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Interview d’HUMANIST, rappeur franco-burkinabé

D 14 novembre 2014     H 16:25     A Moulzo     C 0 messages


Afriques en lutte : Bonjour Humanist, vous êtes un des leaders du balai citoyen, pouvez-vous nous présenter le balai citoyen ainsi que sa genèse ?

Le Balai Citoyen a été officiellement présenté, pour la première fois, par deux de ces membres fondateurs, les artistes burkinabè (Smockey et Samsk Le Jah) lors de la marche nationale contre la création du Sénat le 29 juin 2013.

Le mouvement « Le Balai citoyen », est né de l’aspiration des Burkinabè de tous horizons à se battre pour plus de liberté, de justice sociale et de sécurité. Initié par des organisations de jeunesse, des activistes des droits humains, artistes, journalistes et militants de la société civile, il se positionne comme un mouvement citoyen en lutte contre l’oppression et la mal gouvernance.
« Nous sommes un mouvement politique, et non pas un Parti politique qui est à la conquête de la gestion du pouvoir d’État ».

AEL : Compaoré à finalement quitté le pouvoir grâce à la mobilisation des burkinabés. Comment se sont déroulés ces derniers jours qui ont conduit à la chute de Blaise ’Compaoré ?

Pour comprendre la chute de Blaise Compaoré et la détermination du peuple burkinabè en ce jour historique du 30 octobre 2014 il faut remonter bien avant les quelques jours qui ont précédé sa chute. L’opposition et les acteurs de la société civile dont principalement le Balai Citoyen ont multiplié les actions (meetings/concerts, conférences et débats dans les clubs Cibals, les marches…) auprès du peuple Burkinabè, nous avons contribué à un travail de conscientisation citoyenne méthodique sur le terrain.

Dans les provinces, les villes du pays, la mobilisation de la diaspora, c’est le rassemblement de toutes ses forces à l’image des brosses d’un Balai toutes unies qui ont permis de Balayer la dictature du régime Compaoré. La lutte ne date pas d’hier, elle s’est nourrie de toutes ses forces qui se sont regroupées pour que ce jour du 30 octobre 2014, le peuple burkinabè soit assez solide et mature pour se lever d’un seul homme. Que ceux qui ont subi le sacrifice ultime repose en paix.

AEL : Encore une fois, comme des révolutions arabes, ce sont les jeunes qui ont refusé et se sont battus, peut-on dire que la jeunesse africaine prend désormais son destin en main ?

Avant toute chose il faut rappeler que le soulèvement populaire du Burkina Faso a dépassé le rang de la jeunesse et a rassemblé toutes les classes de la société y compris les femmes qui se sont fortement mobilisées pour contribuer à ce grand balayage. Pour revenir à la question de la jeunesse, il est indéniable que nous assistons à son éveil avec le sentiment commun d’appartenir à une nouvelle génération consciente. « Osons Inventer l’avenir » disait le capitaine Thomas Sankara, mes différentes rencontres ne font que renforcer cet idéal.

Nous assistons à une révolution des mentalités de la jeunesse Africaine bien décidée à prendre son destin en main. La jeunesse Burkinabè tout comme la jeunesse Sénégalaise récemment ont mis à exécution leur idéal de changement face à tous ceux qui aurait la volonté de leur barrer la route. Un homme averti en vaut deux !

AEL : Au Sénégal, la mobilisation du 23 juin 2011 qui a conduit au mouvement M23 et a empêché le changement constitutionnel a été porté par de jeunes rappeurs ainsi que d’autres jeunes du mouvement y’ en a marre. Est-ce la nouvelle stratégie pour chasser les dictateurs ?

J’ai le souvenir d’une conversation avec les grands frères Smockey et Didier Awadi me disant, « Il est temps d’associer les paroles aux actes ». j’en ai compris le sens véritable en avril 2013, lors de ma rencontre pour une tournée aux États Unis avec les Rappeurs KEURGUI, fondateur du collectif Y en A marre. Nous avons passé plusieurs jours à échanger sur leur lutte contre le président Wade et de la nécessité en tant qu’artiste de se battre et se faire entendre pour dire non à une modification de la constitution par le Blaiso. Un an plus tard nous nous sommes retrouvés pour une tournée de Meetings/concerts aux cotés des frangins du balai Citoyen, juin 2014 devant une foule massée place de la Révolution à Ouagadougou ainsi qu’à Bobo Dioulasso, l’histoire était en marche…

