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Burkina Faso : Oser franchir l’étape du politique

D 14 novembre 2014     H 16:52     A Paul Martial     C 0 messages


« Personne n’ignore par expérience que le danger inconnu est mille fois plus saisissant et plus terrible que le péril visible et matérialisé ».
Alexandre Dumas

La fuite de Blaise Compaoré, suite à la mobilisation exceptionnelle du peuple Burkinabé, a un effet positif pour toutes les populations qui sont actuellement sous le joug de dictatures et de Présidents à vie. Beaucoup se font discrets, certains annoncent leur volonté de ne plus se présenter c’est le cas de Boni Yayi au Bénin quand d’autres tentent de limiter la portée de la mobilisation populaire, voire même d’imposer une censure à la télévision publique comme c’est le cas en Guinée Equatoriale avec Teodoro Obiang Nguema.

Cette victoire populaire au « pays des hommes Intègres » est confrontée à trois problèmes dont les probabilités de risque sont différenciées.

Le risque de revanche extérieure

Dans la plus pure tradition françafricaine le gouvernement français de François Hollande a exfiltré le dictateur vers Côte d’ivoire. La France interfère donc dans les affaires internes d’un pays souverain, alors qu’aucune voie officielle ne le lui a demandé. En effet, Compaoré ayant démissionné il ne représentait plus le pays, quant au second personnage de l’Etat, le Président de l’Assemble Nationale, il est toujours inscrit aux abonnés absents. Au-delà de la question juridique cette aide de la France permet donc à Compaoré de s’affranchir d’éventuelles suites judiciaires.

Le choix de la Côte d’Ivoire, comme pays d’exil, n’est pas anodin. En effet, le gouvernement de Compaoré a été un élément actif dans la déstabilisation de Laurent Gbagbo en soutenant, en finançant et en armant la rébellion qui, une dizaine d’années plus tard, réussira à prendre le pouvoir après une élection contestable, mais entérinée par l’ONU qui donnera le feu vert à l’opération militaire de la France pour placer au pouvoir Alassane Ouattara. Il y a donc un risque, que l’on ne peut écarter, d’une déstabilisation du Burkina Faso à partir de la Côte d’Ivoire.

C’est une carte que la France détient dans son jeu et qu’elle pourrait utiliser si la trajectoire politique du Burkina Faso entrait en contradiction avec les intérêts géopolitiques des pays occidentaux.

Transition et rôle de l’armée

Après la démission de Compaoré, trois individus se sont autoproclamés Président : le chef d’état-major de l’armée, le général Honoré Nabéré Traoré, Saran Sérémé, la présidente du Parti pour le développement et le changement (PDC) et enfin le lieutenant-colonel Isaac Zida, numéro deux de la garde présidentielle, l’ossature militaire du régime. Il a eu le feu vert de Gilbert Diendéré, ancien chef d’état-major particulier de l’ex-président Compaoré, l’homme des basses besognes du régime.

Le lieutenant-colonel Isaac Zida a des contacts étroits avec l’une des organisations de la société civile qui a joué un rôle moteur dans la mobilisation le Balai citoyen, ce qui explique, notamment, que sa prise de pouvoir n’est pas perçue comme un coup d’état, mais plus ressentie comme une inquiétude persistante parmi la population.

Les débats sur la question de la transition sont traversés par deux questions importantes :

La place de l’armée qui se présente comme garante de la stabilité du Burkina Faso, élément essentiel pour la France, notamment pour son dispositif néocolonial Barkhane. Ce n’est pas un hasard si, dans sa première déclaration, le lieutenant-colonel Isaac Zida a assuré que tous les contrats internationaux seraient honorés : « Rassurons la communauté internationale sur le respect des engagements pris par l’état burkinabè »

Le second débat est la présence dans les instances de la transition, (même si au moment où ces lignes sont écrites on ne connait pas avec exactitude son architecture) des anciens du CDP,le parti présidentiel. L’idée est de ne faire aucune épuration, notamment en province, pour garder au maximum intactes les structures de l’Etat, notamment économiques.

L’objectif est de remplacer le chef de l’Etat, simplement, comme s’il s’agissait d’une alternance suite à un processus électoral classique. On change l’homme mais surtout pas le système.

L’alternative politique

Ce qui va déterminer si la victoire des Burkinabé va être, ou non, confisquée est dans la capacité à construire une alternative politique pour instaurer un véritable changement.

Ce n’est pas la première fois que les organisations militantes de la société civile, par leurs mobilisations, gagnent contre le pouvoir. On peut ainsi citer la Guinée, contre la dictature de Lansana Conté en 2008, et plus proche de nous, le Sénégal où une organisation de la société civile : « Y’en a marre », qui fut d’ailleurs une source d’inspiration explicitement revendiquée par le « Balai citoyen », organise une mobilisation contre la tentative de modifier la Constitution menée par Abdoulaye Wade pour s’assurer de la victoire et mettre son fils au pouvoir.

