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Thomas Sankara toujours sous les feux de l’actualité

Bruno Jaffre Mediapart

D 29 mai 2015     H 23:24     A Bruno Jaffré     C 0 messages


Retour de Mariam Sankara au Burkina, exhumation des tombes supposées de Thomas Sankara et de ses compagnons, convention des partis sankaristes pour l’unité, relance en France de la demande d’enquête parlementaire sur l’assassinat de Thomas Sankara, 27 ans après son assassinat, l’ancien chef de la révolution du Burkina reste au coeur de l’actualité... y compris en France.

Le retour de Mariam Sankara

Mariam Sankara l’avait affirmé peu de jours après l’insurrection : elle rentrerait au Burkina car plus rien désormais ne s’y opposait. Ce n’était qu’une question de temps, celui de s’organiser. Elle a tenu parole.

Arrivée le 14 mai dernier à Ouagadougou, c’est par une foule en liesse qu’elle est accueillie à l’aéroport. « Je suis heureuse, fière de fouler la terre du Burkina Faso… Je remercie tout le peuple burkinabè, tous ceux qui ont œuvré pour la lumière sur le dossier Thomas Sankara. J’ai aussi une pensée pour les martyrs de l’insurrection populaire. Je remercie aussi les autorités de la transition » a-t-elle improvisé à son arrivée. Et c’est en cortège, accompagnée de nombreux véhicules, surtout des deux roues, comme il se doit à Ouagadougou, qu’elle s’est rendue au domicile de sa famille.

En quelque sorte un remake de ce qui s’était passé en octobre 2007, lors des cérémonies du 20e anniversaire de la commémoration de l’assassinat de son mari, feu le Président Thomas Sankara. Même accueil chaleureux, même foule en liesse et imposant cortège bruyant pour l’accompagner en ville. Mais elle n’était alors restée que deux jours, le temps d’aller se recueillir sur la tombe, et de rendre visite aux militants réunis pour conceptualiser le sankarisme.

Cette fois les conditions sont bien différentes. Le protocole d’État a participé discrètement à l’organisation de son arrivée. Elle fut d’abord reçue par le premier ministre qui a tenu à la rassurer, ainsi que ses avocats qui l’accompagnaient, en affirmant : « le juge d’instruction ne trouvera aucun obstacle sur son chemin pour mener à bien cette procédure ». Puis par le président du conseil national de la transition Cheriff Sy, une vieille connaissance, ami de la famille Sankara. Il était président du comité d’organisation du 20e anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara en 2007. Celui-ci a notamment déclaré : « Nous l’avons rassurée que nos députés ont déjà demandé au parlement français d’ouvrir un certain nombre d’archives sur l’affaire Sankara. Nous l’avons assurée aussi de nous battre en tant que citoyens burkinabè et militants panafricanistes pour ouvrir un certain nombre de dossiers afin que la justice se fasse. L’insurrection populaire et la transition offrent la possibilité qu’un certain nombre de dossiers pendants en Justice soient ouverts et traités. Nous estimons que le dossier Thomas Sankara n’est ni le dossier de la famille Sankara, ni le dossier du Burkina, mais le dossier de toute l’Afrique, car toute la jeunesse africaine voudrait savoir pourquoi cet espoir a été anéanti » voir http://lepays.bf/dossier-thomas-sankara-mariam-sankara-rassuree-du-soutien-des-autorites-de-la-transition/.

Elle a aussi tenu à déposer des gerbes au cimetière de Gounghin pour rendre hommage aux victimes de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014, a visité les ruines de l’assemblée nationale, qui représentent, en quelque sorte, le témoignage de l’insurrection, d’une pseudo « assemblée nationale » détruite par le peuple qui ne la reconnaissait pas comme telle. Plusieurs associations de la société civile ont en effet demandé à ce que ces ruines restent en l’état comme témoignage d’un régime déchu.

