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NIGERIA : Recul des droits des homosexuels

D 9 décembre 2011     H 05:22     A IRIN     C 0 messages


LAGOS - Au Nigeria, les groupes de défense des droits craignent que le projet de loi sur le mariage entre personnes de même sexe actuellement discuté au Parlement n’encourage la discrimination dont font déjà l’objet les homosexuels. Le projet de loi va bien au-delà de la seule prohibition du mariage entre individus de même sexe : il menace également d’interdire la formation de groupes de défense des homosexuels et d’emprisonner toute personne qui « est témoin d’une telle relation, l’encourage ou lui prête assistance ». L’adoption de la loi pourrait entraîner, à terme, l’interdiction de toute discussion ou activité liée à la défense des droits des homosexuels.

En vertu d’une loi datant de l’époque coloniale, la sodomie est passible d’une peine de 14 ans d’emprisonnement. Par ailleurs, dans les États du nord du pays, principalement musulmans, on applique une version de la charia qui prévoit la peine de mort par lapidation pour le coupable d’un tel acte. Cette disposition n’a cependant jamais été officiellement mise en ouvre.

En novembre, l’Assemblée nationale a commencé à débattre de la plus récente version du projet de loi sur l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe. La plupart des hauts fonctionnaires ont dit approuver le projet, ajoutant qu’il sera probablement adopté.

L’intolérance érigée en système

Pour les analystes, le projet de loi, qui a été abandonné deux fois en l’espace de cinq ans, a pour but d’accroître la popularité d’un gouvernement dont la cote de confiance est au point mort depuis les élections d’avril dernier. La plupart des Nigérians désapprouvent fortement l’homosexualité, et nombre d’entre eux la considèrent comme une pratique importée de l’étranger et contraire aux valeurs de la société nigériane, profondément religieuse.

Une étude sur l’attitude des Nigérians envers l’homosexualité, réalisée en 2008 auprès de 6 000 personnes par l’organisation à but non lucratif Nigeria’s Information for Sexual and Reproductive Rights, a révélé que seulement 1,4 pour cent des répondants se considéraient « tolérants » envers les minorités sexuelles.

En 2002, dans l’État de Jigawa, dans le nord du pays, un étudiant universitaire a été battu à mort par ses camarades à cause de rumeurs faisant état de son homosexualité.

En septembre 2008, plusieurs journaux nationaux ont publié les noms, adresses et photos d’un pasteur et des membres d’une congrégation de la ville portuaire de Lagos qui accueillait des minorités sexuelles. Quelques jours plus tard, une foule parmi laquelle se trouvaient des policiers a attaqué l’église. Des membres de la congrégation ont perdu leur emploi et leur foyer et ont été contraints de se cacher ; d’autres sont toujours victimes de harcèlement et de menaces de violence physique, a indiqué Human Rights Watch dans un communiqué [ http://www.amnesty.ch/fr/pays/afrique/nigeria/docs/2011/interdiction-des-unions-entre-personnes-du-meme-sexe
] .

« Au Nigeria, les pratiques homosexuelles et lesbiennes sont considérées comme une atteinte à la morale publique. Ce projet de loi est très important pour le développement du pays, car il cherche à protéger la famille traditionnelle, qui est l’unité fondamentale de la société, en particulier dans notre pays », a dit This Day, un quotidien influent, dans son éditorial du 10 novembre. « La loi rendra plus difficile l’adoption de pratiques et de modes de vie étrangers à notre pays et aux mours de la majorité de la population ».

Dans l’ensemble de l’Afrique[ http://www.irinnews.org/report.aspx?reportid=93387 ] , les droits des homosexuels sont de plus en plus bafoués. Le militant pour la défense des droits des homosexuels David Kato a été assassiné [ http://www.irinnews.org/report.aspx?reportid=91744 ] en janvier 2011 en Ouganda. Il s’était publiquement opposé au projet de loi anti-homosexualité qui avait été soumis au Parlement en 2009.

Au Malawi, un couple gay a été emprisonné pour « grossière indécence ». Les gouvernements américain et britannique ont menacé de couper l’aide financière aux pays africains qui tentent de restreindre les droits des homosexuels.