Alors OUI, N’en déplaise à certain, les rappeurs ont aujourd’hui un réel leadership, aujourd’hui le Rap est popularisé et écouté au quotidien par un public de plus en plus grands et de plus en plus jeunes. Le rap touche directement les cœurs et les pensées. Le Vrai MC crie tout haut ce qu’une majorité pense tout bas, le rappeur doit faire son job comme le porte voix des sans voix. Les textes des Rappeurs engagés reflètent l’état de la société et du monde dans lequel nous évoluons. Quand un rappeur crie son injustice ou sa révolte dans un micro il est écouté et il dérange ...Combien de rappeurs ont été menacé de morts, mis en cage ou obligés de prendre le chemin de l’exil ces derniers temps… ?
Nelson Mandela disait « La politique peut être renforcée par la musique, mais la musique a une puissance qui défie la politique. »

AEL : Vous avez organisé il y’a quelques jours à Paris une rencontre autour de Thomas Sankara en collaboration avec Y’en à marre Paris et Bruno Jaffretde thomassankara.net. L’héritage de Sankara est-il toujours présent au Burkina Faso ?

« Tuez Thomas Sankara et des milliers de Sankara naitront. »
Le 30 octobre dernier, les enfants, les héritiers de Thomas Sankara ont grandi. Ils ont suffisamment grandi pour comprendre l’héritage idéologique et politique aux valeurs universelles humaines qu’il nous a légué.

Sa lutte contre l’impérialisme et sa vision panafricaine est en proie de rassembler une nouvelle génération consciente Africaine dont je parlai tout à l’heur. En relisant de temps en temps ces discours, je les trouve plus que jamais d’actualité, notamment son discours sur la dette et lorsqu’il dénonce l’impérialisme, ses réformes sur l’agriculture, la santé, la place accordée au femme dans la société…Personne ne pourra jamais remplacer Thomas Sankara, modèle d’intégrité. Il est et restera à jamais une source d’inspiration pour chacun de nous. Il devrait d’ailleurs être étudié de plus près par nos politiciens… !

Concernant son assassinat Il est impératif d’éclaircir les zones d’ombres de l’enquête et que la justice soit faite, Blaise Compaoré doit répondre de ses actes et êtres jugé, le réseau international Justice pour Sankara y veillera.

AEL : Comment va se poursuivre la mobilisation pour empêcher à l’armée de se maintenir au pouvoir ou d’être tenté de saboter la mobilisation des burkinabè. Faut-il continuer à rester vigilant ?

Le Lieutenant Colonel Zida a pris la tête de l’armée et de l’État dans un moment de gravité pour se mettre au service du peuple Burkinabè. Il est tenu de maintenir l’ordre et la sécurité au sein du pays en attendant la mise en place d’élections libres et transparentes dans le respect des règles démocratiques. A ma connaissance il ne s’est jamais prononcé contre la mise en place d’un Conseil National de Transition composé de civils et n’a pas manifesté de volonté de confiscation du pouvoir au peuple. L’armée a pris ses responsabilités sur la demande du peuple burkinabè.

Le balai Citoyen s’est déjà exprimé par communiqué « Le parachèvement de notre révolution dépendra entièrement de ce processus de transition au cours duquel seront posés les fondements du Burkina nouveau avec une vraie démocratie, une bonne gouvernance et un meilleur vivre-ensemble.

Le Balai Citoyen, prendra toute sa part dans ce processus en veillant particulièrement au respect de l’aspiration populaire à un renouveau national. »
Personne ne volera la victoire du peuple Burkinabè !

AEL : Comment faire pour mutualiser la lutte des jeunes burkinabè et permettre que cette lutte s’exporte vers d’autres pays ou les dictateurs seront tentés de changer la constitution pour se maintenir au pouvoir ?

Il faut continuer les synergies que nous avons mises en place à l’image de nos liens avec les frères du mouvement Y en A Marre ou plus récemment avec le collectif Tournons la Page. Le peuple Burkinabè à donner une leçon à la plus vieille dictature d’Afrique, 27 ans de pouvoir ! Cela permet Beaucoup d’espoir !

Une révolution bien menée c’est une révolution bien pensée. Le pouvoir a peur d’une chose, c’est la puissance. La puissance est dans l’unité d’un peuple qui se lève pour dire Stop et réclamer un changement d’où l’importance de travailler sur le terrain à une conscientisation citoyenne structurée et organisée.

Aucun pouvoir ne peut tenir face à la pression populaire descendue dans la rue.

Le message est clair, Messieurs les présidents, Ne touchez plus aux constitutions ! Prenez garde Les constitutions ne sont pas des costumes que l’on peut se tailler sur mesure.

Propos recueillis par Moulzo