Mariam Sankara, femme discrète, fidèle à la mémoire de son mari, détestant les feux des projecteurs comme les questions des journalistes, se bat sans relâche pour la vérité et la justice depuis 27 ans. Après une longue traversée du désert, elle peut enfin gouter d’un peu de réconfort. Compaoré a été chassé et a dû s’enfuir. Ce voyage est une renaissance des liens avec son pays, une réconciliation avec son pays. C’est aussi ce qu’elle est venue dire à la radiotélévision du Burkina qui lui a ouvert ses studios au grand bonheur de nombre de burkinabè heureux de la voir revenir parmi eux.

Elle a aussi été longuement auditionnée par le juge militaire chargé de l’instruction, assistée de trois avocats. Mais rien n’a filtré de ces longues heures d’audition. Elle a terminé ses visites officielles par une « visite de courtoisie » auprès du Président de la transition, Michel Kafando.

Mais durant la plus grande partie de son séjour, elle s’est faite le plus souvent très discrète, ou plutôt elle s’est débrouillée pour qu’on la laisse tranquille, qu’elle retrouve une certaine intimité, qu’elle puisse prendre le temps de voir sa famille, ses amis, toutes les personnes qu’elle n’a pas pu voir depuis si longtemps, reprendre le pouls de son pays, sans doute organiser un peu mieux son retour, mais aussi se retrouver avec les autres familles qui vivent le même drame, les assister si nécessaire.

L’unité des sankaristes doit leur permettre d’atteindre un bon score pour les prochaines élections

L’un des objectifs annoncés du séjour de Mariam Sankara, était de contribuer à l’union des sankaristes dans la perspective des élections prévues en octobre 2015. Elle attendait, pour arriver au pays, que les conditions en soient réunies. Une union qui doit leur permettre d’atteindre un score inégalé, et de surfer sur la dynamique de changement, suite à l’insurrection. La transition a en effet tendance à s’essouffler du fait des difficultés qui s’accumulent. Mais la dynamique pourrait retrouver toute sa force, en s’appuyant sur le verdict populaire issu des urnes pour peu que la rupture avec l’ancien régime soit confirmée par les élections. Car la demande reste forte que le pays s’engage sur la voie d’un véritable changement et une rupture définitive avec l’ancien régime. Reste à lancer un véritable débat sur le modèle de développement.

Outre les sankaristes, seuls deux grands partis peuvent s’attendre à de bons résultats électoraux. Le premier, le MPP, le Mouvement du peuple pour le progrès, créé à peine quelques mois avant l’insurrection, est issu d’une scission du parti alors au pouvoir, le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès). Il a rapidement rencontré un certain engouement populaire, arrivant à agréger différentes tendances en son sein. Mais l’état de grâce passé, plusieurs de ses dirigeants se retrouvent en difficulté, rattrapés par leur passé. Par exemple, le candidat du MPP aux présidentielles, n’est autre que Roch Marc Christian Kaboré, un pilier de l’ancien régime. Ses détracteurs aiment à rappeler que peu de temps avant la scission avec le CDP, il trouvait « démocratique » de convoquer un référendum pour changer l’article 37. On rappelle que c’est l’annonce par Blaise Compaoré lui-même de la convocation de l’assemblée nationale pour changer cet article qui a joué le rôle de déclencheur de l’insurrection. Or la nouvelle loi ?? électorale exclut tous ceux qui ont fait campagne pour la modification de l’article 37.

Le second parti favori, l’UPC, Union du peuple pour le changement est dirigé par Zephirin Diabré, un libéral déclaré qui se revendique comme tel, ancien directeur Afrique d’AREVA. S’il a remarquablement bien dirigé l’opposition jusqu’à l’insurrection, il a brillé par son absence au moment du départ de Blaise Compaoré. Surtout nombre de burkinabè savent que le pays souffre des privatisations qui ont affecté tous les secteurs du pays, et que ce sont ces mêmes privatisations qui ont permis à Blaise Compaoré et à son entourage de s’enrichir sans limite. Sa sortie récente promettant de construire une centrale nucléaire n’a pas arrangé les choses !

