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Burkina Faso : Jeanny Lorgeoux se fait remarquer à Ouagadougou, ou le retour d’un dinosaure de la françafrique

D 12 février 2014     H 05:50     A Bruno Jaffré     C 0 messages


Monsieur Jeanny LORGEOUX, Sénateur, Maire de Romoratin-Lanthenay (France) a été reçu le 3 février 2014, en audience, par Blaise COMPAORE, le président du Burkina Faso. Curieusement officiel de la Présidence ne fait pas référence au contenu des discussions. Il est bien question du rapport qu’il a écrit avec Jean Marie Bockel intitulé L’Afrique est notre avenirsur les relations entre la France et l’Afrique, mais le communiqué précise que ce rapport avait déjà été présenté lors du sommet de l’Elysée en décembre 2013.

De quoi donc a-t-il alors été question

Le communiqué ajoute : « Ami de longue date du Burkina Faso, Monsieur LORGEOUX a exprimé sa satisfaction « de constater que sous la conduite du Président Blaise COMPAORE, la France et le Burkina Faso, après tant de chemins parcourus, aient de bonnes relations », et plus loin M. LORGEOUX a par ailleurs affirmé qu’on « ne construit pas le progrès dans un pays sans effort, sans durée, sans longévité et l’honneur revient aux politiques de tracer le chemin, de tracer l’objectif ; cela demande de la vision, de l’effort, du sang froid et le Président Blaise COMPAORE possède ces qualités ». Enfin, « Interrogé sur la mise en place du Sénat au Burkina Faso, Jeanny LORGEOUX dit sans ambages qu’en tant que Sénateur, et avec son expérience, il y est favorable : « le Sénat qui représente les forces théoriques de la Nation, le territoire, les traditions, les forces vives, les forces consulaires, les forces économiques, doit être un élément de contrepoids dans la structure bicamériste du pouvoir ».

En pleine crise politique, ces allusions au bienfait de la longévité au pouvoir de Blaise Compaoré, et à la mise place du Sénat, ont bien sur été remarquées par la presse burkinabè.

Et pour cause ! Blaise Compaoré n’a jamais eu à affronter une crise politique aussi grave. A tel point que nous disions ici que le sol se dérobait sous les pieds de Blaise Compaoré (voir http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre/150114/au-burkina-de-nouvelles-manifestations-sont-annoncees-le-18-janvier-tandis-que-le-sol-semble-se-de )

Nous seulement l’opposition politique a organisé de manifestations historiques, rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes, contre justement la mise en place du sénat mais aussi contre les tentatives du pouvoir de modifier l’article 37 de la constitution qui permettrait ainsi à Blaise Compaoré de se représenter en 2015 (soit 28 ans après son arrivée au pouvoir). Mais en plus des militants historiques du parti au pouvoir le CDP, dont un moment son conseiller le plus proche, Salif Diallo, mais aussi un ancien président du parti et de l’assemblée national M. Roch Marc Christian Kaboré, ainsi que l’ancien maire de Ouagadougou, M. Simon Compaoré, lui ancien vice président du parti, viennent de démissionner de ce parti, entrainant d’autres démissions par centaines. Ils s’opposent eux aussi à la modification de la constitution et la mise en place du sénat, et viennent de créer un nouveau parti et semblent être sur le point de rejoindre l’opposition puisqu’ils ont participé aux dernière manifestations du 18 janvier.

Des dirigeants socialistes qui font allégeance à Blaise Compaoré, une pratique ancienne

Longtemps, Guy Penne, ancien conseiller Afrique de l’Elysée sous Mitterrand, avant de laisser sa place à Jean Christophe Mitterrand, puis sénateur des français de l’étranger, s’était chargé de promouvoir l’image de Blaise Compaoré en France. Une tâcheil faut le reconnaitre bien difficile, car le qualificatif d’ « assassin de Thomas Sankara », dont la popularité est au plus haut, semble devoir le poursuivre partout.

Et ça a été très loin, puisque au cours d’une réunion de l’AFBF, qu’il avait créé avec d’anciens ministres de la coopération centristes ou de droite, dont des personnalités connues pour avoir fait partie des réseaux Foccart, fut lancée l’idée du prix Nobel de la paix pour Blaise Compaoré ! Un comble pour quelqu’un notoirement impliqué dans les effroyables guerres du Libéria et de Sierra Leone, dans des trafics au profit de l’UNITA de Jonas Savimbi, et d’autres déstabilisations de la région, notamment en Côte d’Ivoire. Nommé médiateur dans le conflit du Mali, iI est par ailleurs est très mal accepté du côté malien pour son soutien à peine voilé au MNLA.