La religion : un obstacle supplémentaire

Selon Damian Ugwu, qui milite pour la défense des droits de l’homme au sein de l’ONG Social Justice Advocacy Initiative, basée à Lagos, les leaders des principales religions du Nigeria - l’islam et le christianisme - font rarement la promotion de la tolérance envers l’homosexualité.

« Ni l’islam ni le christianisme ne sont favorables au mariage entre individus de même sexe », a dit Olusegun Runsewe, directeur général de la Société de développement du tourisme au Nigeria (NTDC, en anglais), à des journalistes le 7 novembre. « Nous devons être prudents et tout faire pour interdire cette pratique, car le mariage entre personnes de même sexe est satanique. Il peut détruire n’importe quel système et donner une mauvaise réputation à n’importe quel pays ».

D’après M. Ugwu, la désapprobation religieuse peut avoir un effet dévastateur sur les homosexuels. « L’Église ne manifeste aucune tolérance envers l’homosexualité et l’accepte seulement chez ceux qui se ’confessent’ et s’en ’repentent’. Elle peut alors dire que ces personnes sont guéries et qu’elles peuvent dès lors être pardonnées ».

Selon les activistes, de nombreux homosexuels - une communauté qui présente par ailleurs un risque élevé de contracter le VIH - hésitent à fournir des informations complètes à leur sujet [ http://www.plusnews.org/report.aspx?reportid=79810 ] par crainte d’être stigmatisés. Ils sont dès lors incapables d’obtenir des services médicaux ou de recevoir un traitement adéquat.

« Des homosexuels qui ont eu le courage de révéler leur orientation sexuelle ont rapporté avoir été humiliés par le personnel médical », a fait remarquer M. Ugwu. Au moins deux homosexuels qui se sont entretenus avec IRIN sous le couvert de l’anonymat ont dit avoir peur de se rendre à l’hôpital par crainte que le personnel divulgue leur orientation sexuelle.

Des implications pour l’ensemble de la population

Selon les organisations non gouvernementales (ONG) et les activistes, le projet de loi pourrait aussi avoir de graves implications pour ceux qui ne sont pas gay. Les migrants qui viennent chercher du travail en ville sont un groupe particulièrement vulnérable. « La police nigériane, qui est déjà réputée pour ses abus de pouvoir, pourrait ainsi violer impunément les droits des personnes gay et non gay. Dans ce contexte, les jeunes hommes et les jeunes femmes, qui, pour des raisons financières, vivent souvent entre eux dans les grandes villes, deviendront des proies faciles pour les extorqueurs », a dit M. Ugwu.

« Cette loi est pernicieuse, car elle semble ne viser que les unions homosexuelles, mais constitue en fait une attaque contre l’ensemble des droits fondamentaux », a dit le porte-parole de Human Rights Watch Graeme Reid. « La définition du ’mariage entre personnes de même sexe’ va jusqu’à inclure toute personne soupçonnée d’entretenir une relation homosexuelle. Et elle menace les défenseurs des droits humains en prenant pour cibles ceux qui défendent des causes impopulaires ».

Selon Unoma Azuah, auteure et militante gay nigériane, le gouvernement devrait se concentrer sur d’autres priorités. « À mon avis, c’est une manière de détourner l’attention [de la population] des vrais problèmes et un énorme gaspillage de temps et de ressources. Quel lien y a-t-il entre les actes que deux adultes consentants posent dans l’intimité et le chômage qui paralyse le Nigeria ? Alors qu’il n’existe que quelques rares grandes routes en bon état, que l’éducation est en ruine, que l’approvisionnement en électricité est extrêmement déficient et que les denrées alimentaires et le pétrole doivent être importés en grandes quantités, les législateurs sont occupés à débattre de la nécessité d’interdire les unions homosexuelles... »

Les obstacles à l’acceptation sont difficiles à surmonter. « Les homosexuels sont victimes de discrimination de la part de leur famille, des groupes religieux et de la société en général », a dit M. Ugwu. « Il est donc compréhensible que le reste de la population ne prenne pas spontanément leur défense ».

Source : http://www.irinnews.org