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Élection présidentielle à hauts-risques au Sénégal

La campagne électorale tourne à la répression, à l’image du bilan « droits de l’Homme » du président Wade

D 21 février 2012     H 05:38     A     C 0 messages


La FIDH et ses organisations membres et partenaires au Sénégal, la RADDHO, l’ONDH et la LSDH, condamnent vivement la répression systématique de toute manifestation pacifique dans le centre de Dakar et les dizaines d’arrestations d’opposants et de manifestants depuis ces dernières 72 heures. Nos organisations exhortent les autorités sénégalaises à cesser immédiatement la répression en cours, à libérer les personnes arbitrairement arrêtées et à se conformer à la législation sénégalaise en autorisant le déroulement des manifestations pacifiques.

Depuis près de trois jours, toutes les manifestations dans le centre de Dakar sont systématiquement dispersées par la force et des dizaines de manifestants sont arrêtés. Mercredi 15 février, la manifestation du mouvement citoyen M23 a été dispersée sans ménagement. Le 16 février, c’était au tour du collectif Y en a marre de subir une répression particulièrement féroce : dispersion dans la violence, arrestation d’une vingtaine de leur membre dont plusieurs de leurs leaders et mauvais traitement des personnes arrêtées. Les 16 et 17 février, ce sont les candidats à l’élection présidentielle et leurs partisans qui ont été la cible de cette répression. Cheikh Bamba Dieye, candidat du Front pour le socialisme et la démocratie /Benno Jubël (FSD/BJ) a été arrêté quelques heures le 17 février alors qu’il manifestait place de l’obélisque, tout comme Ibrahima Sene, responsable du Parti de l’indépendance et du travail (PIT). Idrissa Seck, candidat du parti Rewmi ("le pays"), a lui aussi été la cible de tirs de grenade lacrymogène tandis que la manifestation d’Ibrahima Fall, candidat indépendant, s’est vu interdite par le préfet de Dakar malgré l’autorisation et les instructions de la Commission électorale nationale autonome (CENA) saisie par le candidat.

« Les autorités sénégalaises ne peuvent pas aller contre la loi sénégalaise » a déclarée Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH. « Il faut que les autorités reviennent à la raison et autorisent l’expression publique et politique des opposants et des citoyens sous peine d’être assimilée à un régime autoritaire bâillonnant la démocratie » a-t-elle ajoutée.

En effet, le gouvernement justifie la répression des manifestations par un arrêté pris par le préfet de Dakar en juillet 2011 interdisant depuis lors toute manifestation publique dans le centre-ville de la capitale. Outre le fait que ce gel des libertés publiques et individuelles contrevient aux dispositions constitutionnelles, cette interdiction est manifestement illégale au regard de l’article L 61 du Code électoral qui dispose que « tout candidat et tout électeur peut librement organiser des réunions et des manifestations sur toute l’étendue du territoire en respectant les conditions prévues par la loi », à sa voir une déclaration préalable de 24h auprès de l’autorité administrative. Ces conditions ont été respectées par toutes les organisations ayant souhaitées manifester ces derniers jours. La Cour suprême du Sénégal elle-même avait déjà considéré dans un arrêt du 13 octobre 2011 que l’interdiction d’une manifestation similaire de la Radhho en décembre 2010 par un arrêté du préfet de Dakar avait été un « excès de pouvoir » et constituait une « atteinte à la liberté de réunion ».

La situation s’est encore dégradée hier lorsque une grenade lacrymogène a été lancée dans la grande mosquée El Hadji Malick Sy au quartier du Plateau, à proximité du centre-ville, provoquant la colère de centaines de fidèles et rappelant l’attaque de la cathédrale de Dakar l’année passé. Plus inquiétant encore un journaliste de l’Agence France presse (AFP) a vu, pendant les incidents, un policier sortir son arme de service et ouvrir le feu. Il a ensuite récupéré une douille de 9 mm au sol ainsi qu’une balle non percutée laissant craindre une escalade dans la répression et l’utilisation de moyens contraires aux principes des Nations unies sur l’utilisation de la force.

« A la veille d’une échéance aussi importante pour le Sénégal, les plus hautes autorités du pays doivent faire preuve de responsabilité et d’apaisement en laissant la démocratie s’exprimer librement comme la loi le prévoit » a déclaré Me Sidiki KABA, président d’honneur de la FIDH.

De même, il a été signalé des hommes en civil armés de fusils à pompe circulant à bord de 4X4 banalisés qui pourchasseraient les manifestants. Selon les témoignages, certains avaient le visage couvert d’une cagoule noire, comme l’ont pu aussi le confirmer les correspondants de l’AFP et Reuters sur place.

Outre un policier blessé à la tête, les violences de la journée de vendredi ont fait une dizaine de blessés, dont deux journalistes occidentaux. Le bilan de la répression des manifestions et de la contestation populaire depuis la fin du mois de janvier est de 5 morts dont un policier, des dizaines de blessés et des dizaines d’arrestations.

Nos organisations s’inquiètent aussi du sort réservé aux nombreux manifestants arrêtés pour avoir bravé cette interdiction de manifester. Outre les mauvais traitements constatés lors de leur arrestation, il est à craindre qu’ils soient actuellement torturés comme c’est souvent le cas au cours des détentions dans les commissariats et les brigades de gendarmerie.

