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Le conflit aggrave la crise alimentaire dans le nord-est du Nigeria

D 22 septembre 2013     H 05:53     A IRIN     C 0 messages


KANO - Le gouvernement nigérian a renforcé la distribution de l’aide alimentaire d’urgence pour répondre à l’insécurité alimentaire sévère et à la malnutrition des enfants qui touchent le nord-est du pays. C’est dans cette région que l’armée mène une offensive d’envergure contre les islamistes de Boko Haram (BH) depuis le mois de juin.

Quelque 492 000 enfants du nord du Nigeria souffrent de malnutrition sévère, selon l’Office d’aide humanitaire et de protection civile de la Commission européenne (ECHO). Les taux de malnutrition aiguë globale (GAM) les plus élevés du pays sont de 16,2 pour cent dans l’État de Sokoto, et les moins élevés, de 9,2 pour cent dans l’État de Kano, d’après le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF). Le seuil d’urgence international établi par les Nations Unies est de 15 pour cent.

« Le problème est que beaucoup d’enfants sont hors de portée. La réponse à la crise alimentaire est trop lente par rapport à la gravité de la situation »,

a déclaré à IRIN Cyprien Fabre, chef du bureau régional de l’ECHO en Afrique de l’Ouest.

De son côté, le Réseau des systèmes d’alerte précoce contre la famine (FEWS NET) a déclaré l’état de crise alimentaire dans les États voisins de Yobe et de Borno.

Distribution de céréales

Le gouvernement fédéral nigérian a réagi en augmentant la distribution de céréales provenant de sa réserve stratégique. Le ministre délégué aux Finances, Bukar Tijjani Ngama, a déclaré que l’aide serait distribuée équitablement dans les États de Borno, de Yobe et d’Adamawa, mais il y a des accusations de favoritisme politique concernant la distribution.

À la mi-juillet, 19 500 tonnes de maïs, de sorgho et de millet devaient être distribuées dans ces trois États.

« Le gouvernement fédéral ne devrait pas permettre que l’aide humanitaire soit politisée. L’aide ne devrait pas être distribuée en fonction de la loyauté (politique) au parti, comme ce fut le cas avec la première cargaison par les fonctionnaires officiellement chargés de la livraison »,

a déclaré à IRIN Mai Mala Buni, conseiller politique du gouverneur de l’État de Yobe.

Selon M. Buni, la distribution de nourriture, supervisée par M. Ngama, n’était réservée qu’aux sympathisants du Parti démocratique populaire (PDP), au pouvoir.

« Les gens des États de Borno et de Yobe, quelles que soient leurs tendances politiques, culturelles ou religieuses, ont souffert d’une manière ou d’une autre. Ils ont besoin de recevoir une aide indépendamment de leurs préférences politiques ou religieuses »,

a déclaré M. Ngama à la presse.

Le gouvernement central nigérian appartient au PDP, tandis que les États de Borno et de Yobe sont gouvernés par l’opposition, le Parti de tous les peuples nigérians (All Nigeria People’s Party, ANPP), qui a fusionné avec trois autres partis en août dernier pour former un large parti d’opposition en prévision des élections de 2015.

Seule une poignée d’organisations humanitaires travaillent dans le nord du Nigeria. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la Croix-Rouge du Nigeria (NRC) et l’Agence nigériane de gestion des urgences (National Emergency Management Agency, NEMA) sont les seuls organismes à mener une action humanitaire à Borno, l’État d’origine du BH.

« Les seuls problèmes que nous rencontrons concernent l’insuffisance de ressources et la logistique. L’État de Borno est vaste et le nombre de personnes ayant besoin d’aide humanitaire est énorme, bien au-delà de nos capacités. Certaines régions reculées de l’État sont difficiles d’accès en raison de la nature du terrain, ce qui nous oblige à utiliser très souvent nos véhicules »,

a déclaré à IRIN Nwankpa O. Nwankpa, porte-parole de la NRC.

L’état d’urgence a été déclaré dans l’État de Borno à la suite des violences de BH, responsable d’attentats à la bombe et de fusillades visant des cibles gouvernementales et civiles.

Les agriculteurs fuient les violences

En janvier, la prise de contrôle par BH de certains territoires dans le nord de l’État de Borno, près des frontières du Tchad, du Niger et du Cameroun, a poussé des milliers d’habitants à fuir loin de chez eux.

Le conflit a perturbé les activités agricoles dans la région qui produit la majeure partie des aliments de base du pays (maïs, millet, blé, riz et niébé).

« Cette année, nous avons [une] pénurie de nourriture, car un grand nombre d’agriculteurs n’ont pas pu cultiver leurs terres à cause de l’insurrection de BH »,

a déclaré à IRIN Usman Zannah, commissaire à l’Agriculture de l’État de Borno. Quelque 19 000 agriculteurs ont dû abandonner leurs cultures à Marte, un district fertile du nord de Borno, bordé par le lac Tchad, depuis le début de l’occupation du territoire par BH en janvier, a-t-il affirmé.

