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Nigeria : Des images satellite montrent les effets de frappes aériennes sur un camp de déplacés

D 25 janvier 2017     H 12:38     A Human Rights Watch     C 0 messages


Les autorités devraient ouvrir une enquête impartiale sur l’attaque et indemniser les victimes

Les autorités nigérianes devraient effectuer sans tarder une enquête exhaustive et impartiale sur les frappes aériennes du 17 janvier 2017 qui ont endommagé un camp abritant des personnes déplacées qui avaient fui le groupe armé Boko Haram et tué au moins 70 personnes, dont neuf travailleurs humanitaires, et blessé au moins 120 autres, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le gouvernement, qui a affirmé que ces frappes avaient été effectuées par erreur par les forces aériennes nigérianes, devraient indemniser les blessés et les familles des personnes tuées en conséquence de quelque violation que ce soit du droit humanitaire international ou du droit à la vie.

Human Rights Watch a examiné des images satellite de la ville de Rann, dans l’État de Kala Balge Borno, enregistrées dans la matinée du lendemain de l’attaque, et a identifié deux zones de destruction distinctes dans des secteurs à forte densité de population dans la partie ouest de la ville, lesquelles peuvent correspondre à la détonation de multiples projectiles largués par voie aérienne. Au moins 35 bâtiments ont été détruits dans l’attaque, y compris des abris pour personnes déplacées.

« L’armée nigériane a fait un geste important et rare en endossant la responsabilité de cette horrible attaque », a déclaré Mausi Segun, chercheuse senior sur le Nigeria à Human Rights Watch. « Maintenant, l’armée devrait aller plus loin et expliquer comment elle a pu attaquer un site d’accueil de personnes déplacées, et indemniser les blessés et les proches de ceux qui ont perdu la vie. »

Bien qu’il n’y ait pas camp de déplacés clairement délimité à Rann, la ville compte des centaines de tentes pour personnes déplacées dressées parmi des immeubles résidentiels dans les deux sites qui ont été frappés. Ces tentes sont facilement visibles d’une position d’altitude, ce qui rend difficilement compréhensible qu’un accident de cette nature ait pu se produire. La présence de ce qui apparaît comme une vaste enceinte militaire nigériane à la périphérie de la ville, à une centaine de mètres de l’un des deux sites touchés, pose des questions supplémentaires, car l’armée aurait dû savoir que la zone était peuplée de civils et prendre les précautions adéquates pour ne pas les affecter lors d’une éventuelle opération visant des combattants de Boko Haram qui auraient pu se trouver dans les parages.

Même si des combattants de Boko Haram étaient présents dans le campement, ou à proximité, au moment de l’attaque, l’armée nigériane aurait dû s’assurer que toutes ses offensives étaient dirigées contre des objectifs militaires, et qu’elle avait pris toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages subis par les civils, a affirmé Human Rights Watch.

L’enquête devrait déterminer les causes de l’attaque et l’armée devrait effectuer les modifications qui s’imposent, y compris dans la préparation de ses opérations, afin de minimiser les risques d’attaques similaires à l’avenir, a ajouté Human Rights Watch.

Selon l’Armée de l’air nigériane, un de ses avions de combat a déclenché un « raid aérien accidentel » lors d’opérations menées contre des combattants de Boko Haram. Le commandant des opérations anti-rébellion de l’armée dans le nord-est du pays, le général Lucky Irabor, a déclaré aux médias qu’il avait ordonné cette mission parce que des combattants de Boko Haram étaient en train de se rassembler dans le secteur. Deux militaires figurent également parmi les blessés et une enquête aura lieu, a-t-il affirmé, mais on ignore encore par qui et dans quels délais.

Des organisations humanitaires avaient auparavant affirmé que cette zone était inaccessible aux agences humanitaires jusqu’à une date récente, en raison de combats, et que l’armée était responsable de l’acheminement de l’aide aux personnes déplacées. Un accrochage armé entre les militaires et des combattants de Boko Haram à Rann le 30 décembre 2016 a pu contribuer à la hâte apparente avec laquelle le général Irabor a ordonné l’attaque, afin de réagir à de prétendues informations faisant état d’un rassemblement du groupe rebelle dans la région.

Parmi les tués, figurent neuf personnes qui travaillaient pour des organisations humanitaires. Le chef des opérations d’urgence de Médecins sans frontières, organisation qui travaille au Nigeria depuis 1971, a déclaré aux médias que l’armée contrôlait le camp de personnes déplacées situé à Rann au moment de l’attaque, par exemple en vérifiant l’identité des personnes qui y entraient et en sortaient. L’organisation a vivement condamné l’attaque, dans laquelle, selon elle, trois employés d’une compagnie camerounaise avec laquelle elle avait conclu un contrat de prestation de services ont été tués.

La Société de la Croix-Rouge nigériane a déclaré que six de ses employés ou bénévoles qui fournissaient des services humanitaires aux personnes déplacées ont été tués et 13 autres blessés.

Ce tragique incident n’est pas le premier raid aérien de l’armée dans lequel des civils sont tués, dans le cadre de la lutte contre Boko Haram. Le 28 février 2014, un appareil militaire nigérian avait largué des explosifs sur Daglun, un village de l’État de Borno, tuant 20 civils, pour la plupart des personnes âgées, selon des informations parues dans la presse. Le 16 mars 2014, une attaque similaire de la part des militaires sur le village de Kayamla, à moins de 10 kilomètres de Maiduguri, aurait causé la mort de 10 civils. Dans des informations publiées par les médias, des villageois étaient cités comme ayant affirmé qu’ils avaient informé les forces de sécurité de la présence près du village d’hommes soupçonnés d’être des combattants de Boko Haram, mais que la frappe aérienne était venue plusieurs jours plus tard, alors que les rebelles avaient déjà quitté la zone. Dans ces deux attaques, l’armée a nié avoir eu connaissance de victimes civiles.

Le 16 janvier 2017, les Nations Unies ont estimé que 2,4 millions de Nigérians ont été déplacés à l’intérieur du pays en conséquence des exactions perpétrées par Boko Haram et des opérations de l’armée nigériane.

Même s’il n’y a aucune preuve que les frappes aériennes étaient une attaque délibérée contre le camp pour personnes déplacées de Rann, ce qui constituerait un crime de guerre, le raid, apparemment pas dirigé contre une cible militaire spécifique, semble avoir été mené sans discernement, donc en violation du droit humanitaire international. Cette attaque semble également avoir constitué une violation du droit à la vie aux termes de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et d’autres lois internationales relatives aux droits humains applicables au Nigeria, notamment si les responsables de la préparation de l’opération n’ont pas pris de précautions suffisantes pour minimiser les risques pour les civils. Aux termes du droit international, il incombe au Nigeria d’assurer que des enquêtes transparentes et indépendantes soient menées sur ces apparentes violations, et de verser des indemnités aux victimes et à leurs familles pour les dommages causés par ces violations.

« Les autorités devraient assurer un traitement médical efficace et rapide aux personnes blessées dans ce malheureux incident », a affirmé Mausi Segun. « Et elles devraient également assurer que des indemnités effectives et adéquates soient promptement offertes à toutes les victimes d’éventuelles violations du droit international, ainsi qu’à leurs familles. »