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OÙ VA DJIBOUTI ?

D 21 juin 2016     H 05:07     A     C 0 messages


Va-t-on vers un scénario similaire à celui de la Somalie, du Burundi ou du Sud Soudan ? Sur ce petit territoire, trois acteurs se font face : les bases militaires étrangères, le régime et la population djiboutienne. Qu’en est-il de l’opposition ?

Géopolitique de Djibouti

Malgré les fragilités de l’entité djiboutienne qui se rapproche de plus en plus des « Etats effondrés », les acteurs internationaux s’adaptent face à ces facteurs d’instabilités. Djibouti est considérée comme une plaque tournante logistique pour les puissances navales et militaires du monde et la passerelle commerciale de l’Ethiopie. Les militaires étrangers à Djibouti sont censés jouer un rôle central dans les efforts internationaux pour lutter contre le piratage, protéger la navigation et lutter contre la violence islamiste dans la région.

L’Europe, comme la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, le Japon ou la Russie ont envoyé des navires dans la zone pour protéger leurs navires marchands. Tout cela dépasse bien sûr la lutte contre les pirateries et participe aussi à une lutte stratégique entre différentes puissances pour le contrôle des voies maritimes, notamment celles qui vont du détroit de Bab el Mandeb à celui de Malacca. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’installation d’une base militaire chinoise à Djibouti, qui répond à un double impératif de sécurisation des voies maritimes d’approvisionnement, et de rapprochement de zones productrices en hydrocarbures. D’ores et déjà on observe du mécontentement de la part des pays occidentaux et l’inquiétude de l’Inde.

Le conflit au Yémen et l’islamisme conquérant et vivace en Somalie, donnent encore un peu plus d’importance à la place de Djibouti, qui condense toutes les tensions et toutes les dynamiques à l’œuvre sur l’ensemble de la Corne d’Afrique.

Un contexte social, économique et politique mouvementé

Les retombées des bases militaires française, américaine, japonaise et chinoise n’engraissent que le dictateur Ismaïl Omar Guelleh, sa famille et quelques rares fidèles,
alors que 85 % de la population connaissent une extrême pauvreté. La situation sociale
est explosive. Dans plusieurs quartiers de la capitale, les gens ne mangent pas à leur faim et les habitants des zones rurales sont durement affectés par la sécheresse et par
les restrictions alimentaires imposées par le pouvoir. Il s’agit de les punir de leur proximité avec le Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (FRUD). Le Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM) s’est même vu interdire la distribution de vivres à certains endroits : là où manifestants et résistants se recrutent principalement dans les quartiers pauvres (Balbala, Arhiba) et dans les régions victimes de la violence d’Etat.

Les habitants de la région littorale de l’Obock sont en colère contre le pillage des poissons par les bateaux chinois et les gros commerçants somaliens sponsorisés par le président djiboutien. Ils dénoncent également le refus de construction des dispensaires à Lahassa (financement japonais) et à Waddi (financé par les américains). C’est ce genre de situation qui a conduit à l’émergence des pirates sur les côtes somaliennes.

L’élection du 8 avril 2016 :une tartufferie

Le jeu était truqué d’avance, le score consigné et le nom du vainqueur connu trois mois
avant le scrutin ! Tout a été programmé dès janvier 2016. Des hauts fonctionnaires, sous
la direction du chef de la sécurité, ont appliqué les décisions prises en août à Addis Abeba lors de la réunion de cadres issus du clan Mamasans sous le patronage du chef de l’Etat. L’élection qui s’est déroulé le 8 avril s’apparente à une mascarade. Un score de 87 % pour le dictateur Guelleh et le reste a été partagé par cinq autres candidats.

Rien
n’a été laissé au hasard, les militaires ont bourré les urnes, aidés par des milliers de réfugiés, les forces de l’ordre ont écarté des bureaux de vote les délégués de l’opposition. Une fois de plus, les observateurs de l’Union africaine (UA) et de la ligue arabe ont validé les résultats.

Les civils pris pour cibles

Le régime en butte aux activités du FRUD et à l’hostilité de l’Union pour le salut national
(USN), coalition de l’opposition, décide de punir les populations civiles qu’il soupçonne de sympathiser avec l’opposition : arrestations des familles de membres du FRUD (une soixantaine au dernier trimestre 2015), massacre le 21 décembre dans le quartier de Buldhuqo (27 personnes tuées et 150 blessés selon la FIDH). Ce même jour, la direction de l’USN a été attaquée par des policiers, plusieurs dirigeants ont été blessés dont le président, et son secrétaire général Abdourahman Mohamed Guelleh emprisonné. Mohamed Ahmed dit Jabha, quant à lui reste arbitrairement détenu depuis six ans après avoir été férocement torturé.Femmes solidaires et le Comité des femmes djiboutiennes ont lancé un appel pour la protection des femmes de l’ethnie Afar, victimes de viols principalement par les forces armées. Il faut saluer à cet égard les dix femmes djiboutiennes courageuses qui ont fait une grève de la faim en France du 25 mars au 12 avril pour dénoncer ces viols et l’impunité des violeurs.

L’incroyable désinvolture avec laquelle le chef de l’Etat aborde les crises que traverse son pays et le mépris qu’il affiche avec un score grotesque de 87 % donne une responsabilité particulière à l’opposition. Elle doit faire preuve de davantage de responsabilité et prendre toute sa place pour le destin du pays. L’USN a su se rassembler pour les élections législatives en 2013, suscitant un espoir. Elle s’est malheureusement divisée à l’occasion de l’élection présidentielle. Les clivages portent plutôt sur le choc des ambitions personnelles que sur le programme.

Toute la question est de savoir si l’opposition sera capable d’un sursaut et d’exorciser les démons de la division. Le FRUD a lancé un appel à un large rassemblement des forces démocratiques pour des états généraux de l’opposition, appel relayé par d’éminentes personnalités.« Le succès n’est pas définitif, l’échec n’est pas fatal... C’est le courage de continuer qui compte » disait Churchill.

Mohamed Khadamy

Président du FRUD - Front
pour la restauration
de l’unité et la démocratie

Source : http://international.pcf.fr/sites/default/files/lri_juin16_vf.pdf