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Nord-est du Nigeria : « Des centaines de milliers de personnes ont fui »

D 12 décembre 2014     H 05:42     A IRIN     C 0 messages


Dans le nord-est du Nigeria, plus de 400 000 personnes ont été contraintes de fuir leurs foyers en raison des violences commises par le groupe militant islamiste Boko Haram. Selon les organisations d’aide humanitaire, ces personnes ont un « besoin urgent » d’aide. Leur nombre risque par ailleurs d’augmenter avec l’intensification des attaques ciblant les civils.

« Une crise majeure secoue le nord-est du pays, mais elle n’est pas reconnue comme telle », a dit Sarah Ndikumana, directrice pays pour le Comité international de secours (International Rescue Committee, IRC) au Nigeria. « Depuis la fin du mois d’août, le mouvement d’insurrection a agressivement et progressivement pris le contrôle de l’État d’Adamawa et établi sa présence, ce qui a entraîné la fuite de centaines de milliers d’habitants. »

Cette crise a privé un nombre « incalculable » de personnes de vivres, d’eau, de soins de santé, d’un abri adéquat et d’autres produits de première nécessité, comme des vêtements et du savon.

« On parle ici de mouvements massifs de population et de gens qui fuient sans rien apporter », a ajouté Mme Ndikumana. « Puisque ce sont des attaques-surprises, les déplacés n’ont rien d’autre que les vêtements qu’ils portaient au moment de fuir. Ils ne connaissent personne, ils n’ont rien et nombre d’entre eux n’obtiennent aucune aide. »

Le 25 novembre, un double attentat suicide dans un marché très fréquenté de Maiduguri, la plus grande ville de l’État de Borno, a fait des « dizaines » de morts. Cet incident est le plus récent d’une vague d’attaques terroristes commises dans la région.

Aggravation de la crise

Selon le gouvernement, au moins 1,5 million de Nigérians ont été déplacés à l’intérieur de leur propre pays depuis mai 2013, lorsque le gouvernement nigérian a déclaré l’état d’urgence dans les États d’Adamawa, de Borno et de Yobe, dans le nord-est du pays. D’après le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), au moins 150 000 personnes ont fui au Tchad, au Niger et au Cameroun voisins. L’Office d’aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO) a indiqué que ce chiffre pourrait être encore plus élevé et atteindre 180 000.

L’Agence nigériane de gestion des urgences (NEMA) a dit avoir enregistré près de 700 000 personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) entre janvier et novembre. La plupart d’entre elles ont été enregistrées au cours des six derniers mois.

À la suite de la prise de la ville de Mubi (dans l’État d’Adamawa) par Boko Haram, le 29 octobre, plus de 20 000 PDIP ont été enregistrées en l’espace d’une semaine par la NEMA dans les camps officiels situés à Yola, la capitale de l’État d’Adamawa.

On croit que des dizaines de milliers d’autres n’ont pas été enregistrées et ont trouvé refuge dans des campements de fortune situés dans les communautés voisines.

« En ce moment même, l’afflux de personnes déplacées fuyant les régions du nord-est du pays se poursuit », a dit Fernando Arroyo, chef des opérations d’OCHA au Nigeria. « Ces déplacements ont commencé il y a déjà longtemps, mais ils se sont réellement accélérés au cours des dernières semaines. »

Manque de camps officiels

Il y a maintenant 12 camps officiels de PDIP dans l’État de Borno et six dans l’État d’Adamawa. Les camps sont gérés par l’Agence de gestion des urgences de l’État (SEMA) avec le soutien de la NEMA et d’autres partenaires internationaux. Au moins quatre d’entre eux ont ouvert leurs portes au cours des dernières semaines pour répondre à l’afflux récent de PDIP.

Les responsables des camps enregistrent les PDIP et leur donnent accès à des éléments indispensables tels que des vivres, de l’eau, des soins de santé et un abri.

Or, la majorité des PDIP ne s’installent pas dans les camps. Certains déplacés se voient refuser l’accès aux camps parce qu’ils sont déjà surpeuplés. D’autres ont trop peur pour y entrer et préfèrent se cacher dans des villages isolés. Nombreux sont ceux qui finissent par dormir sous les arbres, dans les églises et les écoles abandonnées ou dans les terrains vagues.

« Le problème, c’est que nous savons fort bien que seule une minorité se rend dans les camps officiels de PDIP et que la majorité s’installe dans les communautés hôtes. Dans ce contexte, il est très difficile de connaître leur nombre et de les enregistrer afin de pouvoir leur venir en aide », a dit M. Arroyo.

Les organisations ont également découvert qu’il était difficile de fournir une aide à ces PDIP.

« Ce n’est pas comme dans les camps, où nous pouvons procéder à des distributions massives », a dit Mme Ndikumana, de l’IRC. « Nous devons aller de communauté hôte en communauté hôte pour trouver ces gens, ce qui rend les choses plus complexes. »

La plupart des campements informels ne disposent pas d’installations d’eau, d’assainissement et d’hygiène. Certains travailleurs humanitaires ont d’ailleurs qualifié de « déplorables » les conditions sanitaires dans lesquelles vivent les habitants de ces campements. De nombreux centres de santé situés dans les communautés voisines ont en outre été fermés ou détruits.

Selon la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), les conditions insalubres ont entraîné une augmentation des cas de choléra, de diarrhée et d’autres maladies évitables parmi les populations de PDIP.

« Nous avons aussi du mal à faire face aux besoins humanitaires croissants », a dit Dénes Benczédi, coordonnateur de la communication pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Nigeria. « Nos capacités sont limitées. Notre aide demeure essentielle pour les victimes, mais nous ne parvenons à couvrir qu’une partie des besoins. »

Insécurité alimentaire

OCHA estime à plus de 5 millions le nombre de personnes exposées à l’insécurité alimentaire dans 11 États du nord du Nigeria en 2014.