Bukar Ngamdu, un agriculteur, a dû abandonner ses 50 hectares de blé à New Marte en février, pour se réfugier dans la ville de Gamboru Ngala, à la frontière camerounaise.

« Je voudrais vraiment rentrer cultiver [mes terres], mais j’ai peur pour ma sécurité », a-t-il déclaré à IRIN. « Même si je rentre, mon plus grand problème sera de trouver des semences et de l’engrais, car je n’ai pas d’argent pour en acheter ».

« Le principal souci est que la population a manqué la période des semis et nous savons que cela aura une incidence sur les récoltes »,

a expliqué Choice Okoro, responsable de l’équipe consultative pour l’aide humanitaire du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) au Nigeria.

Le gouvernement de l’État de Borno et l’autorité de développement du bassin du lac Tchad (Lake Chad Basin Development Authority, LCBDA) ont lancé conjointement un projet d’irrigation de 10 000 hectares de blé et de riz dans la région de New Marte en 2012. Grâce à ce programme, les agriculteurs reçoivent des engrais, des outils et des encouragements sous forme de liquidités de la part du gouvernement étatique. Ils pourront également bénéficier des terres et de l’expertise de la LCBDA. L’accord prévoit le partage équitable des récoltes entre les agriculteurs et la LCBDA. Mais sur les 5 000 premiers hectares à être cultivés cette année, 3 500 ont pourri ou ont été dévorés par les animaux après la fuite des agriculteurs.

« La saison agricole est perdue et nous ne savons pas si nous pourrons en planter une nouvelle à cause de l’insécurité. Nous qui étions agriculteurs, nous mendions maintenant notre nourriture »,

a déclaré à IRIN Ahmad Bura, qui a fui à Gamboru Ngala en abandonnant ses 35 hectares de riz à New Marte.

Une nouvelle vague de déplacements a été déclenchée par l’attaque d’une mosquée le 11 août dans la ville de Konduga, située à 40 km de Maiduguri. L’attaque de BH a tué 44 fidèles. Parmi ceux qui ont fui se trouvaient de nombreux agriculteurs dont les moissons étaient sur le point de mûrir, a déclaré un fonctionnaire de l’État de Borno.

Conséquences de l’état d’urgence

En réponse à l’insurrection de BH, le gouvernement nigérian a déclaré l’état d’urgence dans les États de Borno, de Yobe et d’Adamawa en mai dernier. Le gouvernement nigérian a ordonné la coupure générale du réseau téléphonique, ainsi que le déploiement de centaines de soldats et d’avions de combat. Le nord de Borno a été encerclé par l’armée, tandis que les troupes ont bombardé les camps d’entraînement de BH.

À cause de l’état d’urgence, il est difficile pour les agriculteurs des communautés relativement sûres de la région de recevoir l’aide agricole du gouvernement (sous forme de semences, d’engrais et d’outils).

Les rares agriculteurs qui ont des céréales à vendre ont des difficultés à se rendre sur les marchés locaux, car ils craignent d’être attaqués. La coupure du réseau téléphonique a également paralysé une grande partie du programme gouvernemental de renforcement de l’autonomie des communautés, qui alloue des coupons d’engrais aux agriculteurs par SMS.

Borno dépend à la fois des denrées alimentaires produites localement et des importations de riz, de maïs, de sorgho, de millet, de pommes de terre, de blé, d’igname et de canne à sucre qui sont cultivés dans les États de Taraba, de Kaduna, de Kano, de Katsina et de Benue. Mais les réserves diminuent, car les négociants sont moins nombreux à transporter ces marchandises dans la région. Certains ne s’y risquent plus à cause de l’insécurité, et d’autres, parce qu’ils affirment devoir payer des pots-de-vin de 12,50 à 152 dollars aux nombreux points de contrôle militaires qui ont été mis en place dans tout l’État.

« Nous sommes obligés de payer... à chaque poste de contrôle militaire que nous passons, ce qui explique pourquoi de nombreux propriétaires de camions et négociants ont cessé d’amener des marchandises »,

a déclaré à IRIN Alto Adamu, chauffeur de camion.

L’armée a nié ces allégations. « Nous avons dit aux gens que, s’ils ont à se plaindre de nos hommes, il fallait en informer le siège des FOI [Forces opérationnelles interarmées]. À notre connaissance, aucune plainte d’extorsion de ce type n’a été déposée contre nous », a déclaré à IRIN le lieutenant-colonel Sagir Musa, porte-parole de l’unité militaire qui lutte contre BH dans l’État de Borno.

Source : http://www.irinnews.org