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Les événements du 30 et 31 octobre au Burkina Faso

La LETTRE du Collectif Afrique (CA)

D 20 octobre 2015     H 22:55     A     C 0 messages


La LETTRE du Collectif Afrique (CA)

LES EVENEMENTS DU 30 ET 31 OCTOBRE DE 2015 AU BURKINA FASO

Texte présenté par Somé Téonbaore lors de la fête de la victoire du peuple Burkinabe le 17 octobre 2015

Les événements du renversement du président Blaise Compaoré par la révolution populaire des 30 et 31 octobre nous enseigne bien des leçons. L’expérience burkinabe reste sans conteste un test pour tout le continent et reste capitale pour la suite dans la conduite des états en Afrique. C’est la raison essentielle qui amène tous les pays, africains comme étrangers, à observer l’expérience burkinabe avec intérêt. Mais évidemment tous les observateurs ou acteurs ne regardent , ni ne suivent ces événements avec le même regard, que ce soit du côté des dirigeants que du côté des peuples africains. Du côté des dirigeants africains, présidents comme intellectuels, ce fut une attitude plutôt de « wait and see », d’attentisme teintée de peur d’un côté, et d’espoir de l’autre, et assez curieusement du silence de part et d’autre. Mais chacun était conscient des enjeux et implications.

Les intellectuels, on ne les a pas beaucoup entendus. La peur dans le camp de l’élite se voyait dans le fait que la plupart des présidents qui se trouvaient loin de leur pays ou autres palais, ont dû écourter leur séjour pour retourner, car nul ne sait quel en serait l’issue et les velléités que l’issue susciteraient chez son peuple, dans son propre pays. Passée la surprise de la mobilisation, les dirigeants ont pris conscience de la gravité de la situation. En effet, vu l’influence de Blaise dans la sous région en tant que potentat régional et faiseur de rois, et vu la main ferme avec laquelle il dirigeait le sous continent, on pensait que toute cette contestation finirait par rentrer dans l’ordre et les vaches resteraient bien gardées. Donc, nul ne voulait se risquer à prendre une position quelconque au niveau africain, et encourir son courroux car on connait la capacité de nuisance de Blaise Compaoré.

Au niveau international, ce fut le grand langage diplomatique, qui néanmoins laissait entrevoir une fissure par rapport aux accolades et autres manifestations de soutien à Blaise les mois précédents (cf. les réaffirmations des accords de défense avec la France, avec les USA, de coopération, etc.). Le plus patent ces derniers temps fut l’invitation officielle de Blaise à Taïwan en tant qu’invité officiel pour l’indépendance de ce pays : cette invitation l’était en guise de remerciement au soutien à Taiwan face à la Chine et avant son départ de la tête de l’état. La lettre de François Hollande en est un autre exemple. De même les mois, les années précédentes, des campagnes pour trouver un point de chute protecteur pour Blaise Compaoré (par expl la francophonie), mais la pression des campagnes de la société civile (Campagne Justice pour Thomas Sankara, les campagne de Survie, l’opposition sur place, etc.) ont permis de lui faire échec de diverses manières. Car il faut reconnaître que non seulement à l’intérieur du Burkina Faso, mais aussi de l’Afrique, Blaise s’est fait des adversaires, à vouloir s’immiscer et s’imposer à tout le monde, protégé qu’il était par les occidentaux. Mais aussi, il n’a pas compris vite le ras-le-bol de la population burkinabe, mais aussi africaine quant à ses immiscions dans la politique des autres pays. En cela, il n’était pas aidé par son entourage de griots, bonimenteurs et thuriféraires de toutes sortes.

Le clou de l’affaire, c’est la guerre imposée au Mali. Après la Guinée, le Niger, la Mauritanie, le Togo et la Côte d’Ivoire, il ne lui restait plus que le Mali pour nous montrer son omnipotence sur la scène politique africaine : il s’allia avec J Goodluck du Nigeria qui cherchait à se faire une place au soleil, adoubé par les Américains contre l’Afrique du sud. Tout cela entre dans une perspective géopolitique non seulement régionale, mais surtout internationale, mondiale dans le contexte de reformation de blocs et face à l’émergence des BRICS. Mais pire encore, c’est un repositionnement de la francafrique face à l’émergence globale de l’Afrique. Car il est sans conteste que l’Afrique (et tout le monde le reconnaît), c’est l’avenir, non seulement économiquement mais aussi à tous points de vue. Et il faut garder un œil très éveillé sur ce lien qui pourrait se lier éventuellement entre l’Afrique et l’Amérique latine (bien plus qu’avec la Chine, qui ne tardera pas à s’effondrer). Aussi il ne faut pas ignorer l’influence de la nouvelle donne en Europe de l’Est : l’effet Poutine.

