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Au Burkina Faso, le peuple a cessé d’avoir peur

D 29 mai 2011     H 05:02     A Pierre Sidy     C 0 messages


Le Burkina-Faso est plus qu’en effervescence depuis février
sans que les grands tambours occidentaux que sont les
grands canaux de la désinformation mondiale n’en soufflent
grand mot : ceux-ci, on le sait, savent se taire ou mentir sur les
causes réelles et les vrais acteurs de contestations populaires que
l’on cherche à désarmer par ailleurs. En ce « Pays des hommes
intègres », particulièrement, les mécontentements se sont
accumulés au fil des ans jusqu’à ce que, événement déclencheur,
le 20 février à Koudougou dans le Centre-Ouest, le décès dans les
locaux de la police d’un jeune manifestant, l’élève Justin Zongo, a
mis le feu aux poudres. Depuis, dans cette troisième ville du
pays, la jeunesse est dans un état de révolte électrique :
confrontée à la violence de la répression policière qui a fait de
nombreux tués par balles dans ses rangs, elle a saccagé et mis le
feu au siège du gouvernorat de la province. Sur place, les
autorités locales s’employaient à calmer l’inacceptable, par des
mensonges (la mort de Justin Zongo causée par une
« méningite » !) et des omissions de responsabilités quant aux
brutalités du régime Compaoré. Le bilan s’est alourdi : d’autres
morts, en plus d’au moins une centaine de blessés dont certains
dans un état grave. La révolte a vite fait tache d’huile. Elle s’est
étendue à Ouagadougou, la capitale, puis à d’autres villes comme
Poa, Ouahigouya etc.

Blaise dégage !

Au-delà de tels symptômes éruptifs, la raison profonde de cette
contestation de la jeunesse est évidente : depuis 1987, année du
putsch de Compaoré, de l’assassinat de Thomas Sankara et de
l’inversion réactionnaire du processus révolutionnaire décapité à
gauche de la façon la plus sanglante et crapuleuse, le régime usé
jusqu’à l’os par l’incurie, la corruption et toute une série de
brutalités sans nom, de morts d’opposants non élucidées etc. se
maintient malgré tout, grâce à la politique du bâton et de la
carotte. Sa caporalisation de l’état à son profit confirmait la vraie
nature de ce régime qui affame la population et réprime sa
jeunesse, s’est fait réélire depuis 1991 quatre fois à la soviétique
lors de scrutins contestés par ses opposants : 24 ans d’un régime
de tyrannie redoutablement efficace et missionné à défendre les
intérêts stratégiques néocoloniaux français en Afrique de l’Ouest
jusqu’à l’obsolescence de son pouvoir.

Dans ce contexte, les frustrations de la jeunesse et le délitement
social généralisé se sont dangereusement cristallisés en
confrontations coordonnées aux symboles du régime : ainsi, la
mutinerie de la garde présidentielle le 14 avril puis, dans la
foulée, d’autres camps militaires à Kaya, Pô, Tekodogo etc. a
impliqué une riposte tout aussi violente des commerçants furieux
de leur pillage par les soldats mutins : enfin les manifestants de
divers secteurs coalisés se sont retrouvés à incendier le siège du
parti au pouvoir – le CDP ou Congrès pour la démocratie et le
progrès – et le gouvernorat et la mairie de Ouagadougou etc. En
réponse, Compaoré instaure un couvre-feu sur la capitale, se
replie sur sa ville natale, dissout le gouvernement et limoge des
chefs de l’armée. Le 27 avril, les policiers se mutinent à leur tour
et jusqu’à maintenant les scolaires, étudiants et l’ensemble de la
jeunesse amplifient leur mouvement.

Ces mobilisations avancent chacune des revendications très
différentes : les scolaires et étudiants manifestent contre les
violences policières après la mort de plusieurs d’entre eux, les
syndicats s’activent contre la vie chère, les soldats de la garde
présidentielle ont réclamé leur indemnité de logement. L’actuel
mouvement social burkinabè rassemble en fait la quasi-totalité
des couches de la population : jeunes, élèves et étudiants,
personnels de santé, magistrats, producteurs de coton,
commerçants, militaires et maintenant policiers etc. contre la vie
chère, l’impunité, la corruption et l’affairisme clanique prédateur
que Compaoré a institués en système, contre le chômage et la
précarité de masse. L’intensification de la répression et la
fermeture des écoles ou des universités sont une provocation
face à une jeunesse et à une population aspirant à l’accès aux
soins de santé, à l’alimentation et à l’eau potable, à un système
éducatif et scolaire viable, à l’habitat décent et aux services
publics de qualité etc.

Excellente nouvelle encore : l’opposition politique, depuis
février, semble réussir à être en vraie phase avec le mouvement
social actuel et cela s’est confirmé le 30 avril dernier à la grande
manifestation qu’elle a appelée à Ouagadougou « pour le départ
de Blaise Compaoré »… Blaise Compaoré qui est visiblement LE
problème du Burkina… Mais, après ces trois mois d’effervescence,
il est clair que, au moins, les Burkinabè n’ont plus peur ! La lutte
continue !

Pierre Sidy