C’est dire que les sankaristes ont une carte à jouer. Le seul parti à avoir aussi appelé à l’insurrection, n’est autre que l’UNIR PS (Union pour la renaissance, parti sankariste). Mais les sankaristes souffrent, depuis près de 20 ans, d’une longue succession de querelles intestines, ce qui a fortement contribué à entamer leur crédibilité jusqu’ici. Alors que Thomas Sankara reste une référence largement partagée dans le pays, notamment par sa jeunesse. Celle-ci a toujours boudé les élections, mais les organisations de la société civile ayant contribué à l’insurrection, comme le Balai citoyen, sont parmi les plus dynamiques dans la campagne qui se poursuit à travers tout le pays pour l’inscription sur les listes électorales. La jeunesse représente près de 65% de la population de moins de 25 ans. C’est dire combien le vote de la jeunesse sera déterminant, tout en restant une inconnue.

Mariam Sankara à la manœuvre, avec une ancienne actrice de la révolution, pour réussir la convention de l’unité

Mariam Sankara a surtout fait parler d’elle tout au long de son combat pour la justice. Ce que l’on sait moins, c’est que son rôle a été déterminant pour arriver à la convention des sankaristes qui s’est tenue les 16 et 17 mai derniers. Elle en est la véritable instigatrice. Le bruit a longtemps couru qu’elle serait elle-même candidate, complaisamment relayé par la presse et très tardivement démenti par les sankaristes eux-mêmes. En réalité il n’en a jamais été question.

Mariam Sankara s’est appuyée sur Germaine Pitroipa. Femme reconnue pour son franc-parler, elle s’était déjà faite remarquer par Thomas Sankara lui-même qui l’avait placée à la tête d’une région, durant la révolution, comme Haut-Commissaire. Elle était à l’ambassade à Paris quand Thomas Sankara a été assassiné et était restée en France. Elle faisait peu parler d’elle si ce n’est, de temps en temps, à l’occasion de réunion-débats sur la révolution. Mais elle était revenue en politique il y a quelques années, en intégrant l’UNIR PS et en créant la section française. C’est Germaine Pitroipa qui s’est faite l’ambassadrice de Mariam Sankara, avant son arrivée, et a mené les négociations au Burkina pour arriver à l’unité. N’ayant jamais été mêlée aux querelles internes des sankaristes, elle a pu profiter de son compagnonnage avec Thomas Sankara, de sa position de représentante de Mariam Sankara, et s’appuyer sur une autorité naturelle, sa position de femme, rare parmi dirigeants de partis sankaristes, son style direct, son franc-parler et son refus des querelles pour arriver à emmener tout le monde vers l’unité. Le principe de réalité a fini par prendre le dessus. Il fallait bien se rendre à l’évidence : faute d’unité, les sankaristes perdraient toute chance de jouer un rôle important dans la période historique qui s’ouvre.

Bénéwendé Sankara, candidat unique des sankariste

La plupart de ces regroupements auto-proclamés « parti » n’en sont pas vraiment. D’ailleurs la plupart d’entre eux ont été incapables de payer leur quotepart pour financer la convention. L’UNIR PS est, depuis longtemps, le seul vrai parti avec, dans une moindre mesure, le FFS, Front des forces sociales. La situation politique leur imposait l’unité sous peine, pour ces petites formations et surtout leurs leaders, de disparaitre définitivement. Seuls deux groupes ont fait défection. Celui constitué autour du capitane Boukary Kaboré, surnommé le « Lion », ancien officier de l’armée aux déclarations fracassantes, qui n’a jamais pu vraiment se mettre dans la peau d’un civil. En plus, il s’était fait piéger en se faisant prendre en photos rigolant avec Blaise Compaoré. L’autre, s’est constitué autour de Jean Baptiste Natama, chef de cabinet de la présidente de l’Union africaine. Il se voyait lui-même candidat. Ce dernier avait commencé une campagne dans les réseaux sociaux, il y a plus d’un an, sans vraiment décoller. Il a demandé son adhésion au regroupement des sankaristes quelques mois auparavant, mais quand il a compris qu’il ne serait pas choisi, il a quitté le processus d’organisation de la convention.