Guy Penne disparu, les déclarations d’allégeance ont finalement continué. Ségolène Royale était déjà venue à la rescousse de Blaise Compaoré en 2011, alors que le Burkina sortait à peine de 3 mois de chaos ; émeutes de la jeunesse à travers tout le pays après la mort de plusieurs collégiens et mutineries de militaires et de gendarmes dans de nombreuses garnisons. Elle avait alors déclaré : « Le Burkina peut compter sur moi dans sa volonté de redorer son image à l’étranger. Nous avons d’ailleurs été remerciés pour avoir maintenu la tenue de l’assemblée générale de l’AIRF à Ouagadougou parce que les gens croyaient qu’on l’aurait annulée ou délocalisée à cause des troubles sociopolitiques que le Burkina a connus. J’ai absolument refusé d’annuler la rencontre sous prétexte qu’il y avait eu des problèmes qui, du reste, avaient été surmontés. Par cette réunion internationale, le Burkina a pu profiter de cette tribune très positive pour redorer son image. » Au moins c’est clair. » (voir http://motione.over-blog.com/article-au-burkina-faso-segolene-royal-preside-l-assemblee-de-l-airf-s-entretient-avec-le-president-compao-90243358.html).

Plus récemment le 5 juin 2013, Blaise Compaoré était auditionné devant la commission des affaires étrangères. Il fut applaudi. La présidente de la commission, Elisabeth Guigou avait alors déclaré « Ces applaudissements, qui ne sont pas systématiques dans notre Commission, témoignent de notre gratitude pour le rôle que vous jouez et pour la vision que vous avez du développement de votre pays et du continent africain » (voir http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cafe/12-13/c1213069.asp#P9_154)

Mais qui est Jeanny Lorgeoux ?

Bien que la page wikipédia, qui lui est consacré, n’en fasse pas état, Jeanny Lorgeoux a accumulé, en réalité, un long passé françafricain. Ainsi, dans un article de Libération du 23 décembre 2000, (voir http://www.liberation.fr/evenement/2000/12/23/papamadit-vrp-africain-du-president_348897 ) consacré à l’incarcération de Jean Christophe Mitterrand, il affirme « être tombé des nues en apprenant la nouvelle ». Il est qualifié dans l’article comme « l’un des meilleurs amis de Jean-Christophe Mitterrand… qui a arpenté l’Afrique pendant dix ans aux côtés de « Papamadit ».

Dans un compte rendu de l’ouvrage Ces messieurs Afrique, le paris village du continent noir (Calmann-Lévy, 320 pages 1992) d’Antoine Glaser et Stephen Smith publié dans l’expansion, on peut lire : « En Afrique, ils sont une poignée - hommes d’Etat, d’affaires ou de presse - à tenir le pré carré français. Alors que les investisseurs fuient, que les régimes dictatoriaux se fissurent et que la tutelle néocoloniale s’affaiblit, eux ont choisi de rester - par fidélité ou par intérêt. Certains sont connus du grand public, mais généralement pas sous leur jour africain, comme Vincent Bolloré, Jacques Vergès, Martin Bouygues ou Hervé Bourges. D’autres sont plus secrets mais tout aussi influents, tels Jean-Pierre Prouteau (CNPF), Jean-Yves Ollivier (RPR), ou Jeanny Lorgeoux (député PS) » (voir http://lexpansion.lexpress.fr/economie/l-afrique-a-toujours-ses-parrains-francais_287.html#c9d9TUIO7MtsVhyB.99). Un livre écrit il y a 22 ans !

Et dans l’ouvrage lui-même : « Bien sûr, il y a les amitiés particulières entre un Jean-Christophe Mitterrand et un Mokolo, Wa Mpombo, éminence grise des services de sécurité de Mobutu, entre le député Jeanny Lorgeoux et le même Mokolo, entre le général J. Lacaze ( imposé durant la cohabitation), Les hauts gradés de l’armée zaïroise et le président zaïrois » (cité dans la revue politique africaine N°58, p.57 voir http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/058054.pdf)

Les journaux burkinabè ont souvent présenté Jeanny Lorgeoux comme un conseiller, voir un proche de François Hollande. Conseiller ou, si de tels personnages, restent au premier plan de la diplomatie française dans le cadre des relations entre la France et l’Afrique, inutile de clamer à tout va qu’il en est fini de la Françafrique d’autant. Qui peut le croire ?

Mais au delà, faut-il y voir dans les déclarations de Jeanny Lorgeoux une confiance réaffirmée de François Hollande à Blaise Compaoré ? Ce soutien est-il une initiative personnelle de Jeanny Lorgeoux ou est-il venu porteur d’un message de soutien du président français ? Voilà qui mérite quelques précisions de la part de l’Elysée, alors que le pouvoir de Blaise Compaoré vacille…

Source : http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre