Vous êtes ici : Accueil » Afrique de l’Ouest » La corruption appauvrit les sociétés de l’Afrique de l’Ouest

La corruption appauvrit les sociétés de l’Afrique de l’Ouest

D 15 janvier 2014     H 05:52     A IRIN     C 0 messages


Dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, qui affichent déjà des indicateurs de développement alarmants, la corruption généralisée gangrène des services publics de piètre qualité. D’après les observateurs, les pots-de-vin menacent la bonne gouvernance et font sombrer de plus en plus de gens dans la pauvreté.

« Pour mettre un visage sur la corruption. prenez des enfants qui marchent des kilomètres pour se rendre à l’école, car il n’y a pas de transports publics », a déclaré Harold Aidoo, directeur exécutif de l’Institut pour la recherche et le développement démocratique (IREDD) à Monrovia, la capitale du Liberia.

« Vous avez des femmes et des mères qui meurent en accouchant, car il n’y a pas de médicaments, ni d’équipements de première nécessité dans les hôpitaux, pas plus que de professionnels de santé qualifiés. Vous constatez que beaucoup de populations pauvres n’ont pas accès à l’eau potable », a-t-il dit.

Par rapport aux années précédentes, le nombre de pays d’Afrique de l’Ouest considérés comme extrêmement corrompus a augmenté en 2013, à cause de l’instabilité politique présente dans des pays comme le Mali, la Guinée et la Guinée-Bissau. C’est ce que révèle l’Indice de perception de la corruption (IPC) de l’organe de surveillance mondiale, Transparency International.

Les pots-de-vin, les élections truquées, les transactions douteuses avec des firmes multinationales intervenant dans le secteur des ressources naturelles, ainsi que les transferts de fonds illégaux vers l’étranger, font partie des formes de corruption les plus répandues.

La région concentre 11 pour cent de la population mondiale, mais représente 24 pour cent de la charge mondiale de morbidité. Elle est aussi fortement touchée par le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme. D’après l’institution d’aide au développement, la Société financière internationale (IFC), la région manque pourtant de ressources nécessaires, y compris pour dispenser des services de santé de base.

Près de la moitié des décès d’enfants de moins de cinq ans dans le monde ont lieu en Afrique. Le continent affiche aussi le taux de mortalité maternelle (TMM) le plus élevé, d’après les organisations.

Les parents doivent parfois verser des pots-de-vin pour que leurs enfants puissent suivre leur scolarité dans de bonnes écoles, a expliqué Pierre Lapaque, représentant de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) pour l’Afrique de l’Ouest et du centre.

« Il est évident que la corruption porte directement atteinte au développement durable en Afrique de l’Ouest, comme il est évident qu’elle touche principalement les couches de la société les plus pauvres et les plus démunies. »

Transferts de fonds illégaux

Pas moins de 1 300 milliards de dollars sont sortis illégalement d’Afrique au cours des trente dernières années, d’après un rapport de Global Financial Integrity (GFI), une organisation de défense des droits située à Washington qui surveille les flux financiers illégaux.

L’industrie pétrolière du Nigeria est gangrénée par des accusations de corruption, ce qui créé des tensions avec les populations autochtones qui ont porté plainte pour négligence et se sont rebellées dans les régions productrices de pétrole, au sud du pays. Selon un rapport préliminaire publié en mai 2013 par l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) du Liberia, presque tous les contrats d’extraction signés depuis 2009 enfreignent la réglementation.

« Sur le plan économique, quand des millions de dollars disparaissent chaque année à cause de la corruption, les effets sur la société sont dévastateurs », a déclaré M. Aidoo. « C’est particulièrement destructeur en termes de croissance, de développement et de bien-être pour notre population. »

Corruption politique

Beaucoup de campagnes politiques en Afrique sont entachées d’irrégularité et de fraudes. « Les élections sont exposées à la corruption, non seulement par le biais des fraudes électorales ou du contrôle des fraudes, mais aussi dans la façon dont nos élites politiques s’accrochent au pouvoir », a déclaré Tendai Murisa, directeur d’un programme sur le développement agricole durable et les flux financiers à TrustAfrica.

« La corruption permet de perpétuer le régime et une de leurs méthodes pour y arriver consiste à acheter des voix, ce qui nuit vraiment à la qualité de la démocratie », a déclaré M. Murisa. Il a souligné qu’un gouvernement considéré comme corrompu ne jouissait pas de la confiance des gens, souvent réduits au silence ou ignorés lorsqu’ils dénoncent la corruption.

Comme les pauvres ont davantage besoin des services publics, ils consacrent un plus grand pourcentage de leurs revenus au versement de pots-de-vin aux fonctionnaires, y compris aux directeurs d’école. La corruption aggrave la pauvreté des plus vulnérables. Au Sierra Leone, 69 pour cent des gens pensent que la police est corrompue et ce chiffre atteint 78 pour cent au Nigeria, d’après M. Lapaque de l’ONUDC.

Lutte difficile contre la corruption

Malgré des efforts pour améliorer la transparence et la reddition de comptes sur l’ensemble du continent, la lutte contre la corruption en Afrique subsaharienne régresse depuis dix ans, selon les Indicateurs mondiaux de gouvernance (WGI) de 2013 développés par la Banque mondiale. À l’exception de l’Afrique du Sud et du Botswana, l’Afrique subsaharienne a affiché le plus faible pourcentage mondial de contrôle de la corruption.

« Si le recrutement de fonctionnaires au sein des services [publics] d’un pays est axé sur le népotisme ou la corruption, au lieu d’être axé sur le mérite et les compétences, cela créé de graves problèmes », a déclaré M. Lapaque. « Non seulement il y a moins de postes disponibles pour ceux qui le méritent, mais cela compromet la règle de droit et entrave la croissance économique. »

Une mauvaise gouvernance porte souvent atteinte aux services de sécurité, ce qui peut conduire à une augmentation du crime organisé local et transnational, le trafic d’armes et de drogues notamment. Cela porte aussi atteinte aux droits de l’homme. « Notre gouvernement échoue très souvent à préserver nos ressources, provoquant ainsi des fuites économiques à l’intérieur et à l’extérieur de notre économie », a déclaré M. Murisa.

Stratégies

Pour combattre la corruption, les gouvernements doivent d’abord reconnaître qu’il y a un réel problème. « Ils doivent faire en sorte que les structures nationales chargées de lutter contre la corruption disposent de moyens suffisants et que le personnel ait la possibilité de travailler de manière indépendante, sans interférence politique », a affirmé Marie-Ange Kalenga, coordinatrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest à Transparency International.

« Ils doivent aussi garantir l’existence d’un cadre juridique adapté, conforme aux instruments régionaux et internationaux de lutte contre la corruption. Ils doivent également sensibiliser les citoyens ordinaires à la lutte contre la corruption et promouvoir l’intégrité au niveau individuel », a-t-elle expliqué.

Pour M. Lapaque, cela pourrait passer par la création d’une entité anticorruption indépendante ou la garantie d’une indépendance des juges et des procureurs vis-à-vis des politiques. Les organisations de la société civile et les ONG (organisations non gouvernementales) pourraient contribuer à l’élaboration de codes de conduite et à la promotion de l’intégrité. Elles pourraient également prôner l’adoption d’une législation adaptée et aider à former des organismes anticorruption, a ajouté Mme Kalenga.

Il faut donner aux citoyens la possibilité de dénoncer la corruption et d’obtenir réparation s’ils en sont victimes. Cela pourrait aussi être bénéfique, tout comme la mise en place de budgets transparents et la participation des citoyens au choix des dépenses publiques, a indiqué M. Lapaque.

« La transparence est un facteur important pour construire des gouvernements démocratiques qui rendent des comptes à leurs citoyens », a déclaré Tom Cardamone, directeur général de GFI. « Je pense que c’est ce dont nous avons besoin pour arrêter les flux financiers illégaux et mettre fin à la corruption. »

« Si nous récupérions juste 50 pour cent de ce que nous perdons actuellement à cause de la corruption, cela pourrait se traduire par une amélioration du système éducatif ou du réseau routier. Nous pourrions garantir le retour de nos enfants à l’école, le maintien des systèmes de sécurité sociale, ainsi que le fonctionnement correct des systèmes de prestation des soins de santé », a déclaré M. Murisa.

Source : http://www.irinnews.org