Sans grande surprise, Bénéwendé Sankara a été choisi comme candidat unique. Ce choix s’est fait à huis clos dans une réunion regroupant les chefs des partis sankaristes, alors que plusieurs candidats étaient en présence. Son parti, l’UNIR PS, est de loin le plus dynamique. Il s’est construit petit à petit accumulant une expérience certaine. Beaucoup des autres groupements ne sont en réalité que des scissions issues de ce parti, d’où certaines inimitiés. Ils n’ont jamais réussi à décoller, à part le FFS de Norbert Tiendrebeogo qui vient de décéder, sans doute le seul véritable idéologue, avec Vlaère Somé, parmi les dirigeants sankaristes, et qui manquera à cette unité retrouvée.

L’exhumation des corps au cimetière de Dagnoe

Le nouveau pouvoir s’était empressé de promettre qu’il procéderait à l’exhumation des corps, mais les déclarations restaient ambigües sur l’objectif qui leur était assigné. Les avocats de la famille, les activistes qui combattent depuis longtemps pour la justice et la vérité sur les assassinats du 15 octobre sont restés longtemps méfiants. Selon les avocats de la famille Sankara, l’exhumation et l’expertise devaient être accompagnées de la constatation judiciaire. « Bien au-delà de l’identification (du corps, ndlr), la famille réclame vérité et justice » avait souligné Me Ambroise Farama en mars (voir www.thomassankara.net/spip.php?article1744) et les avocats ont multiplié les déclarations dans ce sens, jusqu’à ce qu’ils aient la certitude qu’un juge militaire allait être nommé pour lancer une instruction. On se reportera à un précédent article pour le contexte dans lequel s’est faite cette nomination (voir http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre/270315/enfin-l-ouverture-d-une-premiere-enquete-officielle-sur-l-assassinat-de-thomas-sankar ).

Le gouvernement a tenu promesse. L’exhumation a été ordonnée. Deux médecins légistes burkinabè et un français, le professeur Alain Miras, ont été nommés rapidement. On peut même dire que l’on semble vouloir aller vite, très vite. Le juge d’instruction a recherché activement toutes les familles, allant jusqu’à publier une annonce dans la presse, pour les recevoir avant l’exhumation. Boukary Kabore (voir plus haut) s’est déclaré opposé aux exhumations. Pour lui, il n’y a pas besoin d’ouvrir les tombes pour mener une enquête, mais surtout il affirme que c’est contraire aux coutumes, affirmant que « pour les mossis c’est interdit » (voir http://omegabf.net/index.php/societe/item/1428-dossier-sankara-je-dois-etre-interpelle-dixit-boukary-kabore). On en vient à se demander si les familles ont toutes donné leur accord. Quoiqu’il en soit, le gouvernement, lui, veut aller vite et le juge aussi.

L’exhumation a commencé lundi 25 mai. Une tente a été installée au-dessus des tombes, et l’accès est resté bloqué par d’importantes forces de l’ordre. Seuls les représentants des familles qui souhaitent être présentes, ce qui n’est pas le cas de la famille Sankara, et les avocats, peuvent assister à l’exhumation. Une foule curieuse, méfiante et impatiente s’est rapidement massée, regrettant que tout ne se passe pas en public. La justice burkinabè a bien mauvaise réputation du fait de tous les assassinats non résolus, sous le régime Compaoré. Outre celui de Thomas Sankara, citons celui du journaliste Norbert Zongo, de l’étudiant Dabo Boukary et tout récemment du juge Nébié, pour ne parler que des plus emblématiques. Les forces de l’ordre ont dû patiemment négocier avec la foule présente pour rétablir le calme. Les journalistes, présents en nombre, ne manquent cependant de nous informer au jour le jour de ce qui ressort de l’exhumation, relayant les paroles des avocats qui sont les seuls à s’exprimer pour l’instant.

On a donc appris que des ossements, des habits et autres objets ont été exhumés, mais sans avoir beaucoup de détail. Reste à vérifier qu’il s’agit bien des restes des personnes assassinées le 15 octobre 2015, ce que devront montrer les tests ADN. Le dépouillement de tous ces restes prendra plusieurs semaines aux dires des avocats. La satisfaction qu’enfin une enquête commence domine, même si la méfiance et l’impatience se font sentir. Et le pays va rester suspendu à l’attente des résultats.