L’Afrique traverse depuis quelques années (l’effet de Laurent Gbagbo, Dadis camara) une période d’hésitation, de doute même, qui oscille entre le basculement du côté des peuples qui font monter la pression (les sociétés civiles) ou du coté des vieilles gardes de la France/Afrique qui tentent de se maintenir en mutant quelque peu. La présidence de Jacob Zuma, le recul du Niger et du Nigeria, le recul de la fibre nationaliste et panafricaniste en Algérie avec le retour de la France qui se venge de 1962, etc., autant d’éléments à prendre en compte dans l’évolution future de l’Afrique.

Tout cet ensemble de faits font que la situation actuelle était dans ce système de stand by, dans un attentisme, dans un équilibre des forces dans le bras de fer entre les peuples représentés par les jeunes principalement, les femmes dans une certaine mesure, la société civile à coup sûr, et ses dirigeants qui s’accrochent au pouvoir par tous les moyens. C’est en cela que l’expérience burkinabe est capitale et représente un tournant pour l’Afrique. Et les autres observateurs (adversaires) ne s’en sont pas trompés. L’expérience burkinabe consacre, (cela en était-il encore besoin ?) l’irruption du peuple dans la conduite des affaires des états en Afrique. Ce même peuple qu’on a toujours voulu montrer comme apathique, nonchalant, etc., sinon même qui ne connait que les éruptions de violence sauvage, tribaliste, réminiscences d’un autre siècle, d’un autre âge… De toute façon, l’Afrique n’est pas encore entrée dans l’Histoire.

Mais les faits étant têtus, le peuple tout comme il l’a toujours fait tout au long de l’histoire de l’Afrique, et plus particulièrement au Burkina, le peuple a toujours eu son mot à dire dune façon ou autre, à défaut d’y prendre part effectivement : Maurice Yameogo fut chassé sur la base d’une révolution populaire (3 janvier 1966). Le peuple s’est opposé à l’idéologie des « pères fondateurs » en vogue dans les années 70 sous Lamizana (même si Lamizana lui-même n’en était pas convaincu) . Le peuple a opposé une résistance larvée au CMRPN sous Saye Zerbo avec la démission de Sankara comme secrétaire d’état à l’information, pour recommencer une adhésion active sous le CSP quand Sankara fut nommé premier ministre, laquelle adhésion vire à la résistance ouverte le 17 mai 83 (date de l’arrestation de Thomas Sankara, alors premier ministre) pour finalement s’approprier le pouvoir le 4 août 83. Le peuple s’était mobilisé pour soutenir la garnison de Po et des camps de Ouaga entrés en rébellion, et ainsi désorganiser le camp adverse. Certains ont même rejoint les garnisons en rébellion pour faire une éventuelle guérilla. C’est dire que le peuple qui sort aujourd’hui si massivement et sur tout le territoire national comme on ne l’a jamais vu, était conscient et motivé de voir le changement s’opérer : c’est pourquoi le slogan « Tout sauf Blaise ».

En arriver à une telle motivation n’est pas si spontané, mais est l’œuvre d’acteurs de la société civile, des syndicats, des partis politiques et d’individus qui ont travaillé en amont. Mais cela le fut aussi de par la bêtise, la gourmandise et surtout l’arrogance des gens du pouvoir, au mépris de la culture psychologique et philosophique même la plus basique du burkinabe. Ce pouvoir s’est autodétruit par la violence et par l’oppression exercés sur le peuple, sur la population : l’arrogance, le mépris, les assassinats, le détournement et accaparement des biens publics, et surtout l’injustice sociale généralisée et l’impunité totale ont achevé de convaincre le peule que seule la lutte paie. On comprendra alors le slogan : « Trop c’est trop ». Ce qui résume bien la mentalité du Burkinabe.