La dernière mandature du Président Wade marquée par des régressions en matière des droits de l’Homme

A l’approche du premier tour de l’élection présidentielle prévue le 26 février 2012, nos organisations tirent un sombre bilan du quinquennat qui s’achève en matière de respect des droits de l’Homme. Parmi les nombreuses violations des droits civils et politiques, économiques, sociaux et culturels documentés par nos organisations, le scrutin présidentiel est l’occasion de faire le bilan des trop nombreuses atteintes aux principes démocratiques, aux libertés publiques et à l’indépendance de la justice au Sénégal ces dernières années.

Une de ces atteintes les plus flagrantes aux principes a été la tentative avortée du chef de l’État de modifier la constitution pour changer à son avantage les règles du jeu de l’élection présidentielle à moins d’un an du scrutin pour finalement renoncer face à la contestation populaire le 23 juin 2011. « Le tripatouillage de la loi fondamentale aurait sérieusement porté atteinte aux principes de l’alternance démocratique. La démarche du président Wade, bien que stoppée, a démontré son peu d’attachement aux principes démocratiques en contradiction avec la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui lie le Sénégal », a déclaré Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH.

Les libertés publiques ont également souffert de restrictions. Des manifestations ont été interdites de manière illégale – comme celle que souhaitait organiser la Raddho en décembre 2010 et encore dernièrement le 15 février 2012 6 et parfois réprimées – comme celles du M23 de juin 2011 et celle du mouvement Y en a marre ! le 16 février 2012 - par un usage disproportionné de la force par les forces de sécurité, des arrestations arbitraires et de mauvais traitements. « A contrario, les violences perpétrées contre les manifestants du M23 et de Y en a marre ! par des nervis du régime ou des sympathisants du parti au pouvoir n’ont jamais fait l’objet d’enquête », a déclaré Me Assane Dioma Ndiaye, le président de la LSDH. « Quant à l’enquête sur l’agression d’Alioune Tine le 23 juin 2011, elle est piétine alors que toutes les preuves de l’implication des nervis du pouvoirs sont entre les mains de la justice sénégalaise » a ajouté Assane Dioma Ndiaye qui est aussi son avocat.

Nos organisations ont par ailleurs dénoncé les attaques récurrentes contre les défenseurs des droits de l’Homme de la part des autorités : déclarations publiques de membres du gouvernement assimilant les défenseurs aux opposants politiques ; atteintes à la liberté d’expression de représentants de la société civile ; arrestations arbitraires, comme celle en janvier 2012 du président de la Raddho, Alioune Tine, finalement libéré sans charge après 48 heures de détention dans des conditions difficiles et sans accès à son avocat ; expulsion du secrétaire général de la FIDH ; et confiscation en douane des exemplaire du Rapport annuel de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (FIDH/OMCT). « Ces violations répétées de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs convergent vers l’expression autoritaire d’un pouvoir qui refuse toute critique de sa gouvernance », a déploré Me Sidiki Kaba, président d’honneur de la FIDH.

La pratique de la torture demeure malheureusement toujours d’actualité au Sénégal, la LSDH a ainsi recensé de nombreux cas de tortures par des agents de l’État et a saisi le Comité contre la torture des Nations unies. Ces dernières années une trentaine de cas au moins ont été répertoriées dont une dizaine sont décédées des suites de ces mauvais traitement en détention estime la LSDH.

L’indépendance de la justice a aussi été mise à mal dans le dossier Hissène Habré, ancien président Tchadien, exilé au Sénégal, présumé responsable de violations graves et massives des droits de l’Homme dans son pays. Alors que nos organisations s’étaient félicitées de l’adoption d’un cadre juridique propice à l’ouverture d’un procès et qu’un soutien financier de la communauté internationale avait été accordé à cet effet, le jugement d’Hissène Habré n’est toujours pas d’actualité. Violant l’obligation internationale de juger ou d’extrader Hissène Habré, le président Wade a tenté d’expulser celui-ci en juillet 2011 vers le Tchad avant de se rétracter au dernier moment devant l’opposition des Nations unies et des organisations de défense des droits de l’Homme ; et sous prétexte d’un vice de forme, la Chambre d’Accusation de la Cour d’appel de Dakar a obligé la Belgique – pays où une procédure judiciaire est engagée contre Hissène Habré - à formuler une quatrième demande d’extradition. « Ces procédures dilatoires sont inacceptable dans un État de droit. Les victimes du régime d’Hissène Habré attendent depuis plus de 20 ans que justice leur soit rendue », a déclaré Alassane Seck, vice-président de la RADDHO.

Face à ce bilan peu flatteur, nos organisations appellent les futures autorités sénégalaises issues des urnes à faire cesser toutes ces atteintes et respecter strictement les engagements du Sénégal en matière de protection des droits de l’Homme.

 Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)
 Rencontre africaine de défense des droits de l’Homme (RADDHO)
 Organisation nationale des droits de l’Homme (ONDH)
 Ligue sénégalaise des droits de l’Homme (LSDH)

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