OCHA a prévenu la communauté internationale que l’État d’Adamawa faisait actuellement face à une insécurité alimentaire aiguë de type stress (phase 2) et qu’il pourrait bientôt plonger dans une situation de crise (phase 3). Selon ECHO, l’insécurité alimentaire dans les États de Borno et de Yobe a atteint des niveaux de crise avant la saison normale de soudure, qui correspond aux mois de juillet et d’août.

Nombreux sont ceux qui craignent que ces chiffres augmentent en raison des perturbations des activités commerciales et agricoles survenues cette année, notamment la destruction des récoltes, la saisie de terres cultivées par les rebelles et l’abandon des champs par les agriculteurs. Le gouvernement a indiqué que la production avait, cette année, diminué de 26 pour cent dans l’État de Borno, de 21 pour cent dans l’État de Yobe et de 14 pour cent dans l’État d’Adamawa.

« La crise qui sévit actuellement dans le nord-est du Nigeria affecte plus durement les personnes les plus vulnérables », a dit Robert Piper, coordonnateur régional des Nations Unies pour le Sahel. « Nous avons déjà constaté un impact sur les enfants ; il y a eu une hausse importante des taux de malnutrition aiguë modérée au cours des six derniers mois ; et certaines données préliminaires suggèrent une diminution marquée de la production agricole dans les trois États dans lesquels l’état d’urgence a été proclamé. Et au rythme où vont les choses, la situation pourrait très bien se dégrader encore davantage. »

Les prix des denrées alimentaires demeurent élevés dans les trois États. Or, les habitants sont nombreux à avoir perdu leur principale source de revenu, ce qui a eu pour effet de réduire encore davantage leur pouvoir d’achat.

En collaboration avec des partenaires tels que l’IRC, le CICR et le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), la NEMA distribue des vivres et des produits non alimentaires à des PDIP vivant dans les camps et à l’extérieur des camps, mais l’agence estime que cela ne suffit pas.

« Le gouvernement fait ce qu’il peut, mais il n’a pas suffisamment de ressources », a dit Mme Ndikumana. « Personne n’a assez de ressources. Par ailleurs, puisqu’il s’agit d’une crise oubliée, l’argent et le matériel qui nous sont donnés ne suffisent pas à combler les besoins. Nous tentons d’accorder la priorité aux plus vulnérables, mais comment déterminer les bénéficiaires prioritaires lorsque tout le monde a faim ? »

Une présence internationale limitée

Selon OCHA, seule une dizaine d’ONG et d’agences des Nations Unies opèrent actuellement dans les régions affectées en raison des préoccupations sécuritaires.

« Le nord-est du Nigeria est une région dans laquelle il est très dangereux d’opérer », a dit M. Arroyo. « Même à Maidiguri - la capitale de l’État de Borno -, il n’y a qu’une petite concentration de travailleurs humanitaires. Pourtant, la situation est extrêmement inquiétante et mériterait probablement qu’on y prête davantage d’attention, tant en raison de sa gravité que du fait qu’elle se détériore. »

Dans l’État d’Adamawa, le plus affecté, seules deux ONG - l’IRC et Oxfam - ont une présence opérationnelle permanente. Elles travaillent en collaboration avec la NEMA/SEMA, la Croix-Rouge nigériane et le UNFPA pour venir en aide aux populations déplacées. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’UNICEF assurent une présence de surveillance et ECHO, la Banque mondiale et l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) sont les seuls donateurs pour la région.

« L’empreinte humanitaire dans le nord-est est donc plutôt limitée », a dit Dominic Stolarow, coordonnateur d’urgence de l’UNICEF au Nigeria.

Les organisations présentes sur le terrain sont confrontées à de nombreux obstacles. Elles doivent notamment composer avec le mauvais état des réseaux routiers et les couvre-feux et postes de contrôle établis à la suite de la proclamation de l’état d’urgence. Plusieurs d’entre elles ont dû déplacer leurs bureaux ou établir des bases loin des zones prioritaires.

Intensification de l’aide

À la mi-novembre, le Plan de réponse stratégique (PRS) pour le Nigeria, qui avait été lancé en février, n’était financé qu’à hauteur de 14 pour cent.

« Cela rend notre travail plutôt difficile », a dit M. Stolarow.

Pour aider à répondre aux besoins croissants, la FICR a lancé, le 5 novembre, un appel d’urgence de 2,8 millions de dollars pour venir en aide à 150 000 personnes ayant été directement et indirectement affectées par le conflit au cours des 12 prochains mois. L’organisation prévoit également d’ouvrir deux bureaux supplémentaires début 2015 dans les États d’Adamawa et de Gombe.

Le CICR a dit qu’il prévoyait de développer ses activités à Yola et à Gombe début 2015.

En réponse aux événements survenus au cours des dernières semaines, ECHO a promis, le 25 novembre, de verser 6,2 millions de dollars pour venir en aide aux PDIP dans les États de Borno, de Yobe et d’Adamawa. Cette somme vient s’ajouter aux 9,4 millions que l’agence d’aide humanitaire a déjà donnés plus tôt cette année pour les opérations menées dans la région.

« Il est évident que la situation s’aggrave et qu’elle ne s’améliore pas pour l’instant », a dit Yassine Gaba, chef du bureau ECHO au Nigeria. « Les gens sont de plus en plus nombreux à fuir et ils ne bénéficient d’aucun soutien ou assistance. Nous essayons de changer cela. »