Si les mobilisations populaires ont empêché un tel scénario, le résultat est amer. Celui qui fut porté au pouvoir mène la même politique, voire pire parfois. En effet, au moins Abdoulaye Wade avait refusé de signer les APE, contrairement à Macky Sall.
Il est d’ailleurs en train de jouer un rôle de plus en plus important dans le dispositif de la politique africaine de la France et s’investit particulièrement dans la médiation au Burkina.

Nous sommes donc, mais ce n’est pas nouveau, dans une situation où après une mobilisation populaire exemplaire et forte, la vacance du pouvoir va profiter aux partisans de la Françafrique et du libéralisme économique.

D’autant que l’essentiel des caciques du pouvoir, emmené par Roch Marc Christian Kaboré, ont quitté le parti présidentiel il n’y a même pas un an pour fonder le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Quant au chef de l’opposition, Zéphirin Diabré, lui aussi ancien ministre du régime Compaoré, il était le Monsieur Afrique de la multinationale française AREVA, on n’atteint pas ce type de responsabilité, dans une multinationale stratégique pour la France, si on n’a pas prouvé toute sa loyauté à l’ancienne métropole coloniale.

Certes il existe des organisations politiques qui prônent, soit le changement c’est le cas pour la principale organisation sankariste UNIR PS, soit la rupture avec l’impérialisme (c’est le cas pour le PCRV, d’obédience maoïste), mais ces deux organisations restent faiblement audibles, même si elles ont une réelle activité et une implication dans les organisations de masse, comme le syndicat la CGT-B et le Mouvement Burkinabe des Droits de l’Homme et des Peuples (MBDHP) pour le PCRV.

Il y a donc trois lignes de force qui se dessinent pour que rien ne bouge. D’abord la présence de l’armée, ensuite la présence des anciens de Compaoré et enfin les dirigeants des deux principaux partis politiques de l’opposition qui sont acquis au libéralisme et à la France.

Ne pas s’autolimiter dans la défense du peuple

Une question se pose, et elle est récurrente en Afrique, mais pour le Burkina elle est urgente et décisive, c’est l’implication des organisations militantes de la société civile dans le politique.

La victoire du combat contre Compaoré ne signifie pas automatiquement la fin du régime, loin de là. Le combat doit donc se mener jusqu’au bout et maintenant il se passe dans l’arène politique. Refuser d’aller sur le champ politique équivaudrait à refuser de continuer cette bataille si bien engagée.

L’exemple de l’Etat espagnol peut être pris en considération car, indépendamment d’importantes différences entre ces deux pays, dans les deux cas des mobilisations citoyennes contre les attaques du pouvoir s’y sont déroulées. L’émergence du mouvement des indignés et leur volonté d’aller jusqu’au bout a permis de faire naître une organisation politique qui, en moins d’un an selon des sondages convergents, apparait comme la première force politique du pays devant la droite du Parti Populaire et la gauche avec le PSOE

Au Burkina Faso, il est communément admis que la transition pourrait durer une année. Cette période doit être mise à profit pour discuter et s’organiser afin que la mobilisation du peuple ne soit pas trahie par les dirigeants des partis politiques qui ont passé leur vie à servir l’ordre ancien.

La question notamment de la participation des organisations de la société civile, comme le balai citoyen, doit se poser tant pour les élections présidentielles que les législatives. Autour d’un projet politique alternatif reprenant les grandes orientations de Thomas Sankara. Il est possible de fédérer un large mouvement avec les organisations politiques et les organisations militantes de la société civile capables de porter une autre voix et de proposer, de manière crédible, une autre voie pour le Burkina.

Certes beaucoup sont réticents à s’impliquer, en tant qu’organisation de la société civile, dans le champ politique et préfèrent exercer un contrôle et une pression populaire de l’extérieur. L’histoire récente du Sénégal, mais aussi celle de la Guinée, montre les limites de cette option. En effet, les promesses non respectées, les trahisons d’un nouveau pouvoir qui ne se différencie pas, dans la pratique, de l’ancien régime, entraînent désillusions, repli sur soi et démobilisation. Les organisations militantes voient l’enthousiasme s’éteindre et leur audience fondre.

Etre présent au niveau politique c’est ouvrir la possibilité de pouvoir influer sur le cours des choses, sur la vie du pays, c’est permettre de mobiliser la population afin d’obtenir des lois et des réformes qui améliorent sensiblement leurs conditions de vie.

S’autolimiter dans la bataille pour un vrai changement au Burkina, en refusant de franchir les frontières du politique, reviendrait à laisser encore le pouvoir à ceux qui l’ont eu pendant des décennies….. avec le bilan qu’on connaît.

Paul Martial