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Au Mali, la crise s’aggrave

D 23 mai 2012     H 05:23     A Yves Hardy     C 0 messages


Tandis qu’à Bamako la confusion règne, suite aux récents affrontements entre factions militaires rivales, le pays reste coupé en deux. Depuis début avril en effet, les séparatistes touareg et surtout leurs alliés de circonstance - les groupes djihadistes d’Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et d’Ansar Dine - imposent leur pouvoir dans les trois provinces du Nord : Kidal, Gao et Tombouctou. Les populations soumises aux exactions et aux pénuries fuient en masse ces régions. On en a déjà dénombré 320 000. Quelque 187 000 personnes ont trouvé refuge dans les pays voisins (Mauritanie, Burkina, Niger) ; 133 000 autres sont déplacées au sud du pays. « Les urgentistes tentent d’ouvrir des corridors humanitaires au Nord-Mali, raconte Caroline Bah. Afrique verte, elle, concourt à l’approvisionnement en céréales des camps de déplacés à Bamako, Mopti et à Nara, dans la région de Nioro, près de la frontière mauritanienne. Il est clair qu’au Mali une catastrophe humanitaire est à l’œuvre. »

Mars 2012

La crise alimentaire menace

Un déficit céréalier provoqué par le manque de pluies. Des prix des produits vivriers orientés à la hausse sur les marchés. Des conflits armés – combats entre l’armée malienne et la rébellion touarègue attentats de la secte Boko Haram au Nord-Nigeria. Les trois phénomènes se conjuguent et créent une nouvelle crise alimentaire dans la bande sahélienne, de la Mauritanie au Tchad.

Dès le mois d’octobre 2011, les États membres du CILSS (Comité Inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel) ont tiré le signal d’alarme : au Sahel, la sécheresse annonçait de mauvaises récoltes de mil, sorgho, mais et riz et le déficit céréalier avoisinerait les 2.500 000 tonnes, soit environ 25% de la production globale. L’alerte a été vite relayée par le Programme alimentaire mondial (PAM), la FAO et les ONG, démontrant par là même que les comités d’alerte villageois et les services techniques nationaux ont été efficaces.

La crise ? Nous y sommes, ou presque. À l’approche de la « soudure », l’intervalle entre deux récoltes – soit au Sahel, la période comprise entre les mois d’avril et septembre où l’on puise dans les réserves en attendant la prochaine récolte - on enregistre partout une recrudescence des inquiétudes. Pourtant, si l’on se souvient bien, le Sahel avait connu en 2010/2011 une récolte record. Ne cède-t-on pas à l’alarmisme si les paysans ont constitué des stocks et rempli leurs greniers ? « Mais ce n’est pas le cas, réplique Caroline Bah, directrice de l’ONG Afrique verte. Ces populations sont si pauvres qu’elles ont vendu hier l’essentiel de leurs surplus pour améliorer l’ordinaire. »

Accès problématique aux denrées de base

La situation varie d’une région à l’autre et on localise mieux qu’hier les « zones à risques » confirme Michèle Coste, chargée de mission Sahel au CCFD-Terre solidaire. Les observations satellitaires et les relevés nationaux à partir du terrain permettent d’identifier avec plus de précision les villages les plus vulnérables dans plusieurs « poches » : la zone agropastorale de la Mauritanie, le nord de Kayes et Koulikoro ainsi que le delta du fleuve Niger au Mali, 162 communes rurales du Burkina-Faso et les régions de Niamey, Tillabéry et Zinder au Niger.

À Gao (Mali), le kilo de mil s’affichait à 260 F CFA début février. À Tillabéry (Niger), il s’élevait à 270 F CFA. Pourquoi les prix des céréales sont-ils relativement élevés alors que le déficit céréalier régional ne représente que 25% de la production sahélienne ? Les pratiques spéculatives des commerçants grossistes, qui achètent la récolte dés octobre à prix bas au paysan et les revendent au prix fort lors de la « soudure » diminuent les quantités disponibles sur les marchés. La hausse du prix du carburant est répercutée sur les marchandises transportées. Or, comme durant la famine de 2005 au Niger, même si les vivres sont disponibles sur les marchés, la crise alimentaire survient si les populations les plus pauvres ne peuvent accéder à la nourriture faute d’argent pour pouvoir les acheter..
Facteur aggravant en 2012, la fluidité des échanges transfrontaliers est remise en cause. Traditionnellement, les pays excédentaires exportent leurs grains vers les pays déficitaires et amortissent la crise. Ainsi, ces dernières semaines, l’insécurité au Nigeria et au Mali, ainsi que le choix par le Burkina Faso de préserver son marché national vu son équilibre alimentaire précaire, rendent plus difficiles le passage aux frontières des camions qui transportaient des céréales locales au Niger et en Mauritanie.

Des guerres qui accentuent l’insécurité alimentaire

Les conflits qui ont déchiré la région – en Côte d’Ivoire et en Libye – ont provoqué le retour de nombreux migrants sahéliens : environ 200 000 selon les estimations. Autant de bouches à nourrir en plus, autant de transferts de fonds en moins pour leur communauté d’origine. Les affrontements qui se poursuivent au Nord-Nigeria entre les forces de sécurité et la secte Boko Haram perturbent les échanges frontaliers avec le Niger. L’insécurité dans la zone sahélienne s’est accrue avec la présence du Mouvement Unicité et Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), une dissidence d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Les récents combats meurtriers au Nord-Mali entre l’armée malienne et les rebelles touaregs provoquent un afflux de déplacés et réfugiés : plus de 150 000 personnes, parfois avec leur bétail, avaient déjà fui les zones de combats à la fin février. « Des milliers de réfugiés arrivent par exemple dans la région de Tllibéry (Niger), déjà très fragilisée par la sécheresse », s’inquiète Caroline Bah d’Afrique verte. « Il faut le dire haut et fort, ajoute-t-elle : le Niger est en souffrance. » La Mauritanie aussi, où quelque 60 000 réfugiés ont convergé, en particulier dans les zones de Néma et Fassala.

Il est aussi une population spécifique durement frappée par l’actuelle sécheresse : les éleveurs. « Le manque de pâturages et de points d’abreuvement ont poussé nombre d’entre eux à se déplacer et même dans certains cas les ont conduit à abattre leurs bêtes », indique Michèle Coste du CCFD-Terre solidaire. « C’est un coup sévère porté au pastoralisme, enchérit Philippe Mayol, responsable du service Afrique au CCFD-Terre solidaire. Malgré l’attachement à ce mode de vie, cette décapitalisation forcée risque d’obliger les éleveurs nomades sahéliens à une semi-sédentarisation, ne serait-ce que pour produire le fourrage dont a besoin leur troupeau… ou ce qu’il en restera. »

Bref, la situation au Sahel ne laisse pas de préoccuper. Sur fond de montée des inquiétudes, l’heure est à la vigilance et au renforcement de la solidarité.

Yves Hardy

Source : http://ccfd-terresolidaire.org