La demande d’enquête parlementaire sur l’assassinat de Sankara relancée en Franc

L’exhumation des corps au cimetière de Dagnoën, à Ouagadougou, est assez bien couverte par la presse française y compris la télévision, France 24 en particulier. Voir par exemple une revue de presse à http://www.thomassankara.net/spip.php?article1775. Ce qui permet à l’occasion de rappeler qu’une enquête parlementaire a déjà été demandée par deux fois par les députés écologistes et ceux du Front de gauche, le 20 juin 2011 et le 5 octobre 2012 (voir le texte http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/propositions/pion0248.pdf). Ces demandes n’ont jamais été mises à l’ordre du jour.

C’est une initiative en provenance du Burkina qui remet à l’ordre du jour la demande d’enquête parlementaire. Ainsi, début mai 2015, vingt-six députés du Conseil National de la Transition représentant les ex-partis d’opposition et le chef du groupe parlementaire des Organisations de la société civile viennent à nouveau d’écrire au président de l’Assemblée nationale, côté français : « La France a pu être citée dans ce crime abominable par plusieurs sources, sans qu’elle n’ait formellement démenti son implication » et plus loin : « C’est pourquoi nous, députés du Conseil National de la Transition du Burkina Faso, vu les accords de coopération entre la France et le Burkina Faso, et connaissant l’attachement des députés français aux valeurs de démocratie et de justice, sollicitons votre entremise pour exiger du Parlement français une commission d’enquête parlementaire qui contribuera sans nul doute à élucider l’affaire Thomas SANKARA » (voir ces courriers à http://www.thomassankara.net/spip.php?article1765).

Le réseau international « Justice pour Sankara, justice pour l’Afrique » s’en est saisi pour rebondir et lancer une nouvelle pétition pour demander l’ouverture de cette enquête parlementaire, (voir http://lc.cx/ZUEX). Il s’agit de relancer la pression sur le parlement afin qu’il se penche sur cette demande.

L’hypothèse d’un complot international est renforcée par de nombreux témoignages et la vérité sur l’assassinat de Thomas Sankara ne viendra que d’une enquête qui doit se pourvoir hors du Burkina. Des témoignages impliquent la France, parmi d’autres pays (voir un extrait de film à https://www.youtube.com/watch?v=4GAxbGbWdjM et es retranscriptions à http://thomassankara.net/spip.php?article794).

Une enquête parlementaire permettrait de convoquer l’entourage des dirigeants de l’époque de François Mitterrand et de Jacques Chirac, on était en période de cohabitation, mais aussi les chefs des services secrets. On imagine mal un juge burkinabè, venir enquêter en France sur l’implication éventuelle de la France dans l’assassinat de Thomas Sankara. Il va déjà avoir fort à faire pour démêler ce qui s’est passé le 15 octobre, alors que la crise de l’armée, et en particulier le devenir du régiment de sécurité présidentiel, n’est pas réglée. C’est de ce régiment qu’était issu le commando qui a tiré sur Thomas Sankara et ses compagnons. Sans parler des moyens nécessaires pour une investigation qui, si elle devait être poussée jusqu’au bout, doit nécessiter des déplacements, au-delà de la France, en Côte d’ivoire, au Libéria, en Libye, aux USA et au Togo, si l’on veut prendre le temps de vérifier tous les témoignages existants sur cet assassinat.

Pour ce qui est d’une éventuelle participation française, c’est en France que se trouvent les éventuels protagonistes comme les archives pouvant éventuellement faire avancer une enquête. Encore faut-il qu’il existe une vraie volonté politique de voir révéler enfin au grand jour les actions les plus sombres de la politique française en Afrique. Et si l’insurrection du Burkina est annonciatrice d’autres révoltes victorieuses contre les autocrates, nombreux au pouvoir en Afrique, la France devrait se dépêcher de solder son passé, faute de voir des nouveaux régimes politiques arrivés au pouvoir se détourner de la France, soutenus par une jeunesse de plus en plus politisée et mobilisée.

Bruno Jaffré


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