf Deby » ; donc nous lui accordons la chance de ne pas se présenter à un 5e mandat, pour que cesse la gabegie et le népotisme.
Il ne faut pas que Deby se fasse succéder par son clan, donc tous les points sont bien ressortis sur notre pétition. En ce moment Deby a un manque de volonté de créer la carte biométrique pour les prochaines élections. Il veut torpiller ce projet et nous sommes vigilant là-dessus. Normalement chaque tchadien devrait avoir sa carte biométrique, mais il compte proroger le mandat de l’Assemblée Nationale alors que nos textes ne lui permettent pas de le faire. Il a le pouvoir de dissoudre l’Assemblée Nationale.

On mène une bataille pour empêcher Deby de se représenter, il faut une alternative dans l’opposition ou au sein de la classe politique
Pour nous société civile, nous voulons une alternance démocratique issue d’élections libres et transparentes, mais tout le monde veut que ce soit SANS Deby et puis celui qui gagnera la voix du peuple nous dirigera, mais il faut absolument une stratégie au cas où. On a demandé aux politiques de réfléchir là-dessus.

AEL : Quelle analyse faites-vous des relations entre le Tchad et la France ?

Pendant la visite d’Hollande au Tchad, l’ambassadeur de France au Tchad m’a dit qu’il attendait l’aval du ministère de l’intérieur du Tchad pour nous recevoir. Devant nos protestations il nous a dépêché le conseiller Mélonio qui nous a reçus très rapidement.

Il faudrait, qu’en duo avec vous à l’extérieur, on fasse comprendre avec les États amis du Tchad, la vraie réalité de notre pays. Aujourd’hui a l’extérieur on regarde l’image de Deby qui est intervenu au Mali et en Centrafrique aux côtés des français, c’est çà seulement que les gens regardent alors que la réalité à l’intérieur c’est autre chose. C’est en quelque sorte de la dictature pure et simple chez nous. Nous sommes traqués et épiés par les agents de l’ANS (Agence Nationale de Sécurité, la police secrète de Déby) et nous les militants, nous travaillons dans des conditions difficiles.

Propos recueillis par Paul Martial