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TCHAD : Sérieuse crise sociale

D 17 novembre 2012     H 11:19     A Pierre Sidy     C 0 messages


Pourrissement d’une crise sociale, en plus de la situation
économique et politique déjà délétère : inflation, crise
alimentaire, paupérisation, ras-le-bol généralisé… Telle est la
situation au Tchad actuellement.

Bras de fer…

Mi-juillet 2012, une grève du secteur public tchadien éclate. Les
protestataires exigent des hausses de salaire et dénoncent la
corruption du régime d’Idriss Déby Itno. Au centre de cette crise :
les salaires des 80 000 fonctionnaires, dont le gouvernement refuse
la revalorisation, en dépit d’un accord signé en ce sens le 20 mai
2011. Les niveaux de salaires, très bas (50 à 90 euros par mois
pour la majorité des fonctionnaires civils), ne permettent pas de
faire face à la cherté de la vie, aggravée par la flambée des prix des
denrées de base (mil, sorgho, huile, haricots, sucre).

Les fonctionnaires demandent au gouvernement « l’application des
20% de ce reversement conformément au protocole d’accord du
relèvement de la valeur de point d’indice de 115 à 150 et la refonte
immédiate des conventions de 1958 et de 1971, relatives aux
agents contractuels et décisionnaires de l’État »… et ce, dans le but
de permettre « aux travailleurs de faire face à la cherté de vie, mais
aussi de leur garantir une pension de retraite acceptable ». La
rencontre du 27 juillet de la Commission de négociation avec le
ministre de la Fonction publique et du Travail, n’a abouti qu’à
l’application d’un seul point, à savoir le reversement intégral de tous
les fonctionnaires dans la nouvelle grille du décret 1249.
Grève reconduite pendant plusieurs semaines. Mais en suspendant
le 1er août le paiement des salaires du mois de juillet, le
gouvernement rompt le contrat. Les syndicats durcissent la grève
dans le secteur public et parapublic. Les travailleurs menacent de
passer à une grève totale, sans service minimum si les salaires du
mois d’août ne sont pas versés, comme l’a annoncé le ministre des
Finances. Les fonctionnaires tchadiens appellent le secteur privé à
manifester à leurs côtés.

Manoeuvres dilatoires et répressions

Le pouvoir fait alors intervenir les chefs religieux (catholiques et
musulmans) dans la médiation entre lui et l’UST (Union des
syndicats du Tchad) : le 17 septembre, ces religieux obtiennent de
l’UST la suspension provisoire de la grève pour un mois alors que
celle-ci durait depuis deux mois. La stratégie gouvernementale vise
au pourrissement de la grève. Le 18 septembre 2012, une parodie
de justice, a condamné le président de l’UST Michel Barka, son
vice-président Younous Mahadjir, et son secrétaire général François
Djondang à 18 mois de prison avec sursis et chacun à une amende
d’un million de francs CFA pour « incitation à la haine tribale » en
ayant fait circuler une pétition dénonçant l’« arbitraire du pouvoir
Deby, la mal gouvernance, le népotisme, la dilapidation des deniers
publics… ». Le journaliste Jean-Claude Nekim a été condamné une
première fois pour « diffamation » à un an de prison avec sursis,
une amende de 1 500 euros et trois mois de suspension de
parution de N’Djamena Bi-Hebdo (dont il est le directeur de
publication) d’avoir publié un extrait de la pétition de syndicalistes
dénonçant l’attitude ubuesque du pouvoir qui refuse d’honorer
l’accord de revalorisation des salaires conclue avec l’UST en 2011 ;
il est ensuite condamné pour outrage à magistrat pour la
publication d’une caricature du procès. Le sommet de cette
« justice » ubuesque a été atteint quand Gustave Mbailao, un
travailleur présent dans la salle pendant l’audience du
18 septembre, a été condamné séance tenante à trois mois de
prison ferme pour outrage à magistrat en laissant éclater son
sourire à l’annonce du verdict.

Mais au-delà de la revendication salariale, c’est bien la destination
de la manne pétrolière qui est en jeu. Dans ce pays exportateur
de pétrole depuis 2003, la production de 120 000 barils par
jour a rapporté 3 000 milliards de francs CFA (4,5 milliards
d’euros) entre 2004 et 2011, selon le ministre tchadien des
Infrastructures, Adoum Younoussmi. [Source : Francetv.fr du
31 mai 2012]… sans que la population n’en voie la couleur : le
Tchad restait, fin 2011, classé au 183e rang sur 187 pays, selon
l’indice de développement humain.

Le Tchad et les Tchadiens contre Déby

« Le cercle clanique des prédateurs des deniers publics gère
l’État et les biens publics comme leurs propriétés privées »,
expose l’opposant Djimadoum Ley-Ngardigal, secrétaire général
de l’Action tchadienne pour l’unité et le socialisme (Actus).

Deux décennies après le putsch militaire du 1er décembre 1990
et sept ans après son putsch constitutionnel de 2005
supprimant la limitation des mandats, ouvrant donc la voie à
une présidence à vie, le pouvoir tyrannique de Déby accentue
sa répression contre la presse et les leaders syndicaux. Il n’a
non seulement tenu aucune de ses promesses, mais a aggravé
la situation du Tchad et des Tchadiens, dans les domaines
vitaux des droits de l’Homme, de la sécurité des personnes, de
la gestion des ressources nationales, de la santé, l’éducation et
la transparence électorale. Ce système tyrannique est
comptable :

 des assassinats de militants des droits de l’Homme,
de journalistes et de responsables de partis politiques,
dont les cas emblématiques de Me Joseph Behidi et du
Pr. Ibni Oumar Mahamat Saleh ;
 du pillage compulsif de la manne pétrolière au profit
d’une minorité, sous couvert de dépenses d’infrastructures,
alors que la masse des citoyens voit ses conditions de vie
et de travail se détériorer de jour en jour ;
 de l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire pour
réprimer les mouvements syndicaux dans leurs justes
revendications, les journalistes indépendants et les
députés de l’opposition (à l’exemple des procédures contre
les députés Pierre Gali Ngothé et Saleh Kebzabo) ;
 d’ingérences militaires dans les pays de la région,
avec des effets humanitaires catastrophiques, notamment
au Soudan (Darfour) et en RCA ;
 d’une confiscation clientéliste du pouvoir par la
terreur armée et par l’achat des consciences ;
 du refus d’entamer un vrai dialogue avec les autres
composantes nationales etc.

La reprise, appelée par les syndicats, de la grève illimitée le
17 octobre affole visiblement le pouvoir tchadien au point que,
une semaine plus tôt, il expulse un religieux italien qui, dans
son homélie, a tenu des propos critiques sur la gestion des
ressources pétrolières dans ce pays et pris position en faveur
d’une plus grande justice sociale. L’exacerbation de la crise
sociale actuelle atteste du discrédit qui frappe le régime Déby,
d’une part, et d’une volonté des travailleurs et de la population
à ne rien lâcher et à faire aboutir leurs luttes, d’autre part.
Le soutien militaire, financier et politique de la France à ce
régime doit maintenant cesser sans conditions, puisque le
candidat s’est engagé à rompre avec les « miasmes de la
Françafrique » et à soutenir les aspirations démocratiques des
peuples d’Afrique.

Pierre Sidy