La situation sociale semble générale en Afrique, mais dans le contexte burkinabe, c’était explosif. Dans l’histoire politique du Burkina, le peuple a toujours eu son mot à dire. Le peuple a toujours prôné la concorde, la paix, la bonhomie, la gentillesse et l’entente entre les différentes ethnies. Malheureusement ceci a été anéanti par Blaise et de façon consciente comme une réaction contre Thomas Sankara et les idéaux proclamés. Car dans tout ceci plane l’ombre de Thomas Sankara. On comprendra alors encore le slogan « la partie ou la mort, nous vaincrons » dans les manifestations, les affiches qui reprennent les discours de Thomas Sankara, les T-shirts à son effigie, etc. Blaise Compaoré et son entourage ont toujours été hantés jour et nuit par la trahison envers Sankara et la destruction de l’expérience conduite avec le peuple. Il a tenté de détruire la mémoire de Thomas Sankara par tous les moyens : la répression sous toutes les formes, la corruption, la récupération, les mensonges, etc.

Passé le choc, le traumatisme de l’assassinat, du carnage fait par Blaise pour prendre le pouvoir, les populations ont fini par accepter qu’avec Blaise, on ne peut pas aspirer à quelqu’avenir que ce soit. Même la dignité que le burkinabe inspirait et vivait, ils ne pouvaient même pas plus l’espérer, ni dans sa famille, ni dans son pays, encore moins à l’extérieur. Le Burkina avait tout perdu malgré les apparences et les fastes du président sanguinaire, promulgué en médiateur, homme de paix. Le pire, c’était l’autisme politique allié à l’arrogance méprisante et à l’impunité totale : c‘était le pourrissement moral. C’est pourquoi « le pays des hommes intègres » était devenu « le pays des hommes désintégrés », où le maître mot était le tube digestif (faire son gombo), entraînant la déchéance morale sous toutes les formes : la prostitution de l’esprit, des cœurs et des corps, désintégration des liens de solidarité, aucun respect du bien public, etc. C’est pourquoi le slogan « non à la patrimonialisation du pouvoir », symbolisée par la modification de l’article 37.

Le Burkina appartient aux burkinabe, à tous les burkinabe et non pas à une famille, ni à une ethnie, ni à un groupe quelconque : c’est pourquoi la focalisation sur l’article 37, symbole qui synthétise tout le combat du peuple pour le changement, combat mené par la jeunesse. Les jeunes ont respecté les vieux, les ainés et ont vu ce qu’ils ont fait. Mais ces aînés n’ont pas écouté leurs récriminations exprimées en bonne et due forme selon les traditions africaines du respect de l’ainé ; mais tout aussi dans la tradition africaine, qui dit que quand le vieux n’écoute plus le jeune, ce dernier doit prendre ses responsabilités défendre la communauté. C’est pourquoi malgré la détermination les populations dans les manifestations ont ménagé des occasions de sortie honorable pour le pouvoir pour ne pas tomber dans les expériences de la catastrophe de la Centrafrique et, plus proche de nous, de la guerre en Côte d’Ivoire, si vivante dans le vécu des burkinabe.

L’irruption du peuple dans la gestion de l’état n’est pas nouveau au Burkina, ni en Afrique. Suffit –il de rappeler (plus proche dans le temps) les mouvements de démocratisation d’après 1989, principalement au Mali avec la chute Moussa Traore, des mobilisations au Togo, et bien sûr au Sénégal avec la société civile face à Wade. On adore affubler les mouvements sociaux de noms colorés « printemps arabe, révolution orange, révolution verte », etc. On parle maintenant d’automne burkinabe.

Mais il convient de rappeler que bien avant la Tunisie, il y a eu le Mali (où les femmes et le jeunes ont été les principaux acteurs) ; puis en 1997 avec l’affaire Norbert Zongo et puis en février 2011 quand Compaoré a dû abandonner le palais pour se réfugier à l’ambassade de France, pour finalement se raviser et revenir sur le conseil des services français. Car le succès de l’expérience burkinabe ouvrait une nouvelle ère pour l’Afrique. Et on revenait à l’ère Thomas Sankara à un certain niveau. Alors les chancelleries, les acteurs économiques à un certain niveau et les acteurs politiques en Afrique et à l’extérieur devront recréer d’autres tactiques. Il faudra intégrer la donne peuple que l’on s’était précipité d’évacuer en assassinant Sankara.

