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Soudan : après les élections, avant la prochaine guerre

D 30 juillet 2010     H 09:34     A Bertold de Ryon     C 0 messages


Tous les régimes du continent africain n’ont pas autant de la
chance, ou plutôt des amis aussi puissants, que la dictature
togolaise. Si cette dernière a pu faire « valider » les
élections du 4 mars dernier – quoique entachées de fraudes
massives – par la France notamment, le pouvoir soudanais n’a
pas réussi à trouver des juges pareillement cléments.

Le Soudan, pays d’Afrique de l’est d’environ 40 millions
d’habitant-e-s, a tenu des élections présidentielles et législatives,
ses premières élections prétendument pluralistes depuis 1986, les
11 et 15 avril 2010. Les résultats définitifs n’ont été rendus
publics que deux semaines plus tard. Selon les chiffres officiels,
ils acteraient la réélection du président Omar el-Béchir (au
pouvoir depuis 1989) avec 68 % des voix exprimées. Ces chiffres
apparaissent peu crédibles, et les forces d’opposition soudanaises
avaient en partie boycotté le scrutin – en évoquant son caractère
manipulé – ou s’étaient retirées au cours du déroulement des
opérations électorales.

A la fin avril, l’Union européenne déclara que les élections
soudanaises n’étaient pas conformes « aux exigences
internationales ». Plus tard, le 11mai, la « Fondation Carter »
états-unienne, qui s’occupe de la diffusion du modèle
démocratique-parlementaire dans le monde, lui a emboîté le pas.
Dans sa déclaration du 11 mai, la fondation états-unienne parle
d’un scrutin « hautement désorganisé », « pas transparent » et
soulevant « des sérieux doutes ». Ces critiques sont a priori
corroborées par des faits. Une vidéo, publiée sur Youtube,
montrerait des hommes en train de procéder à un bourrage des
urnes en « live » à l’Ouest du Soudan. Cependant, la prompte
réaction des grandes puissances occidentales soulève néanmoins
quelques questions, vue l’absence de réaction - au moins au
niveau européen, puisque les Etats-Unis ont ici montré davantage
de distances – vis-à-vis des élections truquées au Togo.
Le Soudan est un pays riche en pétrole et qui occupe une
position stratégique entre le monde arabe et l’Afrique centrale
ainsi que l’Afrique de l’Est. Il est devenu depuis plusieurs années
un champ de bataille entre les grandes puissances. Le jeu de ces
dernières s’appuie, cependant, sur des violences extrêmes qui se
sont déroulées à l’intérieur, sur fond d’opposition entre groupes
de populations nomades-pasteurs d’un côté et sédentaires-
Politique, économie et société agriculteurs de l’autre côté, dans un contexte de crise écologique, (raréfaction de l’eau et d’avancée du désert), mais aussi sur fond
de conflits ethnicisés entre un Nord à dominante arabemusulmane
et un Sud peuplé par des Noir-e-s chrétien-ne-s ou
animistes.

Pour schématiser, c’est la Chine qui livre l’appui le plus
inconditionnel au régime en place à Khartoum, depuis plusieurs
années. Face à elle, ce sont les Etats-Unis qui – jusqu’à
récemment en tous cas – ont fait preuve (au moins verbalement)
de la position la plus dure, accusant le régime soudanais sans
détour de commettre un « génocide » au Darfour. Or, s’il y a eu
réellement d’effroyables massacres (300.000 mort-e-s et 2,7
millions de réfugié-e-s intérieur-e-s), au cours desquels le régime
appuya certains groupes de population – plutôt nomades – contre
d’autres groupes plutôt agriculteurs, il n’y a pas eu à proprement
parler un génocide comme celui du Rwanda en 1994. L’accusation
très lourde de « génocide » devait, cependant, permettre aux
USA sous l’administration Bush de regagner l’offensive morale
contre les critiques de sa politique en Irak ou vis-à-vis d’Israël, en
faisant de la surenchère au niveau du discours. Aussi l’accusation
extrême de « génocide » vis-à-vis du régime militaro-islamisant
au Soudan devait-elle permettre à l’administration Bush de
s’adresser aux Noir-e-s des Etats-Unis, de mobiliser les lobbys
chrétiens et pro-israéliens.

Au fond du conflit entre la Chine et les USA se trouve, bien
entendu, la course pour le contrôle des richesses de la région. Le
radicalisme verbal des Etats-Unis de Bush à l’encontre du régime
soudanais, en politique intérieure et dans les instances
internationales, n’était cependant pas accompagné d’une
offensive réelle contre lui. Cependant, il appuyait l’implantation
des Etats-Unis dans d’autres pays de la région, pour « encercler »
le Soudan (Ouganda/Rwanda, Ethiopie et autres).
La France, elle, tente depuis plusieurs années de se maintenir
au milieu entre les deux positions extrêmes de Pékin et de
Washington. Paris a longtemps eu de bons contacts avec le
régime militaire, ce qui aura permis au ministre de l’Intérieur de
l’époque – Charles Pasqua – de « récupérer », en 1994, le
terroriste international Carlos qui s’était réfugié au Soudan. Total
et des entreprises de bâtiment françaises étaient alors bien
placées au Soudan. Aujourd’hui, la France, dont les positions
stratégiques sont surtout situées au Tchad voisin, tente de
ramener le régime soudanais sur une ligne qui contribue à la
« stabilité » du Tchad – au lieu d’armer des groupes rebelles
contre la dictature d’Idriss Déby – et qui le ramène à une
« coopération » avec la Cour pénale internationale (CPI).
Cette dernière a émis, en 2009, un mandat d’arrêt contre
Omar el-Béchir, notamment pour des crimes commis au Darfour,
déclenchant des protestations dans des pays africains et arabes.
Ces derniers invoquaient – a priori à juste titre – l’unilatéralisme
de la Cour qui n’a jusqu’à ce jour inculpé que des criminels
africains, mais encore aucun chef d’Etat occidental, pour (parfois)
aller imprudemment jusqu’à une quasi-défense du chef de l’Etat
soudanais. Néanmoins, au jour d’aujourd’hui, la décision
spectaculaire de la CPI contre le président soudanais a été suivi
de peu d’effets, et ce dernier se déplace librement dans la région.
C’est en 2011 qu’est censé avoir lieu le référendum sur la
question de l’indépendance au Sud-Soudan, promesse contenue
dans l’accord d’armistice conclu en 2003 entre le régime et les
rebelles de l’Armée de libération du Sud-Soudan (SPLA). Si jamais
la revendication de l’indépendance aboutissait, cela priverait le
régime soudanais de plus de 90 % de ses ressources pétrolières.
Autrement dit, il faut s’attendre qu’il n’acceptera jamais un tel
résultat. Il faudra donc s’attendra à des nouveaux affrontements
guerriers dans la région, à partir de l’année prochaine.

Berthold de Ryon