L’irruption de l’insurrection populaire et son succès consacrent la victoire de Thomas Sankara sur Blaise Compaoré. Par-delà sa défaite, c’est-à dire sa mort physique, Sankara impose sa victoire sur Compaoré (la mort morale, la perte du pouvoir de Blaise). La victoire de la mobilisation populaire consacre la justesse et l’à-propos de la révolution, de la position de Thomas Sankara. Le peuple burkinabe met fin à la parenthèse Blaise (à la « compaorose », cette maladie Compaoré dont souffrait le peule burkinabe et par delà toute l’Afrique) pour reprendre le fil de l’espoir Sankara, cet espoir qu’on a tenté d’assassiner. Mais Compaoré était sans compter avec la détermination et la responsabilisation consciente de tout un peuple dont Sankara avait commencé à ouvrir les yeux en quatre ans seulement. Tuez Sankara et il s’élèvera 1000 autres Sankara, disait Thomas Sankara : combien étaient-ils dans les rues et pistes des villes et des campagnes ? De toute évidence, tous n’étaient pas sankaristes, mais ils étaient de l’esprit, consciemment ou non. Le peuple tentait de reprendre sa marche triomphale vers un avenir radieux et que Blaise et ses alliés avaient confisqué et mis entre parenthèses. Blaise et ses acolytes se sont rendus bien compte à leur corps défendant qu’ils ne peuvent pas bloquer la roue de l’Histoire.

La situation géopolitique du Burkina en a fait une pièce clé dans le dispositif géopolitique de l’Afrique de l’ouest. Blaise conscient de cette situation a su l’utiliser de façon consciente pour assouvir ses appétits de pouvoir, en pensant que ses maîtres ne le lâcheraient pas aussi facilement (s’ils le font, l’ont-ils réellement fait ?). C’est justement cette situation géopolitique qui a justifié l’élimination de l’expérience révolutionnaire de Sankara. C’est justement aussi cette irruption du peuple dans la gestion effective de l’état qui explique l’entêtement à éliminer Thomas Sankara et l’empressement à le faire, pour le compte occidentaux car une émergence, un succès de l’expérience révolutionnaire de Thomas Sankara consacrerait à jamais l’émergence de l’Afrique ; et passé cinq ans de maturité et de maturation, l’expérience devenait difficile à inverser, à défaut d’être irréversible.

L’émergence de l’Afrique à partir de l’expérience du peuple au Burkina impliquait une contagion probable sinon certaine à tout le continent. On comprend que tous les observateurs en Afrique et à l’étranger, les chancelleries, les officines de renseignements, les sociétés civiles et individus, etc. tous scrutent l’issue finale dans ce bras de fer entre le président et le peuple. Dans ce bras de fer, la vigilance est de mise, est de rigueur (« la vigilance est révolutionnaire »). On n’est pas à l’abri dune tentative, d’une action de reprise en main par Blaise, soit directement par une guerre civile, soit indirectement par des suppôts infiltrés dans le mouvement (la récupération) ou tout simplement par déviation ultérieure dans la conduite du changement. Ou même par un coup d’état purement et simplement par le régiment de sécurité présidentielle. Il ne faut surtout chanter victoire sur Blaise qui ne s’avoue pas vaincu si facilement. Aucun doute là-dessus. Si Blaise a reçu des garanties sur sa vie, son intégrité physique pour partir, il ne baissera jamais la garde car il sait ce qu’il a fait et ne ferai jamais confiance à personne, comme il l’a toujours fait. Il reste pertinemment conscient que l’ombre de Thomas Sankara hantera toute sa vie et il cherchera tous les parapluies possibles et inimaginables pour se protéger. C’est tout le combat de sa vie et usera de tous les moyens pour ce faire.

La mobilisation constante, l’implication de populations, l’organisation structurée, la discipline et les actions concrètes en direction de la réalisation des aspirations réelles et complètes de populations amènent l’adhésion populaire ; le contrôle par la société civile est capital. Cette société civile représente la volonté du peuple qu’étaient les Comités de Défense de la Révolution sous Thomas Sankara. C’est l’instance de l’expression et de l’exercice de la volonté populaire à l’étape actuelle de la gestion de l’état en Afrique.

Aussi, aujourd’hui nous devons nous ramener à la mémoire de tous, jeunes et moins jeunes, cet hymne de l’empire du Wassoulou proclame :

« Si tu ne peux organiser, diriger et défendre le pays de tes pères, fais appel aux hommes plus valeureux…

Si tu ne peux être impartial, cède le trône aux hommes justes…

Si tu ne peux protéger le faible et braver l’ennemi, donne ton sabre de guerre aux femmes qui t’indiqueront le chemin de l’honneur… »

Ou tout simplement encore, la Charte du Mandé.

Il appartient aux africains de se prendre en charge et d’écrire leur destin : il faut oser inventer l’avenir.